Les Routes de l’Histoire
L’amour emprisonné
« Ce n’est pas l’homme qui a été créé pour la femme
mais la femme qui a été créée pour l’homme. »
Saint-Paul
On aimerait penser qu’à l’époque de la Renaissance entre les hommes et les femmes s’esquissent des sentiments plus sensuels... Hélas, l’amour et la passion sortent mal en point du long Moyen Âge. Il y a « les belles amourettes », mais il y a aussi les amours maudites au siècle de la Renaissance. Ces dernières sont scellées dans le sang et la mort. Leurs noces sont clandestines, donc vouées au désastre. Les âmes des amoureux ne peuvent être délivrées que par la mort. L’amour est emprisonné partout en Europe. En Italie, on punit l’adultère de prison. On fouette les femmes coupables ou on les tond. Si quiconque donne un baiser à une femme mariée ou à une veuve, il peut être puni d’un châtiment corporel ou même décapité.
En Angleterre, on condamne à mort les femmes adultères. La répression ira ainsi croissant de la Renaissance à la Révolution. Et elle réussira, car la morale conjugale finira par être intériorisée dans les esprits1 .
Le mariage contre l’amour
Le mariage est autorisé à partir de 14 ans pour les garçons et 12 ans pour les filles (la jeune fille passe ainsi tout naturellement de l’autorité du père à la tutelle du mari).
Dans les familles aristocratiques, garçons et filles sont séparés à partir de 7 ans. Un gouverneur prend en charge l’éducation des garçons, qui entrent dans un univers masculin où on les initie à des rites militaires, ou alors ils reçoivent une formation cléricale. Les filles sont mises très tôt au couvent, jusqu’au jour de leur mariage. On leur apprend la broderie, le tissage, la musique, mais aussi de bonnes manières, enfin tout ce qui est nécessaire pour être une mariée exemplaire, car la vocation de la future mariée consiste à bien tenir une maison. Aussi doit-elle veiller à sa réputation, manifester à son mari « parfait amour et obéissance », éviter les scènes de jalousie et de colère et briller dans les arts : conversation, chant, danse, parure. On lui demande la grâce, la distinction, la bonté. Les projets de mariage se nouent quand les enfants viennent de naître. L’autorité des pères sur les enfants dans le choix du conjoint est totale ; la dot dans le contrat de mariage est importante. Malheur à la jeune fille sans dot ! Les filles ne sont présentées à leur futur mari que le jour des fiançailles. Quelques visites de convenance, c’est tout. Ce sont deux étrangers qui se lient. Les cas d’incompatibilité dans les couples sont donc très nombreux, et les rapports conjugaux – brutaux.
Il y a cependant des cas où les amoureux se marient clandestinement, contre la volonté de leurs parents. (Souvenez-vous de Roméo et Juliette ?) En 1557, Henri II prend des mesures sévères contre les mariages clandestins qui, à ses yeux, constituent un vrai danger pour l’ordre social. L’édit rend obligatoire, pour que le mariage soit valide, le consentement des parents, jusqu’à l’âge de 30 ans pour un garçon et 25 pour une fille. Les parents ont le droit de déshériter les époux clandestins. Dans les textes de l’époque, l’amour est exclu du mariage, même harmonieux.
En pratique, les hommes se débrouillent, en professant une double morale, l’une pour l’extérieur, l’autre pour le foyer. Pour les femmes, c’est une autre histoire. Il y a celles qui se résignent et souffrent, et les autres… qui trompent leur mari, mais souffrent toujours.
Les rites du mariage
Les mariages sont conclus entre des familles. Après l’accord, on célèbre les fiançailles. Les fiançailles durent à peu près quarante jours. Viennent ensuite les noces proprement dites. Les fiancés entrent dans l’Église et on leur donne la première bénédiction. Ensuite on les unit l’un à l’autre en enlaçant leurs mains et ils se confèrent mutuellement le sacrement en prononçant les paroles de consentement. Enfin, sont bénits les anneaux qu’ils se passent au troisième ou quatrième doigt de la main droite. À la sortie de l’église, les jeunes mariés se rendent à leur nouvelle demeure et il est de tradition que le nouveau marié porte sa femme pour passer le seuil. La cérémonie religieuse débouche le plus souvent sur un banquet festif où se rassemblent parents et voisins. Parfois, la fête dure plusieurs jours.
Le divorce
Le divorce n’est pas reconnu par l’Église, mais la séparation existe. Il s’agit, en fait, de délier sur terre ce qui continue à être un lien dans les Cieux, car les conjoints séparés restent mariés et ne peuvent donc contracter un autre mariage.
« Elles ne nous aiment que morts... »
Le veuvage, c’est la liberté ! Après la mort de son époux, la femme devient maîtresse de ses biens et tutrice de ses enfants. Alors la bonne veuve doit « rester en son hôtel en habits simples. L’an de deuil doit s’abstenir de joyeuseté ».2 Elle ne sortira de chez elle que pour aller à l’église, elle baissera la tête d’un air sombre et triste.
Au XVIe siècle, peu de couples vieillissent ensemble et un mariage sur trois est un remariage. Mais les hommes se remarient beaucoup plus aisément que les femmes : la société juge normal que le veuf prenne une épouse plus jeune que lui, qui tiendra sa maison et dont les biens viendront augmenter le patrimoine familial. La veuve n’a pas toujours droit à la même indulgence ! Des secondes noces, ça ne se pardonne pas, parce que la coutume populaire soupçonne qu’elle trahit ainsi son mari défunt.
Malgré tout cela, on peut dire que pour la femme de la Renaissance le seul statut permettant une certaine liberté et la capacité d’aimer (discrètement) à sa guise, c’est celui de VEUVE. « Elles ne nous aiment que morts », dit Montaigne. On comprend pourquoi.
La ceinture de chasteté
Les ceintures de chasteté ont fait leur apparition à la Renaissance ! Pierre de Bourdeilles, abbé de Brant (1540-1614) dans son livre intitulé les Vies des Dames Galantes nous donne l’histoire de l’arrivée des ceintures de chasteté en France. Il nous explique que du temps du roi Henri II, un marchand apporte de ces ceintures à la foire de Saint-Germain. Quelques maris jaloux en achètent. Parce que la grande angoisse de l’homme de la Renaissance reste d’être un mari trompé.
La conduite des femmes inspire une telle méfiance, que les époux sont obligés d’emprisonner leurs épouses et d’imaginer une clôture mécanique qui conserverait malgré elles leur honneur intact.
Rabelais se fait le porte-parole de sa génération masculine dans son Tiers Livre : « Avoir une femme, c’est en faire l’usage pour lequel la Nature la créa, c’est-à-dire, pour donner aide, divertissement et compagnie à l’homme. »
1 Il faudra attendre le milieu du XXe siècle pour que les mentalités commencent à changer.
2 Ibid