Je vous salue, ma France
Nationale 7, la route des vacances
La Nationale 7, peut-être vous ne l’emprunterez jamais. Trop pressés par le temps, vous prendrez l’autoroute ou le TGV, mais laissez-nous vous dire ce que fut la Nationale 7, à une époque déjà lointaine, dans les années 60 du siècle passé.
La Russie nous faisait alors rêver avec Gagarine se promenant dans l’espace. Ici on découvrait la télé, le tourne-disque et le transistor. Et puis il y avait la Nationale 7...
Pour des générations de Français ce fut la route mythique, la route des vacances, la route chantée par Charles Trenet :
« De toutes les routes de France et d’Europe
Celle que je préfère est celle qui conduit
En auto ou en auto-stop
Vers les rivages du midi
Nationale Sept
Il faut la prendre qu’on aille à Rome
ou à Sète
Que l’on soit deux, trois, quatre, cinq,
six ou sept
Route des vacances
Qui traverse la Bourgogne et la Provence
Qui fait d’Paris un petit faubourg
d’Valence
Et la banlieue d’Saint-Paul de Vence… »
Le temps des vacances, c’est Paris qui devient la banlieue de la Provence. Il fallait les voir s’embarquer, la petite famille tassée dans la 2CV décapotable, la Renault 4 surchargé de valises, l’Ondine Renault coiffée de bagages mal ficelés, le luxe extrême – la DS Citroën ou la très solide 203 Peugeot. Ils s’engouffraient sur la « route des vacances », heureux et joyeux, aspirés par ce ruban bleu qui menait à l’éblouissement d’une Méditerranée tant rêvée. Le lointain, c’était ces quinze jours attendus, le corps à moitié nu allongé sur la plage, abandonné au soleil d’un soir d’été…
Oh, l’enfer bien heureux de la route ! Bouchons, accidents, hurlements, le bébé qui pleure, le conducteur qui s’irrite, la femme qui s’impatiente…
C’étaient les années 60, il n’y avait pas encore l’autoroute, la vie n’avait pas cette vitesse qui fait que l’on a aujourd’hui l’impression d’avoir tout vu et d’être revenu de tout, avant même d’être parti.
Alors refaisons des bouts de route ensemble. On sort par le sud de Paris. Il y a d’abord la Porte d’Italie, si encombrée qu’il n’y avait pas d’heure qui soit bonne pour choisir de partir.
Tout de suite, le Kremlin Bicêtre. Peu savaient que Bicêtre désignait le nom d’un ancien château et que Kremlin venait de l’enseigne d’un cabaret ouvert par un ancien soldat de Napoléon qui avait fait la campagne de Russie ! Puis Villejuif. On ne savait pas que ce nom rappelait l’installation ici de légionnaires romains, venus de Judée à l’époque de César. Après, c’était Orly, le grand aéroport de Paris, et l’on chantait avec Gilbert Bécaud :
« Je m’en vais l’dimanche à Orly
Sur l’aéroport, on voit s’envoler
Des avions de tous les pays... »
Tout en essayant d’apercevoir un de ces grands oiseaux d’acier, nommé Caravelle, on était heureux de rester sur la terre ferme. Ce n’était pas encore le temps de Cuba et des Caraïbes, ce n’était que le temps d’atteindre Fontainebleau. Il y avait là le château et la cour des Adieux où Napoléon avait pris congé de sa vieille garde avant de gagner l’île d’Elbe. On traversait Nemours et Montargis. On était bientôt près de Giens, du canal de Briare. Ici, miracle, un pont faisait passer ses eaux au-dessus des eaux de la Loire ! Voilà, sur la Loire, la ville de la Charité et l’unique clocher de son abbatiale romane. Et Nevers arrivait, avant Moulins et sa cathédrale.
La Nationale 7, c’était vers Roanne, Lyon et le fameux « bouchon » de Fourvière. Là, où s’entassait toute la circulation venue du nord, la ville tremblait sous les vapeurs de pétrole, des raffineries des banlieues de Feyzin ou de Saint-Fons…
Déjà on se laissait glisser au long du Rhône. Vienne et ses ruines romaines avaient un parfum de midi, Valence précédait Montélimar qui évoquait pour nous le croquant de ses nougats. Et c’était Orange, nom étrange celui d’un fruit, où il y avait ce fabuleux théâtre antique, et Avignon, ses fortifications et son pont :
« Sur le pont d’Avignon on y danse, on y danse... »
Mais il était déjà tard, pas question de danser, il y avait encore Aix-en-Provence et les souvenirs de Cézanne. Mais qui connaissait Cézanne dans ces caravanes de ferrailles hurlantes qui avaient déjà déposé sur leurs chemins leurs épaves honteuses, capots ouverts, moteurs fumants. On attendait qu’on nous dépanne, au bruit sourd des voitures qui descendaient vers Sète, Cannes, Saint-Raphaël ou Menton, car enfin on y était dans ce parfum d’ambre solaire, joyeux, de corps griffés par le soleil, la plage, la Méditerranée... Quels souvenirs, cette route des vacances ! Aujourd’hui elle est encore chantée, mais sur l’autoroute, car l’A6 remplace ici la Nationale 7 :
« Sur l’autoroute des vacances
C’était vraiment un jour
de chance
Elle partait en plein midi
Il revenait de l’Italie… »
Et devinez ce qu’il peut bien se passer ? Recherchez la chanson, c’est un des grands succès de Michel Fugain.