Je vous salue, ma France
Itinéraires autour de Lyon : le Jura, le couloir rhodanien et le Massif central
1. Lyon, ville carrefour
Bouchon lyonnais
On peut arriver directement à Lyon, par le TGV et la gare futuriste de Saint-Exupéry. Elle fut conçue par l’architecte espagnol Calatrava. Bien sûr, on a tort de négliger les aménagements du nouveau Lyon et son architecture d’une modernité extrême. Mais déjà vous arrivez vite au centre-ville. Ceux qui sont en automobile, ont trouvé un parking marqué par l’art moderne, celui des Célestins. Il a été conçu par l’artiste Buren, le même qui a érigé ses colonnes à rayures verticales noires et blanches à hauteurs dégradées sur le site du jardin du Palais-Royal à Paris.
Alors on cherche un « bouchon ». Il s’agit ici du nom donné à ces multiples brasseries qui servent dans une ambiance chaleureuse une cuisine locale, riche en goûts : saucisson lyonnais, quenelles de brochet, poulardes de Bresse en sauce…
Lyon. Opéra
Vous voilà prêts à parcourir la vieille ville et ses rues pittoresques. On y trouve tout ce que l’on cherche et tout… ce que l’on cherche pas : de l’Opéra à Guignol, par exemple. L’Opéra de Lyon, bâtiment du XIXe siècle, avec sa salle à l’italienne, présente la particularité, outre ses spectacles éblouissants, d’être recouvert d’une verrière lumineuse due à l’architecte Jean Nouvel, le même qui vient de concevoir l’Opéra de Pékin.
Guignol, lui, est ici dans sa ville. Il y fut créé en 1808 par Laurent Mourguet. Ancien ouvrier de la soie (on disait « canut » à l’époque), a eu l’idée de créer un petit bonhomme de bois, habillé d’une drôle de redingote et coiffé d’un bonnet noir, d’où s’échappe une natte entourée de rubans.
Guignol est une marionnette manipulée par des hommes qui savent en tirer les ficelles. Ils se cachent dans une structure en bois, « le castelet », percé d’une ouverture où se montrent décors et marionnettes. Ce théâtre de foire, héritier du Polichinelle italien, est joué sur les marchés. Guignol raconte la vie des gens simples. C’est un théâtre pour rire. Des scènes satiriques se moquent des riches et des puissants.
Lyon. Parking
Au XIXe siècle, les canuts travaillaient la soie à Lyon sur des métiers créés par Jacquard. Chaque métier était une mécanique lourde, haute de quatre mètres. Il lui fallait de la place. On en trouve dans les anciens couvents ou dans les nouvelles maisons des collines de la Croix-Rousse. Résonne toujours dans les oreilles le souvenir du chant des canuts :
« C’est nous les canuts,
Nous allons tout nus
Mais notre règne arrivera
Quand votre règne finira
Nous tisserons le linceul
du vieux monde
Car on entend déjà la révolte
qui gronde… »
Lyon. Gare Saint-Exupéry
Les canuts, créateurs de sociétés de secours mutuel, de coopératives et de magasins de vente associatif, inspirèrent les penseurs du socialisme.
Autre colline, c’est la colline de Fourvière avec ses pittoresques montées et, tout en haut, la curieuse basilique de Fourvière, ainsi que la réplique modeste mais visible (85 mètres seulement, mais située en haut de la colline) de la tour Eiffel de Paris. Il y a là les traces des anciens quartiers romains.
Il faut se laisser aller à l’aventure dans le vieux Lyon, ses quartiers Saint-Jean, Saint-Paul, Saint-Georges (Lyon fut aussi la capitale religieuse de la chrétienté en Gaule !), ses « traboules » (ou passages voûtés) qui relient les rues principales. Ne pas oublier la presqu’île de Brotteaux entre la Saône et le Rhône et l’inestimable Musée des Beaux-Arts… Bref, il est difficile de quitter Lyon.
2. Monter vers le Jura
Évian. Lac
Peut-être céderez-vous à la tentation de remonter la Saône qui rejoint ici le Rhône, puis de poursuivre votre chemin au long de son affluent le Doubs. Vous longerez le Jura. Nous voilà encore dans une région frontalière avec la Suisse, où l’on parle français.
Au sud, il y a le lac Léman. Sur ses rives, Genève, ville suisse. Et puis Evian, ville française, ville d’eaux, dont la situation favorise l’esprit de négociation. C’est ici que l’on arrêta la guerre d’Algérie.
La région est propice à ces tractations avec l’histoire. Ainsi Jean-Jacques Rousseau est né à Genève le 28 juin 1712. Sa famille protestante est d’origine française. Elle s’est exilée en 1649, au plus fort des conflits religieux qui opposent catholiques et protestants. Rousseau vécut son enfance à Genève. À 16 ans, il est recueilli comme un orphelin par Madame de Warrens à Annecy, en France. Madame de Warrens, de 13 ans son aînée, sera d’abord « sa maman ». C’est lui, qui le dit. Puis sa maîtresse. Il vivra des jours heureux dans la petite maison des Charmettes à Chambéry.
La chapelle de Ronchamp
Voltaire, quant à lui, séjourne quelques années plus tard à Ferney. Ce petit village est situé en France, à quelques kilomètres de la frontière suisse. Lorsque Voltaire arrive à Ferney en 1759, il trouve un pauvre village de 100 âmes. Il y fait édifier un château que l’on peut visiter aujourd’hui. Il fait assécher les marais, développe les métiers et les échanges commerciaux, à tel point que Ferney a multiplié sa population par dix, vingt ans plus tard. Le château lui-même doit être agrandi et Voltaire y accueille des visiteurs de l’Europe entière.
À sa mort en 1778, Catherine II, l’impératrice de Russie, amie de Voltaire et de Rousseau, projette de construire à l’identique le château de Ferney dans le parc de Tsarskoïé Sélo. Elle en fait dessiner les plans, fait faire une maquette et achète la bibliothèque. Si rien n’a été ensuite réalisé, on peut toujours aujourd’hui voir les livres de Voltaire conservés à la Bibliothèque nationale de Russie.
Arc-et-Senans
Cet esprit des Lumières, on le retrouve aussi à Arc-et-Senans. Ici, a œuvré Nicolas Ledoux, un architecte visionnaire. Il a laissé par ailleurs à Paris, des bâtiments qui ponctuent la barrière d’entrée dans la ville : la rotonde de la Villette, celle du parc Monceau, les deux bâtiments encadrant l’entrée de la place de la Nation, avec ce style si particulier du XVIIIe siècle.
À Arc-et-Senans, il eut l’opportunité de rêver. On lui commandait une cité . Nicolas Ledoux établit le plan d’une cité idéale. Les bâtiments sont disposés en demi-cercle fermé. La ligne de diamètre comprend en son centre la maison du directeur. C’est le centre de la vie économique et sociale de la saline. De part et d’autre, les ateliers de travail et le demi-cercle où se répartissent les habitations de 250 travailleurs et de leurs familles.
Le lion de Belfort
Si Nicolas Ledoux ne fit que rêver à sa cité idéale destinée à mêler maîtres et ouvriers où tous produiraient les biens matériels, l’ensemble des bâtiments reste une merveille.
Comment ne pas rebondir de cette merveille de Ledoux sur un petit joyau né au XXe siècle : la chapelle de Ronchamp créée par Le Corbusier. Cet autre architecte de l’Utopie, a conçu une simple chapelle, la plus étonnante, une chape de béton redressée sur un clocher. C’est Notre-Dame du Haut, un extraordinaire lieu de l’architecture religieuse contemporaine.
On est ici près de Belfort et on ne peut négliger son importance pour l’histoire de France. Là, s’érige un lion de fonte énorme, dû au ciseau du sculpteur Bartholdi, celui même qui exécuta la célèbre statue de La Liberté éclairant le monde, envoyée à New York en 1866.
Vignobles
Ce lion, dont on peut voir la réplique plus petite à Paris, symbolise la résistance de l’armée française face aux Prussiens en 1870. On sait que la France perdit dans cette guerre l’Alsace et la Lorraine, qu’elle ne récupéra qu’au prix meurtrier de la guerre de 1914-1918. Belfort, offre le spectacle de ses fortifications et de l’architecture militaire de Vauban et de Louis XIV. Mais ici, c’est Victor Hugo qui impose sa propre image. Le poème Le Siècle avait deux ans, publié en 1831 dans les Feuilles d’automne, évoque ce lieu de naissance :
« Alors dans Besançon,
vieille ville espagnole
Jeté comme la graine au gré
de l’air qui vole
Naquit d’un sang breton
et lorrain à la fois
Un enfant sans couleur,
sans regard et sans voix... »
Cet enfant, c’est le petit Victor. Cette graine, issue du vent, cachait ses ambitions : « Je serai Chateaubriand ou rien », a dit un jour ce géant de la littérature.
À une trentaine de kilomètres de là, c’est un géant de la peinture, né en 1819, que vous rencontrerez : Gustave Courbet. Sa maison natale se trouve à Ornans. Il en a peint les images : gorges, rochers, arbres, scènes de chasse, mais aussi le célèbre Enterrement à Ornans (aujourd’hui au Musée d’Orsay à Paris).
3. Descendre la vallée du Rhône
Église abbatiale de Conques
De Lyon vous pourriez aussi entreprendre de descendre le fleuve en bateau. Rien à voir avec l’époque, où George Sand et Alfred de Musset entreprenaient cette descente sur un fleuve tumultueux. On était en 1833. Stendhal avait déjà écrit Le Rouge et le Noir. Il concevra bientôt son chef-d’œuvre, La Chartreuse de Parme (1839).
George Sand a une liaison passionnelle avec Alfred de Musset. Tous les deux sont sur la route de Venise. Sand, Musset et Stendhal sont au bord du Rhône à Bourg-Saint-Andéol. Musset immortalise Stendhal lancé dans une danse sautillante, vêtu de son haut chapeau et de sa redingote. Voilà une image qui renvoie à celle du petit Henry Bayle (le vrai nom de Stendhal) et à son enfance à Grenoble, sa ville natale, qui n’est pas si loin, de l’autre côté du Rhône.
Grenoble, enserré dans les montagnes, avec son fort de la Bastille, conserve dans le pittoresque de ses vieux quartiers, la maison de Stendhal. Elle est en tous points conforme à ce qu’il décrit dans La Vie d’Henry Brulard.
Mais entamons la descente par la route. Vienne nous attend. La cité multiplie des vestiges de l’époque gallo-romaine et des premiers temps de la chrétienté : théâtre, temple d’Auguste et de Livie, cité gallo-romaine, cathédrale Saint-Maurice.
Grenoble
Le Rhône enserre sa vallée dans le défilé de Saint-Vallier et déjà nous sommes à Tain-L’Hermitage sur les vignobles du côte du Rhône, ceux de Croze-Hermitage. Ils donnent un vin à couleur chaude de rubis, riche en tanin et qui dépasse les 13°. Et là, vous arrivez à Valence. Une vue unique sur les ruines du château de Crussol, forteresse du XIIe siècle. La visite est impressionnante et ouvre un panorama grandiose sur la vallée du Rhône. À Valence, les amateurs de croquis antiques pourront voir les « sanguines » d’Hubert Robert qui a su si bien mettre en scène les ruines romaines. Mais il y a aussi ici le souvenir de Mandrin, ce révolté du XVIe siècle, qui lutta contre les impôts sur le sel. Il fut jugé et exécuté ici. Il est à l’origine de cette complainte si typique des vieilles chansons de France :
« Du haut de ma potence
Je regardais la France
J’y vis mes compagnons, à l’ombre d’un, vous m’entendez
J’y vis mes compagnons, à l’ombre d’un buisson. »
À Valence vous pouvez décider de poursuivre vers la Méditerranée et franchir un nouveau défilé qui s’ouvre sur les paysages de Provence, et tout au bout Marseille et la Côte d’Azur.
4. Suivre une partie de la route
de Saint-Jacques-de-Compostelle
Conques
Mais quelque peu aventuriers, vous pouvez obliquer vers l’ouest et les rudes plateaux du Velay, de la Margeride et de l’Aubrac. Vous êtes ici sur une des principales routes de l’ancien pèlerinage de Saint-Jacques-de-Compostelle. Elle vous mènera vers la merveilleuse église abbatiale de Conques. Ce chemin fut emprunté depuis le Moyen Âge par des centaines de milliers de pèlerins. On en racontait des histoires ! Celle de Jacques d’abord, l’apôtre du Christ, dont le tombeau avait été découvert en 847 dans le champ de l’étoile (campus staellae en latin, devenu Compostelle). On disait que le corps de Saint-Jacques avait été apporté de terre sainte par les flots, couvert de coquilles arrondies, celles que l’on appelle depuis « coquilles Saint-Jacques ». On marchait, un bâton de pèlerin à la main (le bourdon), une besace à l’épaule (la mallette) et une gourde (un chapeau décoré de la fameuse coquille). Le chemin, vous pouvez aujourd’hui le refaire et vous traverserez des paysages magnifiques, témoignages de l’histoire à n’en plus finir.
Au départ de la route, il y a Le Puy-en-Velay, un site extraordinaire, ponctué de clochers et de statues, une vieille ville qui offre le samedi le spectacle pittoresque de son marché qui envahit places et rues étroites. La cathédrale romane Notre-Dame abrite la Vierge noire dont la première statue aurait été ramenée d’Orient par Saint-Louis.
Il faudra voir la ville basse, puis visiter Saint-Michel-d’Aiguilhe, grimper dans les ruelles de la ville haute, visiter la chapelle des reliques, celle des Pénitents.
Conques
Alors on entame la route. On trouve au milieu des paysages sauvages des villages avec leurs églises et leurs fontaines, des prieurés romans, leurs chapelles, des châteaux fortifiés, des hospices qui accueillaient les pèlerins. Partout le symbole de Saint-Jacques, la coquille, est présente, incrustée dans les porches et les murs. L’étape incontournable est celle de Conques. On y vénère les reliques de Sainte-Foy. Des restes de cette martyre du début du IVe siècle avaient été apportés dans cette petite cité au IXe siècle. Ils sont conservés dans un reliquaire qui est une merveille d’art gothique. C’est une statuette en bois recouverte de feuilles d’or, constellées de pierres précieuses avec un visage hiératique qui vous regarde de l’infini. Cette statuette a été faite peu avant l’an 1000. Elle accomplissait le miracle de consoler et guérir les pèlerins.
Mais c’est avant tout au portail d’entrée où il faut s’arrêter. Le tympan est une véritable bande dessinée, soulignée de textes en latin. Peu de profanes savaient le lire. Alors ils se raccrochaient à l’image des scènes sculptées. Écoutons-les et regardons avec eux.
La foule se presse venue de loin. Celle venue des plateaux d’Aubrac a franchi le pont qui donne accès à la ville et payé le péage d’entrée à la cité. Ils descendent par les rues étroites. Là, leur regard est d’abord attiré par le Christ en majesté, la main droite levée, la gauche baissée. Il appuie sur la balance des âmes. Or, elle semble peser du côté de l’enfer où un monstre, le Léviathan, la gueule ouverte s’apprête à avaler les damnés. Céleste où Abraham trônent au milieu des élus, entouré des juges de l’Ancien Testament et des martyrs du Nouveau Testament. Maintenant ils peuvent entrer et vénérer les reliques de Sainte-Foy, avant de poursuivre la route de Compostelle.
Le tympan d’une église n’était pas encore une œuvre d’art, c’était une œuvre qui leur rappelait la précarité du monde et la faiblesse humaine. Et pensez qu’il était aussi coloré de vives couleurs, aujourd’hui effacées.
À voir aussi dans le Massif central :
- les volcans d’Auvergne,
- la ville thermale de Vichy,
- le pays cévenol,
- l’Ardèche et le Quercy.