Je vous salue, ma France
Le Centre avec George Sand, Alain Fournier et Colette
1. Les terres de George Sand
George Sand
Au centre de la France, à six kilomètres au nord de La Châtre, se trouve Nohant, petit village du Berry lié intimement au souvenir de George Sand. C’est là, dans un beau domaine hérité de sa grand-mère paternelle, que « la bonne dame de Nohant » passe son enfance, fait de très longs et fréquents séjours, écrit la plupart de ses œuvres et reçoit les grands de son époque.
George Sand, née Aurore Dupin, descendante d’un roi de Pologne par son père, et d’origine roturière par sa mère qui fut ouvrière à Paris, reçut une éducation libérale. Mariée très jeune au baron Dudevant dont elle eut deux enfants, elle se sépare très rapidement de son mari et monte à Paris mener une vie très libre, « scandaleuse » pour l’époque. Elle s’affiche avec son amant Jules Sandeau, un jeune avocat, se fait couper les cheveux, porte redingote et chapeau haut de forme, fume le cigare et signe en 1832 un roman, Indiana, du nom de George Sand. Sa liaison orageuse avec Musset, leur voyage à Venise font couler beaucoup d’encre.
Elle ne s’installe véritablement à Nohant pour de longs séjours qu’à partir de 1837. Elle y reçoit Liszt, Balzac, Théophile Gauthier, Dumas-fils, Chopin, Delacroix, Flaubert, Tourgueniev et le prince Jérôme Napoléon pour ne citer que les plus célèbres. Elle y écrit la plupart de ses romans « champêtres », ceux qui exaltent la campagne et les mœurs de ses habitants : Le Meunier d’Angibault, La Mare au diable, La Petite Fadette, François le Champi, Les Maîtres sonneurs…
Le château
Aujourd’hui si la maison garde les empreintes de ses visites et de la vie de famille, les environs gardent celles de ses lieux d’inspiration romanesque. La maison a été édifiée au milieu du XVIIIe siècle. Le jardin qui l’entoure fut aménagé par l’écrivain. Amoureuse de la nature, passionnée de botanique , elle y met toute son âme et y consacre beaucoup de temps. Un potager soigné, un verger et ses pommiers rustiques, une roseraie qui accueille deux arbres chinois flamboyants d’or en automne, le petit bois romantique aux multiples variétés de tilleuls, charmes, frênes et érables, – tout nous parle ici de la « bonne dame de Nohant » qui aimait venir sur l’île à l’extrémité du bois s’isoler un livre à la main.
La maison, où chacun trouvait une chambre, grouillait presque toujours de monde. Un hall, avec un bel escalier de pierre, accueillait les invités. Au rez-de-chaussée, ils ne pénétraient pas souvent dans la vaste cuisine, royaume de Marie Caillot, la cuisinière, à qui George Sand avait appris à lire et à écrire. Par contre, la salle à manger, aux larges baies vitrées, donnant sur le parc, aux boiseries peintes en gris où la table était dressée en permanence ainsi que le salon, dont les murs étaient couverts de portraits de famille, leur étaient vraiment réservés. C’est là, que Liszt jouait du piano et Chopin aussi. Ce dernier, qui séjourna à Nohant de longs mois durant tous les étés de 1839 à 1846, fit installer un piano dans sa chambre du premier étage. Les doubles portes capitonnées, destinées à isoler le musicien du bruit, sont restées. George Sand fit de cet espace (après sa rupture avec Chopin) son bureau et sa bibliothèque. On peut les voir aujourd’hui près de sa chambre, la chambre bleue. Chopin composa à Nohant une trentaine de sonates, nocturnes, valses, polonaises qui sont parmi ses chefs-d’œuvre.
Le cimetière
À gauche de la salle à manger, un petit lieu intime, le boudoir, où George habita en attendant son divorce et écrivit ses premiers livres. « J’habitais alors dans l’ancien boudoir de ma grand-mère… Il était si petit qu’avec mes livres, mes herbiers et mes cailloux il n’y avait pas de place pour un lit. J’y suppléais un hamac. Je faisais mon bureau d’une armoire qui s’ouvrait à la manière d’un secrétaire… », nous livre-t-elle dans Histoire de ma vie. On sait qu’elle écrivait la nuit et que contrairement à Flaubert, elle ne revenait jamais sur ce qu’elle avait écrit.
Les invités pouvaient devenir acteurs, le temps d’une soirée, sur la scène du petit théâtre où George faisait tester ses pièces écrites hâtivement par tous ceux qui se trouvaient là, amis, famille et domestiques. À côté, il y avait le théâtre de marionnettes avec ses 150 personnages. Les représentations étaient ouvertes à tous, y compris les simples villageois. La maison était donc inondée de musique et de théâtre.
La mare au diable
George Sand s’éteignit le 8 juin 1876, dans la chambre bleue, sous le regard des deux cèdres qu’elle avait plantés à la naissance de ses enfants, avec ce dernier murmure : « Laisser verdure ». La chaise longue, où elle reposait, est aujourd’hui encore là, tournée vers les deux cèdres maintenant grandis... Elle avait écrit dans Histoire de ma vie : « Cette terre de Nohant où j’ai été élevée, où j’ai passé toute ma vie et où je souhaiterais pouvoir mourir ». Son vœu fut accompli. Elle est enterrée dans le petit cimetière familial, accessible par le jardin.
Pour notre plus grand bonheur, les alentours de Nohant sont très évocateurs des lieux qui inspirèrent une bonne partie de l’œuvre. Bien sûr, il y a La Châtre, la ville obligée de passage lorsqu’on se rendait à Nohant. « C’est vers La Châtre que le Berry prend du style et de la couleur…Toutes les hauteurs sont boisées, c’est ce qui donne à nos lointains cette belle couleur bleue qui devient violette et quasi noire dans le temps orageux », écrit George Sand. Elle nous invite à la flânerie dans « cette ville tant aimée…les vieilles maisons, les ruelles, les petits escaliers tremblants, l’église endormie sous ses toitures pentues… ».
George Sand
Entre La Châtre et Nohant, le château de Saint-Chartier a servi de cadre aux Maîtres sonneurs, car George Sand a accompli un énorme travail pour la sauvegarde des musiques traditionnelles. Aujourd’hui, en ce lieu se tiennent chaque année les Rencontres internationales de luthiers et Maîtres sonneurs.
Au nord de Nohant, Corlay le pays de François le Champi. Tout près dans les bois, « la mare au diable », une petite mare entourée de feuillus et plantée d’une croix en son milieu. C’est le lieu symbolique d’un roman de George Sand auquel il donne son nom : « C’est un mauvais endroit et il ne faut pas s’en approcher sans jeter trois pierres dedans de la main gauche en faisant le signe de croix de la main droite. Ça éloigne les esprits. Autrement, il arrive malheur à ceux qui en font le tour ». De « la mare au diable » émane une grande force mystérieuse. George Sand avait recueilli les superstitions et légendes du Berry et son recueil Légendes rustiques est peuplé d’êtres fantastiques.
Nohant. L’église
Non loin, le château de Sarzay, ancienne forteresse féodale des XIVe et XVe siècles se situe une partie du roman Le Meunier d’Angibault. Il est décrit comme « un castel assez élégant, un carré long renfermant à tous les étages, une seule grande pièce avec quatre tours, contenant de plus petites chambres aux angles ». On peut voir aussi le Moulin d’Angibault avec sa roue toujours en état de marche et la Tour Gazeau datant du XIIIe siècle, demeure du Bonhomme Patience philosophe et personnage clé de Mauprat.
George Sand nous la présente ainsi : « … Au milieu des bois, une vieille tour isolée, célèbre par la mort tragique d’un prisonnier que le bourreau, étant en tournée, trouva bon de pendre sans autre forme de procès, pour complaire à un ancien Mauprat, son seigneur ». L’action de Mauprat se situe à Saint-Sévère-sur-Indre. Mais peut-être rechercherez-vous ici le décor du célèbre film de Jacques Tati Jour de fête.
Nohant. La maison de George Sand
Et puis, il y a Gargilesse, petit village à une cinquantaine de kilomètres de Nohant. George le découvre d’abord en 1848 lors d’une escapade avec Chopin. Elle y revient lors d’une chasse aux papillons en 1857 avec son fils Maurice et son amant Alexandre Manceau. Ce dernier y achète une minuscule maison de deux pièces, « la Villa Algira » qui deviendra, des années durant, un refuge pour George Sand. Elle fuit Nohant « devenu un hôtel », où l’agitation n’est pas propice à la création. La modeste maison renferme des souvenirs de l’écrivain. Les pittoresques paysages alentours sont ceux de la vallée de la Creuse. Une école de peinture s’y établit dès 1850. Des œuvres des peintres de cette école peuvent s’admirer au Musée de la Vallée Noire de La Châtre.
2. Les terres d’Alain Fournier
Nohant. La cuisine
Des paysages vallonnés nous mènent à une trentaine de kilomètres à l’est de La Châtre, à Épineuil-le-Fleury. Bien que toujours dans le Berry, nous quittons les terres de George Sand et pénétrons dans celles d’Alain Fournier, auteur d’un grand roman publié en 1913 Le Grand Meaulnes, en partie autobiographique. Alain Fournier est mort le 22 septembre 1914 dans les batailles du début de la Première Guerre mondiale, à l’âge de 28 ans.
Au centre du village d’Épineuil-le-Fleury se trouve encore l’école où le père et la mère de l’auteur furent nommés instituteurs. Dans cette école, aujourd’hui transformée en musée, on peut voir le logement de fonction, les deux belles salles de classe et le grenier. Alain Fournier vécut jusque en 1902 dans cette « longue maison rouge, avec cinq portes vitrées sous des vignes vierges à l’extrémité du bourg. Tel est le plan de cette demeure où s’écoulèrent les jours les plus chers de ma vie… », comme il la décrit dans une des nombreuses lettres de sa très belle correspondance.
La chambre d’Alain Fournier
Épineuil-le-Fleury est le lieu d’inspiration du Grand Meaulnes où il apparaît sous le nom de Sainte-Agathe. Le héros du roman est François Seurel, fils d’instituteur. Il se lie d’amitié avec Augustin Meaulnes. Une escapade buissonnière mène Meaulnes dans un château à demi en ruines. La recherche du chemin perdu et de l’amour perdu devient l’axe central du roman. Après de nombreuses péripéties, François retrouve la jeune fille qui n’a cessé de penser à Meaulnes. Elle s’appelle Yvonne le Galais et il part ramener Meaulnes auprès d’elle. Les lecteurs qui ont lu le roman connaissent la complexité de l’intrigue et de la fin et nous laisserons aux autres le bonheur de la découverte.
Dans la maison, la visite du grenier est une des plus évocatrices du roman. C’est là, que se trouvait la chambre des deux garçons : « …Et toute la nuit, nous sentions autour de nous, pénétrant jusque dans notre chambre, le silence des trois greniers ».
L’école d’Épineuil
Le Grand Meaulnes n’est pas qu’une belle histoire romantique. Il nous plonge également dans une littérature de rêve et d’émotion pure, dans un imaginaire où le mystère des êtres et des paysages relève du symbolisme.
Alain Fournier
Pour écrire ce roman, Fournier s’inspira d’un événement qui hanta toute sa courte vie, la rencontre en 1905 avec une jeune femme, Yvonne de Quievrecourt : « Tout mon rêve au soleil n’aurait jamais vous espérer si belle. Et pourtant, tout de suite, je vous ai reconnue ». Cette unique rencontre lui inspira un amour fou. Elle se marie en 1907, il apprend en 1909 qu’elle a deux enfants et la revoit en 1913 où ne voulant pas entretenir une relation d’amitié, il la quitte définitivement.
Le souvenir d’Alain Fournier se trouve également à la Chapelle d’Angillon (appelé dans le roman la Ferté d’Angillon). Il y est né le 3 octobre 1886. On visite aujourd’hui cette « petite maison basse, à l’époque sans étage, modeste mais coquette précédée d’un petit mur de pierre orné de pots de géraniums et de résédas et couverte, comme toutes les maisons de ce temps, d’une vigne grimpante qu’encadraient les fenêtres basses… ».
Le tableau dans la classe
La campagne autour de la Chapelle d’Angillon joua un grand rôle pour l’élaboration du Grand Meaulnes. À six kilomètres, se trouvent les ruines de l’abbaye de Loroy qui fut sans doute la source d’inspiration du domaine mystérieux. À une vingtaine de kilomètres au nord, à Nançay, en Sologne se trouve la maison de Florent Raimbault, l’oncle Florentin du Grand Meaulnes. Elle abrite un magasin de cadeaux héritier du « magasin universel » décrit dans le livre.
Mais restons un peu à la Chapelle d’Angillon. Après la visite de la maison, on peut toujours y voir la mairie-école avec la salle du conseil, telle que décrite avec minutie dans le roman et se rendre au petit cimetière attenant à l’église où sont inhumés les parents et grands-parents de notre auteur. Et écoutons encore l’incomparable façon dont Alain Fournier décrit ce lieu aimé : « Il est vrai que ce pays-ci je ne l’ai jamais aimé d’amour : ce n’est qu’une amitié si intime qu’elle est plus essentielle en moi que de l’amour…Et cette amitié qui est toute mon existence, voici que je vais te la montrer et c’est plus décisif que de te présenter une amante. » (lettre du 29 août 1907).
Il faut parcourir à pied, en vélo, en voiture le département du Cher au travers du Berry, du Bourbonnais et de la Sologne, trois régions pleines de grâce, de charme et de mystère pour le plaisir de cette belle campagne mais aussi pour Le Grand Meaulnes, qui est selon l’auteur comme on l’avait si bien compris « une histoire qui pourrait être la mienne ». Elle pourrait aussi être la vôtre et c’est ce qui la rend si précieuse. C’est sans doute pourquoi le charme et le mystère de cet unique roman opère toujours.
3. Le pays de Colette
En quittant la Chapelle d’Angillon, à une quarantaine de kilomètres vers l’est, on entre en Puysaye, le pays de Colette. Un pays de bocages, de collines boisées. Là, nous visitons un bourg Saint-Sauveur-en-Puysaye : « Chers bois ! Je les connais tous…Dieu, que je les aime ! J’ai vécu dans ces bois dix années de vagabondages éperdus, de conquêtes et de découvertes… ». Ainsi débute le premier roman de Colette Claudine à l’école.
Sidonie Gabrielle, fille de Jules Colette, est née à Saint-Sauveur le 28 janvier 1873. Elle y passe les meilleures années de son enfance. Elle épouse à 20 ans un écrivain mondain qui lui fait rédiger la série des Claudine et sous le pseudonyme de Willy. L’évocation de sa terre natale, de son village, de sa maison apparaît dans de nombreux romans : « Des maisons qui dégringolent depuis le haut de la colline jusqu’au bas de la vallée ; ça s’étage en escalier au-dessous d’un gros château rebâti sous Louis XV et déjà plus délabré que la tour sarrasine, basse, toute gainée de lierre qui s’effrite par en haut un peu chaque jour ». La tour du XIIe siècle est toujours là ; le château aussi. Dans celui-ci a été aménagé le Musée Colette qui nous présente sa vie, son œuvre. De nombreuses photos, ainsi que des bandes sonores des textes de Colette, accompagnés de morceaux divers de piano, nous font découvrir ses passions, sa carrière. Le salon et la chambre qu’elle occupait sont reconstitués. La muséographie nous fait pénétrer dans un univers baigné de couleur bleue, la couleur préférée de Colette. Elle nous fait monter par un bel escalier dont chaque marche porte un titre de son œuvre.
L’école où Colette faisait ses études
La maison natale de Colette ne se visite pas. Une plaque est apposée sur la façade. La petite chambre de Colette se trouvait au-dessus du portail. Les photos nous montrent une petite fille, puis une jeune fille qui paraissait « heureuse » dans cette maison. Sa mère Sido qui épousa en secondes noces Jules Colette la surnommait Minet-Chéri ou Gabri. Elle avait deux frères : Achille et Léo. On peut imaginer cette petite fille aux longues nattes serpenter les deux rues la menant à la vieille école : « J’allais à l’école entre deux murs de neige plus hauts que moi », dit-elle dans Claudine à l’école. Cette école, la petite Gabrielle l’aime, elle y est à la fois espiègle et très bonne élève : « Je n’ai jamais eu de camarades de mon espèce, car les rares familles bourgeoises de Montigny envoient leurs enfants en pension au chef-lieu... »
L’éducation de Colette se fait donc là, mais surtout dans la nature ou dans le jardin. Elle confectionne un herbier, apprend tout sur les plantes, les oiseaux, les animaux, vénère la nature. Plus tard, dans Sido elle se remémore : « Il y avait en ce temps là de grands hivers, de brûlants étés... »
Ce bonheur champêtre, est musical aussi, puisque Colette chantait accompagnée de ses frères au piano et à l’orgue, mais également livresque dans une maison remplie de livres où Colette dit avoir lu dès l’âge de 10 ans Mérimée, Daudet, Hugo, Balzac. Ce bonheur est interrompu brusquement par les difficultés de Colette qui, endettée, doit quitter Saint-Sauveur en 1891. Alors, adieu, à la maison adorée : « Avant de franchir la grille, je souris à ma maison», se souvient-elle dans Claudine en ménage. Si elle ne cesse de revenir à Saint-Sauveur dans ses romans et nouvelles, elle le fit rarement dans la réalité. Elle préféra laisser intact le souvenir de cette enfance où elle fut « reine de la terre ».