Je vous salue, ma France
Illiers-Combray avec Marcel Proust
Marcel Proust
« Combray de loin ce n’était qu’une église résumant la ville et, quand on approchait, le dos gris des maisons rassemblées… ». C’est ainsi que Combray est présenté dans le premier tome de À la recherche du temps perdu. Illiers c’est un petit bourg situé à 20 kilomètres à l’ouest de Chartres, « où une rue porte le nom de Papa, une autre – celui de mon oncle, où mon grand-père était épicier... ».
C’est dans la maison de Jules et Élisabeth Amiot, l’oncle et la tante, que le jeune Marcel passe ses vacances, à partir de l’âge de 6 ans. On est en 1877, et trois ans plus tard ses crises d’asthme l’éloignent de ce lieu. Il a 15 ans lorsqu’il y revient pour la dernière fois à la mort de sa tante, en septembre 1886. En 1971, Illiers a été rebaptisé Illiers-Combray, à l’occasion du centenaire de la naissance de l’écrivain. C’est un cas unique en France d’une ville rebaptisée pour rendre hommage à une œuvre littéraire.
Depuis 1972, la maison des Amiot est devenue le Musée Marcel Proust. Dans chacune des pièces plane l’atmosphère de Du côté de chez Swann. Pénétrons dans cette maison par la grande grille qui porte toujours une clochette et un grelot : « Les soirs, où assis devant la maison sous le grand marronnier, autour de la table de fer, nous entendions au bout du jardin le double tintement de la clochette, tout le monde se demandait : “Une visite qui cela peut-il être ?” Mais on savait bien que cela ne pouvait être que M. Swann ». Et nous voici face à un protagoniste principal de À la recherche…
Chambre de Marcel
La maison a été recouverte de crépi et de carreaux d’inspiration orientale par l’oncle Amiot, grand passionné d’Orient. Il fait même bâtir une Orangerie où s’épanouissent des plantes exotiques.
Combray
Nous circulons dans la salle à manger où notre auteur, héros du roman, n’avait « pour compagne très respectueuse de la lecture que les assiettes peintes accrochées au mur », puis nous traversons le salon oriental, jetons un coup d’œil dans la cuisine où « Ernestine comme Vulcain dans ses forges attisait le feu » et montons l’escalier qui mène à la chambre de l’enfant. C’est là, que nous entrons véritablement dans l’univers de ce petit être hypersensible. L’escalier, c’est l’angoisse de monter dans sa chambre, d’être séparé de sa mère, de devoir allé se coucher : « Ma chambre à coucher redevenait le point fixe et douloureux de mes préoccupations ».
Petites Madeleines
Attardons-nous dans cet espace et remémorons-nous l’épisode de la lettre à la mère. Les parents reçoivent des invités et l’enfant a été envoyé se coucher de bonne heure. « Une fois dans ma chambre, il fallut boucher toutes les issues, fermer les volets, creuser mon propre tombeau en défaisant mes couvertures, revêtir le suaire de ma chemise de nuit ». Il ne supporte vraiment pas cet isolement et tente une ruse pour voir sa mère : « J’écrivis à ma mère en la suppliant de monter pour une chose grave que je ne pouvais lui dire dans ma lettre ». Il tente alors de convaincre la cuisinière Françoise, qui s’occupait de lui, de porter cette lettre en bas : « Aussitôt mon anxiété tomba ; maintenant ce n’était plus comme tout à l’heure pour jusqu’à demain que j’avais quitté ma mère puisque mon mot allait me faire entrer invisible et ravi dans la même pièce qu’elle, allait lui parler de moi à l’oreille… Maintenant je n’étais plus séparé d’elle ; les barrières étaient tombées, un fil délicieux nous réunissait. Et puis ce n’était pas tout. Maman allait sans doute venir ».
Illiers-Combray
L’étage abrite également d’autres chambres dont celle de tante Léonie. Son image est liée à des petites madeleines que l’on trempait dans du thé le dimanche matin. C’est ce souvenir qui fit surgir tout Combray à notre héros et est à l’origine des pages les plus célèbres : « Il y avait bien des années que de Combray tout ce qui n’était pas le théâtre et le drame de mon coucher n’existait plus pour moi, quand un jour d’hiver, comme je rentrais à la maison, ma mère voyant que j’avais froid, me proposa de faire prendre contre mon habitude un peu de thé… Elle envoya chercher un de ces gâteaux appelés Petite Madeleine. Et bientôt, machinalement, accablé par la morne journée et la perspective d’un triste lendemain, je portais à mes lèvres une cuillère de thé où j’avais laissé mollir un morceau de madeleine. Mais à l’instant même où la gorgée mêlée de miettes de gâteau toucha mon palais, je tressaillis attentif à ce qui se passait d’extraordinaire en moi. Un plaisir délicieux m’avait envahi … D’où avait pu me venir cette puissante joie ? Je sentais qu’elle était liée au goût du thé et du gâteau, mais qu’elle le dépassait infiniment, ne devait pas être de la même nature. » Les paysages alentour sont eux aussi évocateur de l’œuvre. Pour l’heure, nous sommes vraiment du « coté de chez Swann » et avant de quitter Illiers-Combray, allez flâner dans le Pré Catelan, sur le bord du Loir. C’est un bel espace parsemé de petites constructions orientales et de grottes artificielles. Et enfin, entrez dans l’église décrite par Proust comme un vieil édifice « qui avait contemplé Saint-Louis et qui semblait le voir encore ».
Il est temps de partir, de quitter cet univers, mais attention de ne pas oublier d’acheter quelques « petites madeleines » à la boulangerie locale. Si elles ne nous font pas le même effet qu’à Marcel Proust, elles nous donneront sans aucun doute l’envie de nous plonger dans son œuvre et de revenir et revenir à Illiers-Combray.