Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №7/2009

Les Routes de l’Histoire

Janine NEBOIT-MOMBET

La Russie vue par la presse locale à Vichy (1880-1891)

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Vichy. Hôtel de ville

Il m’a paru intéressant d’aborder les liens entre Vichy et la Russie en puisant dans la presse locale tout ce qui pouvait concerner ce pays. L’étude porte sur une période de dix ans, de 1881 à 1891. Pourquoi ces dates ? En 1881, la République est bien installée. La France a avec la Russie des préoccupations communes : la crainte de la montée des mouvements sociaux, des attentats, l’expansion coloniale, et, surtout, elle cherche une alliance contre l’Allemagne. Qui, mieux que la Russie, pourrait la défendre en prenant l’ennemi en tenaille ? 1891, c’est la conclusion d’un accord, qui se concrétisera bientôt en un traité d’alliance militaire. L’Allemagne est un tiers invisible, mais toujours présent quand il est question de la Russie, dans la presse française. Ajoutons à cela les intérêts économiques : les Français seront les plus gros souscripteurs à l’emprunt russe et contribueront largement au développement industriel, en particulier dans le domaine ferroviaire.

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Vichy

Bien sûr, les arrivées des Russes illustres sont signalées dans tous les journaux. Il y a des habitués de la station, comme le général Dolgoroukov, le grand duc Alexis, frère du tsar Alexandre III, le général Annenkov, « constructeur » du chemin de fer transcaspien et beau-frère d’Eugène Melchior de Voguë, diplomate et écrivain français qui fit connaître en France la littérature russe par son ouvrage Le Roman russe, paru en 1886, le prince Orlov, ambassadeur de Russie en France…

Les articles peuvent être classés en plusieurs rubriques. La politique est au premier rang et souvent en première page.

Une autre préoccupation domine dans tous les journaux : la cure thermale. Les Russes figurent en troisième position pour le nombre de curistes, après les Anglais et les Américains. Les Russes qui viennent à Vichy sont particulièrement riches et particulièrement dépensiers.

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Alexandre III

La presse s’intéressera à l’économie et aux finances : c’est la période de l’emprunt russe. Il sera, par contre, peu question de la vie quotidienne en Russie, dont le lecteur ne saura presque rien.

La vérité première, indiscutable, est exprimée par exemple dans L’Avenir de Vichy du 16 septembre 1883 : « La France n’a rien à craindre de la Russie et ses intérêts n’ont rien à souffrir de ceux de l’Empire du Nord ».

Il y a malgré tout un problème : cette France est républicaine, et la Russie est une monarchie très autocratique. « Le tsar, c’est Alexandre III. Nouvel empereur après l’assassinat de son père. Né en 1845. Épouse la fille du roi de Danemark, la princesse Dagmar. Beau-frère du prince de Galles, du roi de Grèce, du prince royal de Danemark et du duc de Cumberland. Passe pour hostile à l’Allemagne et pour avoir des sympathies pour la France. Style russe très accentué, très grand, très fort, porte toute la barbe depuis la guerre de Turquie en 1878. » Pour les Français, Alexandre a fait un bon mariage, puisque la tsarine « comme Danoise… déteste les Allemands qui ont fait tant de mal à son pays. »

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Le grand duc Alexis

Dans son numéro du 4 novembre 1883, le journal fait état, du manque de liberté en Russie : « Ce n’est pas seulement en France, que le régime monarchique s’est montré constamment hostile à la diffusion de la liberté, et a cherché ses moyens d’action dans l’oppression. Ce qui se passe aujourd’hui dans la plupart des États monarchiques de l’Europe tend à démontrer que c’est l’essence même de cette forme de gouvernement et que plus il est personnel, plus il est ennemi de la liberté. Il suffit pour s’en convaincre, de regarder ce qui se passe en Allemagne et surtout en Russie, où le nihilisme, de plus en plus menaçant, revendique les droits politiques et sociaux que possèdent la plupart des autres nations ».

Toujours dans L’Avenir de Vichy (30 septembre 1883) un article intitulé Questions franco-russes déplore la méconnaissance des Russes par les Français. La comparaison n’est pas toujours en faveur de ces derniers.

« Grâce à notre paresseuse suffisance, nous sommes, nous autres Français, d’une ignorance épaisse en ce qui concerne les mœurs et même l’histoire des nations modernes. Ces nations, même celles qui sont nos voisines directes, ne nous apparaissent qu’à travers un brouillard de légendes et de préjugés, avantageux pour notre amour-propre, mais fort préjudiciables à nos véritables intérêts nationaux, car il en résulte toujours que nous ne savons pas discerner quels sont nos amis et nos ennemis. La Russie est bien des nations de l’Europe celle qui est la moins connue des Français […] Le Russe a toutes les qualités natives du caractère français et il est exempt de la quantité d’insupportables défauts qui nous rendent parfois de si désagréable voisinage. Il est sérieux et croyant. Nous sommes sceptiques ou superstitieux et souvent frivoles. Il comprend le rôle tutélaire de l’autorité et en respecte les représentants ; il aime ses gouvernants plus qu’il ne les craint, tandis que nous regimbons toujours contre elle et que nous ne voyons dans nos gouvernants que des maîtres tyranniques. »

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La princesse Dagmar

« Ce respect de l’autorité et des traditions qui s’y rattachent, cet amour du peuple Russe pour son Empereur (le Père), la forte organisation et le caractère actif et laborieux de la nation, lui assurent dans le monde une place encore plus importante que celle qu’elle y tient. Si la réforme sociale, - cette métamorphose qui travaille les nations modernes, s’accomplit sagement et lentement, et n’épuise pas ce pays, comme elle l’a fait pour d’autres nations, avant un siècle, la Russie sera le plus puissant Empire du monde. Nul peuple du monde n’a eu un développement et une croissance aussi rapides. »

La Semaine de Cusset-Vichy est plus prolixe sur les défauts du régime tsariste. Le nihilisme naît de l’absolutisme et la révolution en Russie est « de plus en plus menaçante ». Le 13 mai 1882, le journal consacre à la fois son Bulletin politique et sa Lettre parisienne aux pogroms qui ont eu lieu dans plusieurs villes russes. En 1886, ce sont les troubles dans les Balkans (Bulgarie) et le conflit russo-anglais en Afghanistan qui inquiètent... pour le devenir de la cure : « Nous aimerions mieux voir les Russes et les Anglais se donner des poignées de mains près de nos sources que d’échanger des coups de fusil dans l’Asie centrale. »

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Vichy. Palais des sources

L’Avenir de Vichy fait état le 1er décembre 1889 de statistiques de mortalité en Russie, les pires d’Europe, ce que l’article met en rapport avec le manque de médecins : « Toute la Russie, avec son immense population, ne compte que 15 414 médecins réguliers, et 1 chirurgien pour 100 000 habitants. Ainsi la moitié seulement des enfants nés en Russie parvient-elle à l’âge de 7 ans. Sur 1 000 de ces enfants, 480 à 490 atteignent 21 ans et sur ce nombre 375 seulement sont bien conformés. » Alors qu’en France la mortalité est passée de 22,5 à 19 pour 1 000 après la promulgation de la loi de salubrité publique de 1872.

Mais ce qui attire le plus les Russes, c’est le Cercle International de jeux, fréquenté par les plus grands (le prince Troubetskoï et le prince Galitsine entre autres). Leur réputation de richissimes est source d’escroqueries.

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Vichy

« On parle russe, on a un nom en “off” qui sonne comme un sac de roubles ; on place, ainsi qu’un plumet à un shako, un “de“ à ce nom en “off”, pour en rehausser l’effet. Ainsi galonné sur titre, on avise dans un cercle quelconque un jeune homme imberbe dont la figure joviale indique le cœur neuf et l’âme ouverte. On a bientôt acquis la conviction qu’il ne sait rien du revers des choses de la vie. On s’insinue dans sa confiance par une bonhomie jouée de compagnon agréable et facile ; puis, brusquement, on lui emprunte cinq louis.

Qui pourrait refuser cinq louis à un aimable homme qui a un nom en “off” et le titre de prince ? » (La Semaine de Cusset-Vichy, 14 juillet 1883)

Et, pour couronner le tout, L’Avenir de Vichy du 17 août 1890 publie l’annonce de la naissance et les statuts de ce qui sera la première association d’amitié avec la Russie, « une Société patriotique, dont on comprendra toute l’importance en considérant le but qu’elle poursuit ». La Société « travaillera à faire connaître le grand Empire du Nord, sa civilisation, ses intérêts extérieurs, qui sont connexes avec ceux de la France ; à développer et à faciliter les relations, déjà très actives, entre les deux pays ; à sauvegarder, dans la limite de ses moyens, leurs rapports d’amitié et d’intérêts. » Le Comité fondateur rassemble aristocrates, généraux, amiraux, ingénieurs, explorateurs et même les femmes sont admises ! Les Russes peuvent devenir membres honoraires et ne paient pas de cotisation.

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