Lettres d’information
Vendredi 13
Jour de chance ou de malchance ?
Qu’on le craigne ou qu’on en célèbre les mystérieuses vertus, le vendredi 13 n’est décidément pas un jour comme les autres.
Généralement, on en compte toujours deux ou trois. Mais, cette année, c’est le seul du calendrier. Pour le plus grand bonheur de ceux qui redoutent son influence maléfique et pour le plus grand malheur de la Française des jeux, qui n’aura qu’un unique jackpot en 2008. Le vendredi 13. Une croyance populaire typiquement occidentale, une sorte de folklore dont les effets tantôt bénéfiques, tantôt malfaisants continuent à faire frissonner des millions de Français, dont 50 % seraient superstitieux, d’après un sondage Ipsos de 2006. Ce vendredi 13 juin 2008, certains resteront donc terrés chez eux. D’autres, au contraire, se rueront dans les bureaux de tabac pour signer quelques grilles du Loto, espérant que cette date magique fera basculer leur destin. Car, s’il suffit de changer de trottoir pour éviter une échelle, de cracher lorsque l’on croise un chat noir ou de balancer une pincée de sel au-dessus de l’épaule quand on renverse la salière, les paraskévidékatriaphobes – appellation poétique des terrorisés du vendredi 13 – eux, ne peuvent rien y faire : ils devront, méfiants, regarder passer les vingt-quatre heures que compte cette journée maudite, neutralisant le mauvais œil qui avec une patte de lapin, qui avec un fer à cheval, qui avec un trèfle à quatre feuilles.
Mais pourquoi, après des siècles de règne cartésien, la magie qui entoure le vendredi 13 est-elle toujours aussi vivace ? « Le vendredi 13 est l’association d’un jour et d’une date maléfique », explique Eloïse Mozzani, auteur d’un Livre des superstitions, paru aux éditions Robert Laffont. Le vendredi, d’abord. « C’est le jour de la mort du Christ. Au Moyen Âge, on avait l’habitude de situer tous les événements funestes de la vie religieuse ce jour-là : le jour où Adam et Ève furent chassés du paradis, où Caïn tua son frère Abel, où saint Jean-Baptiste fut décapité... Vendredi est aussi le jour des pendus dans les pays anglo-saxons. Ainsi, il est considéré comme bon de ne rien faire ce jour-là : ni débuter un travail, ni voyager, ni négocier... » Son acolyte, le chiffre 13, n’est pas mieux loti côté réputation, bien au contraire. Il a, même seul, une charge symbolique très lourde. Si la première explication – et la plus connue – de la peur du 13 se réfère à la Cène, où Jésus était entouré de ses 12 apôtres, dont le traître Judas, on dénombre de nombreuses autres origines : « Le chapitre 13 de l’Apocalypse concerne l’Antéchrist et la Bête, l’arcane 13 au tarot présagerait la mort. Et puis il y a aussi l’idée que ce chiffre ne peut être divisé, contrairement au 12, qui le précède et qui, lui, représente l’harmonie parfaite », ajoute Eloïse Mozzani.
Depuis quelques années, pourtant, le vendredi 13 est passé de l’ombre à la lumière, de la poisse à la veine. Si le vendredi seul ne fait plus peur depuis bien longtemps – devenu jour de RTT par excellence, il est plutôt attendu comme un jour béni des dieux – le chiffre 13 est en passe de devenir un vrai porte-bonheur. Les gentils organisateurs du loto ne sont pas pour rien dans l’affaire. « Depuis quelques années, comme pour conjurer le sort, certains se sont mis à jouer à la loterie, dans l’idée du “malheureux en amour, heureux au jeu”. La Française des jeux s’est engouffrée dans la brèche et a fait un tabac », confie Eloïse Mozzani. En effet, 36 % de Français ne jouent au Loto que les vendredis 13. Et ce quel que soit le milieu ou le niveau d’études. Face aux superstitions, nous sommes tous logés à la même enseigne. « La culture et le niveau d’instruction n’ont aucune incidence sur le fait d’être superstitieux ou non, conclut Eloïse Mozzani. « Les superstitions sont une réponse à la peur et à l’ignorance. C’est un tranquillisant à bon marché. Dans ce domaine, on n’est pas dans l’erreur ou la vérité. C’est une sorte de chaudron mental que chacun accommode à sa guise. »
3 questions à Luce Janin-Devillars psychologue clinicienne
Qu’est-ce que la superstition ?
La superstition relève de la pensée magique. Grâce à elle, le petit enfant, persuadé d’être le maître du monde, a le sentiment de pouvoir obtenir tout ce qu’il désire et empêcher ce qu’il craint qu’il n’arrive. La superstition est en quelque sorte le résidu de cette pensée magique. C’est aussi une sorte de permanence de la pensée primitive des premiers hommes. Cette pensée se fonde sur la coïncidence fortuite. Quand deux événements se produisent simultanément, la pensée primitive croit que l’un des événements est la cause de l’autre...
En quoi peut-elle avoir un impact sur la vie quotidienne ?
La superstition n’a rien à voir avec la réalité. La personne superstitieuse a beau se dire que ce n’est pas vrai, qu’il ne se passera rien de spécial ce vendredi 13, elle ne peut s’empêcher d’y croire. Elle se dit : « Je sais bien, mais quand même... » Plus les gens sont gangrenés par la superstition, plus ils ont peur. Parfois, ils vont même jusqu’à donner raison à la superstition. Dans une sorte de prédiction performative, la superstition agit comme une programmation mentale : je me suis tellement conditionné à avoir un accident que je finis par en avoir un.
Est-il difficile de s’en débarrasser ?
Les superstitions sont très dures à vaincre, car on a beau essayer de rationaliser, c’est toujours le cerveau émotionnel qui prend le dessus.
(d’après Catherine ROBIN)