Les Routes de l’Histoire
Alla CHEÏNINA
Une certaine Marie-Antoinette (1755-1793)
(Suite. Voir N°8/2009)
Marie-Antoinette
Epouse de Louis XVI, Marie-Antoinette reste l’une des plus célèbres reines de France. Par son comportement léger et irréfléchi, par son indifférence à la souffrance du peuple, elle a suscité la haine et l’a sans cesse alimentée. Contre-révolutionnaire convaincue, elle n’a cédé en rien aux insurgés, avec une force et un courage qu’on ne lui soupçonnait pas. Celle que le peuple appelait « l’Autrichienne » ou « Madame Déficit » semble avoir elle-même tracé son chemin vers l’échafaud.
Un dernier triomphe du roi Louis XV : l’union avec l’ennemie de longue date, l’Autriche. On espère ainsi resserrer l’alliance avec l’Autriche et contenir l’agressivité de la Prusse et de l’Angleterre. Depuis sept ans, la France et l’Autriche sont réconciliées et en 1770, le mariage du Dauphin, petit-fils de Louis XV, avec une archiduchesse vient sceller cette alliance que d’aucuns persistent à trouver contre nature et qui inquiète l’impératrice elle-même. Le futur Louis XVI a à peine plus de quinze ans. Sa fiancée, en a quatorze. Les négociations durent depuis une dizaine d’années quand, enfin, elles se concrétisent par le mariage de Louis le Dauphin (futur Louis XVI), le petit-fils de Louis XV, avec la quatrième fille de la toute puissante impératrice Marie-Thérèse d’Autriche qui règne à Vienne, archiduchesse Marie-Antoinette de Habsbourg-Lorraine. À peine a-t-elle vu la lumière du jour que sa mère la destine déjà à épouser le petit-fils aîné de Louis XV, roi de France. Enfin ce projet va être réalisé. Marie-Antoinette passe une enfance encadrée par les diverses gouvernantes chargées de son éducation. Toutefois, son éducation se base plus particulièrement sur l’apparence que sur la connaissance. Elle apprend à se maintenir correctement, à danser et à jouer de la musique mais les lettres, les langues et l’histoire restent longtemps pour elle des domaines inexplorés. Elle grandit ainsi dans une atmosphère moins rigoureuse qu’à Versailles, loin des contraintes et proche de la nature. Qu’est-ce qui attend cette enfant en France, loin de ses proches ? Les reverra-t-elle encore ?
Marie-Antoinette
Marie-Antoinette quitte Vienne, et le cortège se dirige vers la France. Les noces ont lieu le 16-17 mai 1770. Pour les jeunes mariés, on organise une fête digne de Versailles, d’où règnent tous les rois depuis Louis XIV. Que ressent la future dauphine en se faisant vêtir et parer pendant trois heures le jour de ses noces ? Elle a vu Louis pour la première fois deux jours auparavant. Elle se laisse coiffer et parfumer, comme absente. La robe somptueuse accentue sa silhouette élancée. Elle est belle, on l’admire. Voici le portrait de Marie-Antoinette lorsqu’elle devient la dauphine. 1 « Cette princesse est d’une taille proportionnée à son âge, et telle que l’est une jeune personne qui n’est pas encore formée. Elle est très bien faite. Ses cheveux sont d’un beau blond ; on juge qu’ils seront un jour d’un châtain cendré. Elle a le front beau, la forme du visage d’un ovale beau, mais un peu allongé, les sourcils aussi bien fournis qu’une blonde peut les avoir. Ses yeux sont bleus et jouent avec une vivacité pleine d’esprit, son nez est aquilin, sa bouche est petite, ses lèvres sont épaisses, surtout l’inférieure qu’on sait être la lèvre autrichienne. La blancheur de son teint est éblouissante, et elle a des couleurs naturelles qui peuvent la dispenser de mettre du rouge. Sa dignité est tempérée par sa douceur, et il est difficile, en voyant cette princesse, de se refuser à un respect mêlé de tendresse. » La cérémonie se passe selon le protocole traditionnel, à la manière d’un ballet bien réglé. C’est l’arrière petit-fils du roi-Soleil, Louis XV, le « Roi Papa », qui préside au mariage du dauphin Louis – son petit-fils, héritier du trône. Suivis du roi et des princes du sang, les jeunes mariés traversent les appartements où se bousculent les courtisans. Plus de 5 000 invités se pressent dans la chapelle. Le souper a lieu dans la Grande Galerie à neuf heures et demie du soir. Hélas, un violent orage empêche qu’on tire les feux d’artifice. Le lendemain, Marie-Antoinette passe sa journée en présentations. Tout ce que le royaume de France compte de nobles défile devant elle. Le soir, on donne la première représentation dans la nouvelle salle de l’Opéra. Deux jours plus tard, la fête reprend de plus belle avec un bal masqué et des spectacles. A Paris, on s’amuse aussi pour honorer son futur roi. Des feux d’artifice illuminent la nouvelle place Louis XV (aujourd’hui, place de la Concorde). Les rues sont pleines de monde. Plusieurs centaines de personnes, voulant regagner les boulevards, sont bloquées rue Royale. C’est alors que se déclenche une horrible bousculade. Au milieu des voitures, dont les chevaux s’affolent, des femmes et des enfants sont étouffés et écrasés. Les fêtes s’achèvent donc par une catastrophe. Le bilan est tragique : 132 morts et d’innombrables blessés. Des noces qui finissent mal est un mauvais signe. Décidément, le plus grand mariage du siècle et ce sinistre présage que personne n’y voit … pour le moment. Les dépouilles des victimes sont inhumées dans la fausse commune du cimetière de la Madeleine. Quelle coïncidence tragique : 2 ans plus tard, en 1793, les corps décapités de Louis XVI et de Marie-Antoinette seront enterrés dans le même cimetière, dans la fausse commune. (Aujourd’hui, square Louis XVI et la chapelle expiatoire). Mais cela va se passer dans vingt ans.
Louis XVI
Les jeunes mariés sont encore heureux ce 8 juin 1773, lorsqu’ils font leur entrée officielle à Paris : la foule les acclame, le peuple les adore ce couple royal. Tous les deux sont émus. « Ce qui m’a touchée le plus, écrit Marie-Antoinette, c’est la tendresse de ce pauvre peuple qui malgré les impôts dont il est accablé était transporté de joie de nous voir. Lorsque nous avons été aux Tuileries il y avait une si grande foule que nous avons été trois heures sans pouvoir avancer ni reculer, Monsieur le Dauphin et moi… Avant de nous retirer nous avons salué avec la main le peuple, ce qui a fait grand plaisir. Qu’on est heureux dans notre état de gagner l’amitié du peuple à si bon marché ! Il n’y a pourtant rien de si précieux, je l’ai bien senti et je ne l’oublierai jamais. »
Marie-Antoinette
La petite archiduchesse fait vite la conquête de toute la Cour ; elle est « délicieuse » selon ses contemporains, toute menue, blonde, blanche et rose avec déjà cette grâce et ce port de tête qui faisait dire à son page que, comme on offrait une chaise aux autres femmes, on avait envie de lui avancer un trône. Mais le temps passe, et Marie-Antoinette se sent délaissée par son époux qui ne semble guère s’intéresser à elle. Elle doit attendre huit ans, dans l’inquiétude d’être reconnue stérile, la naissance de sa fille, la petite « Madame Royale ». Peu habituée aux usages de la Cour française, Marie-Antoinette se laisse rapidement entraîner dans une vie festive et futile, n’accordant que peu d’attention à l’étiquette et dépensant des fortunes en riant aux éclats. Elle s’entoure de jeunes aristocrates impopulaires, avides et libertins. Pour tromper son ennui ce sont des fêtes et bals, des tables de jeu. Oui, elle aime le luxe, les bals, les fêtes, le jeu, elle accorde à ses proches qui composent sa « petite Cour à elle » des sommes astronomiques de rente. Sa mère Marie-Thérèse lui conseille de moins dépenser, d’avoir plus de considération pour le roi et pour l’étiquette. En 1775 Marie-Thérèse écrira à l’ambassadeur de France à Vienne : « Ma fille court à grands pas vers sa ruine ». Les recommandations et conseils maternels n’ont pas beaucoup de poids. Et le Dauphin ? Oui, le comportement de son épouse l’inquiète : il la voit toujours entourée de jeunes nobles, dansant le quadrille jusqu’à trois heures du matin… Et puis les ragots qui se répandent, accusant Marie-Antoinette de frivolité, même d’infidélité et de goût de l’intrigue. Bientôt, le peuple va l’appeler « l’Autrichienne » et « Madame Déficit ». Elle deviendra une reine calomniée et détestée.
1 Il est tiré des Mémoires secrets de Bachaumont. Cité d’après Apollinaire Chroniques des grands siècles de la France