Le bicentenaire de Guignol

« Notre âme populaire lyonnaise, elle,
s’est logée dans une poupée de bois. »
Justin GODART,
homme d’état et spécialiste de l’identité lyonnaise

Lyon, 1831. Tous les quartiers de la ville sont hérissés de barricades au-dessus desquelles flottent des bannières noires avec des mots « Vivre en travaillant ou mourir en combattant ». Cette révolte commence dans le quartier de la Croix-Rousse habité par les canuts. Le coût des denrées ne cesse d’augmenter et le salaire – de diminuer. Les canuts demandent aux patrons de mieux payer leur travail. Ceux-là accueillent les canuts à coup de fusil...

Dans ces années 1830, des années de nombreuses luttes sociales avec des crises insurrectionnelles, Guignol connaît un grand succès populaire. Dans les rues et les cafés on voit des castelets, de petits théâtres mobiles. Les ouvriers aiment venir écouter Guignol, frondeur et rebelle, filou et fêtard, bêta et râleur. Ces spectacles remplissent une fonction de gazette locale.

Guignol est un modeste artisan canut, un Lyonnais moqueur, rebelle à toutes formes d’autorité. Il prend la partie des petits gens, il clame l’injustice sociale et dénonce les bourgeois comme les autorités régionales et nationales. C’est un contestataire populaire. Souvent, il a maille à partir avec les gendarmes.

« Guignol, c’est le petit démocrate à la langue pendue, explique Daniel Streble, du théâtre Guignol sur le plateau de la Croix-Rousse, à Lyon, Certes, il a parfois un côté moralisateur, mais il y a des moments où il fait lui-même des bêtises. C’est un personnage à plusieurs facettes, à la fois naïf et rusé. Sans oublier son côté chansonnier, humoriste. C’est un personnage du peuple, qui crie haut et fort ce qui ne va pas ». La collection de marionnettes de Daniel Streble en comprend 340 dont les plus jeunes ont 80 ans et les plus anciennes 200 ans.

L’origine du nom Guignol est obscure malgré trois hypothèses principales :

– l’expression ancienne « c’est guignolant » pour très drôle ;

– un canut nommé Jean Guignol, ayant des ancêtres venus d’une ville de Lombardie : Chignolo ;

– la référence au titre d’une comédie en vogue : Nitouche et Guignolet.

Il faut dire qu’au cours des siècles, le terme Guignol a essaimé hors de la région lyonnaise. Il désigne soit une marionnette, soit une personne qui s’amuse et amuse les autres.

Les personnages principaux du théâtre de Guignol sont encore :

– Gnafron, son ami, cordonnier ivrogne ;

– Madelon, la femme de Guignol ;

– Toinon, la femme de Gnafron. Ces deux femmes sont aux caractères acariâtres ;

– le gendarme ;

– Canezou, le propriétaire ;

– Le Bailli, le juge.

Mais il faut dire que le premier personnage du panthéon de Guignol n’a pas été Guignol lui-même mais Gnafron, un drôle de bonhomme truculent, plein de jovialité et de faconde. Et c’est pour donner la réplique à ce clown rouge, que Laurent Mourguet crée en 1808 le canut Guignol, clown blanc pour dire tout haut des vérités que son créateur pense tout bas.

Mais qui est donc ce Laurent Mourguet ? Le père de la célèbre marionnette lyonnaise, Laurent Mourguet (1769-1844) naît dans une famille des canuts, à Saint-Georges. Ces canuts de Saint-Georges et de la Presqu’île actionnent les métiers à bras, tissent les plus belles étoffes d’Europe et deviennent la classe sociale populaire la plus nombreuse et la plus instruite de la ville.

Pendant la Révolution française, Lyon prend en 1793 le parti des Girondins et se soulève contre la Convention. La ville subit un siège de plus de deux mois avant de se rendre. La répression de la Convention est féroce. Environ 2 000 personnes sont fusillées ou guillotinées.

Quant à Laurent Mourguet, il est mis au chômage par la Révolution. Il a dix enfants à nourrir. Il exerce divers petits métiers : marchand ambulant puis arracheur de dents. Pour attirer la clientèle et couvrir les cris de ses patients, il amuse la foule avec ses marionnettes. Il sait improviser, sculpter, jouer, captiver un auditoire. D’abord Laurent Mourguet anime Polichinelle dans ses improvisations de petites pièces inspirées de la Commedia dell’arte.

Mais rapidement il installe dans le jardin du Petit Tivoli dans le quartier des Brotteaux à Lyon un petit castelet où son Guignol s’attaque sans complaisance aux notables et aux édiles de l’hôtel de ville et commente l’actualité, le tout avec l’accent lyonnais et dans le parler des canuts de l’époque. Le résultat : Guignol est victime de la censure sous Napoléon III, on ferme de nombreux théâtres de Guignol (il y en a treize à Lyon) et il est difficile d’en ouvrir de nouveaux. Curieusement, mais cette censure en contraignant les troupes à soumettre leurs textes permet la conservation de ce patrimoine oral, puisque Laurent Mourguet était analphabète et il n’y a donc aucune trace des premières pièces. C’est Victor-Napoléon Vuillerme-Dunand, le lettré de la troupe de Mourguet, qui dépose douze manuscrits en 1852. Parmi les pièces classiques du répertoire de Guignol, on trouve :

– Le Pot de confiture.

– Le Déménagement.

– Les Frères Coq.

– Les Couverts volés.

– La Racine merveilleuse.

200 ans après sa création, le personnage de Laurent Mourguet conserve une influence qui aurait certainement étonné son créateur. Guignol perd son accent et son « parler lyonnais ». Personne aujourd’hui ne comprend le lyonnais. Il est « moderne ». Il porte une redingote marron, comme le veut la tradition lyonnaise, ou verte, comme c’est souvent le cas de Paris. Guignol reste toujours très en vogue. C’est principalement au travers des castelets des parcs et jardins que se transmet cette tradition. Dans le vieux Lyon, Laurent Mourguet a son monument, inauguré en 1912, où sont gravés les noms des grands marionnettistes qui ont œuvres pour Guignol, dont les frères Pierre et Ernest Neightauser.

Le monument a été inauguré avec l’argent de la souscription. Il en est resté un peu. Justin Godait a proposé alors d’utiliser ces fonds pour créer une association avec pour but « la conservation et l’enseignement des traditions notamment du théâtre Guignol, du caractère et de l’esprit lyonnais ». Nommée « La société des amis de Guignol », l’association existe toujours, et compte plus de 600 adhérents. À quelques pas du monument, le musée international de la marionnette (le musée Gadagne), et son fonds de quelque deux mille marionnettes anglaises, vénitiennes et lyonnaises, témoignent à quel point Guignol reste encore aujourd’hui un personnage fédérateur. Au village de Brindas, en 2008, le musée-théâtre a ouvert ses portes. Ce musée abrite une importante collection de marionnettes données par Jean-Guy Mourguet (descendant de Laurent Mourguet).

Symbole utilisé à des fins touristiques, Guignol s’affiche sur les brochures de l’office du tourisme, sur l’autoroute à l’entrée de l’agglomération, sur certains bus (ligne 6), et sur des timbres (en 1994 puis 2003). Aujourd’hui, Guignol est non seulement présenté dans de nombreuses villes françaises, mais la marionnette a également su s’exporter au-delà des frontières de la France, jusqu’au Canada et au Japon, en passant par le Mexique, où le mot Guignol signifie « marionnette ».

Chantal GOYA

C’est Guignol

(chanson)

Je sais un ami qui est vraiment gentil
II est drôle et fou mais quand j’ai des soucis
Je vais le chercher où il s’est caché
Je suis sûre que vous le connaissez
II voyage beaucoup depuis très longtemps
II a fait rire nos mères et nos grands-parents
C’est un bon garçon mais un polisson
Et quand il arrive on crie son nom

Refrain :
C’est Guignol, c’est Guignol
Avec son chapeau noir
Ses gros sourcils et son bâton
C’est Guignol, c’est Guignol
Gravé dans la mémoire
Des petites filles et des petits garçons
C’est Guignol, c’est Guignol
Qui cogne les gendarmes
Avec son compagnon Gnaffron
C’est Guignol, c’est Guignol
Qui nous fait rire aux larmes
Avec sa natte et son nœud papillon

Il a des enfants, il a toute une famille
Des ennuis d’argent pour survivre à la ville
Mais il sait tout faire et fait des affaires
Qui souvent le font mettre en colère
Il vit dans un théâtre de marionnettes
Du soir au matin il cogne sur la tête
De ses ennemis par-là par ici
Mais il est avec moi aujourd’hui

Refrain