Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №11/2009

Arts et culture

Univers de Françoise Sagan

« Avoir gloire et jeunesse, c’est trop pour un mortel. »
Arthur SCHOPENHAUER1

img1

Françoise Sagan
symbolise la fureur de vivre !

Tout commence en 1954, lorsqu’une jeune fille timide entre brutalement, à 19 ans, dans la légende en publiant un petit roman au titre inoubliable, Bonjour tristesse.

Les désordres amoureux, les intrigues cyniques, racontés par une adolescente de bonne famille bourgeoise, font un beau scandale. Court, cruel et poétique, ce récit « peu convenable » suscite la polémique sans précédent et se vend immédiatement à des centaines de milliers d’exemplaires, rapportant à son auteur beaucoup d’argent, qu’elle s’empresse de dépenser sans compter.

Dès le début, on pouvait imaginer qu’avec elle les choses ne tourneraient pas de manière ordinaire. Une bonne part de son charme était là, dans cette singularité. Elle puisait son inspiration dans le paradoxe de son existence, entre une hyperactivité créatrice, une vie mondaine mouvementée et une grande solitude intérieure, entre la bohème et la bourgeoisie.

Généreuse, inspirée, rapide, rebelle, inclassable, inimitable, son personnage suscitait la curiosité, fascinait ou repoussait. Et on lui tout pardonnait, on ne savait pas trop pourquoi. Elle était adorée par des centaines de milliers de gens qui la trouvaient irrésistiblement sympathique et intelligente. Et on l’aimait, même si on n’avait pas lu ses livres ou si on ne les lisait plus. Oui, il faut avouer : la France connaissait ses scandales, moins ses romans, on s’intéressait plus à sa vie, moins à son œuvre, sans savoir que celle qui a peint les gens riches et leur paresse, était en fait une grande travailleuse, une ouvrière spécialisée dans la dentelle des émotions. Elle se cachait derrière sa légende comme à l’abri d’une voilette : se faire légère, respecter ce qu’elle considérait être les signes de l’élégance et de « la bonne éducation » donnée par ses parents.

Elégance absolue : c’est assurément deux mots qu’on a envie de retenir pour symboliser Françoise Sagan. Derrière cette élégance, cette légèreté, ces brillantes apparences, se cachait une femme sensible, intelligente, discrète, secrète.

img2

Une femme sensible,
intelligente, discrète, secrète...

Et un écrivain de talent qui a écrit une vingtaine de romans, une dizaine de pièces de théâtre, autant d’adaptations au cinéma, des textes de chansons et même un ballet. 30 millions de livres vendus en France ! Des traductions en 15 langues ! Des thèses qui s’écrivent sur elle dans les universités américaines ! Des écoliers russes qui apprennent le français dans ses livres ! Des clubs Sagan au Japon, comme pour Mireille Mathieu !

Françoise ne vieillissait pas. Ou plutôt elle vieillissait moins vite que ses lecteurs. Une telle femme n’était pas faite pour vieillir. Ses qualités – l’insouciance, la légèreté, l’imprévoyance – ne supportaient pas l’âge. Et puis, elle était déjà morte tellement de fois, Françoise Sagan, que l’on aurait voulu croire encore à une de ces insolences dont elle avait le redoutable secret. Ainsi, en 1957, lors de son premier accident – sa voiture s’était retournée –, elle avait été déclarée cliniquement morte, son pouls ne battait plus. En 1978, convaincue d’avoir un cancer du pancréas, elle avait supplié le chirurgien qui allait l’opérer pendant huit heures de ne pas la réveiller s’il constatait qu’elle était condamnée. Une autre fois, en 1985, lors d’un voyage officiel du président Mitterrand à Bogota, elle était tombée dans le coma à 2 650 mètres d’altitude – déchirement de la plèvre, des tuyaux partout, rapatriement en France par avion sanitaire.

« Je peux vous rassurer, disait-elle, derrière, il n’y a rien. C’est le noir, le néant total. Voir souvent la mort de si près lui enlève, croyez-moi, beaucoup de prestige. » Elle avait donc fini sinon par mépriser la mort, du moins par la négliger. Cela rajoutait du charme à son élégante frivolité, à son étonnante jeunesse. Cela faisait partie de sa vie de légende qu’elle avait créée ou bien qui l’avait créée mais dont elle s’est fait piégée.

Parce que tôt ou tard, le réel finit toujours par demander des comptes. Et cette fois, son médecin n’a laissé plus aucun espoir : « Le 24 septembre, à 19 h 35, dans une chambre de l’hôpital de Honfleur (Calvados), où elle était entrée quelques jours plus tôt à la suite d’un malaise respiratoire, Mme Sagan a succombé à une décompensation cardio-respiratoire le vendredi 24 septembre, à 19 h 35. Son fils, Denis, était à ses côtés. »

img3

1959

Qu’est-ce qu’on sait en fait d’elle ? Qu’est-ce qu’on a retenu de cette « petite fille trop douée », comme l’a qualifiée François Mauriac à ses débuts, qu’une invraisemblable accumulation d’histoires qui n’ont fait que renforcer sa légende : la gloire et le scandale, les casinos, l’alcool, puis la drogue, qui entraînent nécessairement des problèmes d’argent, les cures de désintoxication, les voitures de sport décapotables conduites à grande vitesse, les fêtes, Saint-Tropez, les nuits blanches, l’amour libre, Saint-Germain-des-Prés et le café des Deux Magots, enfin le procès Elf où certains auraient tenté de lui faire jouer l’espionne, etc.

« L’image qu’on a donnée de moi pendant des années n’est pas celle que j’aurais souhaitée, mais finalement elle était plus plaisante que d’autres. Tout compte fait, whisky, Ferrari, jeu, c’est une image plus distrayante que tricot, maison, économies... De toute manière, j’aurais eu du mal à imposer celle-là. »

Elle disait que ses livres parlaient essentiellement de la solitude. À travers ses ouvrages, elle a régulièrement peint la vie sentimentale des bourgeois, qui habitent de belles maisons, voire des châteaux, qui passent leurs jours et leurs nuits un verre à la main, qui s’ennuient on ne sait pas trop de quoi, qui se sentent solitaires et malheureux on ne sait pas trop pour quelle raison, qui souffrent du manque d’amour et qui ne savent pas aimer. C’est du moins la manière dont on a caricaturé l’œuvre de Sagan, celle qui a presque réussi à faire naître un adjectif : être « saganesque », c’est être nostalgique et drôle, faussement léger et très lucide2. On parle aussi du ton « saganesque » : le ton en apparence nonchalant3. Et de la fameuse « petite musique saganesque » mélancolique, faite de tendresse et d’élégance.

img4

Oh, la petite musique de Sagan : ce refrain la suivait toute sa vie. Cette « petite musique », qu’on a évoquée dès son premier livre pour qualifier son style, est devenu finalement une manière ironique de dire que ses romans n’étaient pas « grand-chose ».

Elle répétait volontiers, elle aussi : « J’ai lu Proust, j’ai lu Dostoïevski, je sais que mes petits romans ne sont pas grand-chose ». Mais ajoutait : « Pas de la grande littérature, mais un bilan globalement positif ». Amoureuse de beau langage, elle savait parfaitement écrire ce que l’on appelait autrefois le français et qui s’est changé aujourd’hui, hélas, en franglais.

Elle a su imposer un style, le sien, ce fameux style Sagan. Un style aussi insaisissable que son auteur. Aujourd’hui, cinq ans après sa mort, il serait temps de lui rendre justice, parce que son œuvre qu’il faudra sans doute reconsidérer, restera intemporelle et occupera sans aucun doute une petite place éternelle dans l’histoire de la littérature française du XXe siècle.

Nous avons essayé de brosser le portrait de cette femme libre, fragile et attachante, et nous vous invitons à visiter son univers.

On dit qu’elle a laissé un texte inachevé. Elle voulait l’appeler Le Coeur battu. On aimerait que cet ultime message soit publié. En attendant, pour retrouver Sagan, il faut, d’abord, la lire. En premier lieu, Bonjour tristesse.



1 Philosophe allemand (1788-1860).

2 Quelqu’un qui comprend les choses avec clarté.

3 Qui manque d’ardeur par insouciance, par paresse, par indifférence.

TopList