Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №11/2009

Arts et culture

« Je ne veux pas devenir vieille »

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Kiki avec maman

Françoise, née en 1935, n’est pas seulement la petite dernière des trois enfants Quoirez. Sa naissance, miraculeuse aux yeux de ses parents, survient après la perte d’un bébé. Du coup, père et mère lui passent tous ses caprices. Sa sœur Suzanne confie à la biographe Marie-Dominique Lelièvre : « Elle était une enfant gâtée. Toute sa vie, elle a joui d’une totale impunité ». Kiki, que l’on surnomme aussi Francette, est le centre de la famille. Mais elle fait tout pour montrer qu’elle n’est pas une petite chose fragile : quand elle tombe en courant, personne n’entend jamais une plainte. Kiki ne « fait pas l’enfant ». Mais le jour de ses cinq ans, lorsqu’on lui apporte un gâteau d’anniversaire et ses cadeaux, elle les jette en s’écriant : « Je ne veux pas devenir vieille… ». Elle peut rester des heures penchée très sérieusement sur un livre, qu’elle lit à l’envers. Elle demande souvent à ses parents de lui lire. Pas de contes de fées. Elle ne veut pas d’histoires avec des baguettes magiques et de belles dames aux chapeaux pointus. Les contes de fées, elle sait les inventer elle-même. Non, elle réclame quelque chose de plus sérieux. Sa mère racontera plus tard : « À deux ans, elle s’emparait d’un livre pour essayer de le lire. Mais elle ne le tenait pas dans le bons sens. Très tôt, elle a inventé des contes de fées et s’est mise à écrire un roman de chevalerie, en vers. Elle pouvait citer Le Cid1 par cœur. » À sept ans, elle déteste déjà l’école. Là, tout la pèse, l’odeur des dortoirs, les longs couloirs, des exercices obligés, des interrogations écrites, des poèmes à savoir par cœur, les punitions. Sa seule possibilité d’évasion se trouve dans la lecture. Elle dévore tout ce qui lui tombe sous la main. Tout ce qu’on peut lire à cet âge-là : Jules Verne, George Sand, plus tard ce sera Marcel Proust, sa première passion. Pour lors, elle a neuf ans. Pendant les vacances d’été, elle apprend le tennis, elle peut conduire la voiture de son père. La secrétaire de monsieur Quoirez lui apprend à taper à la machine. La légende commence à germer. Françoise a une dizaine d’années quand la famille emménage à Paris et s’installe boulevard Malesherbes, le beau quartier de la rive droite. On mène une vie confortable, on partage le goût de la fête et des voitures de luxe. À l’âge de 12 ou 13 ans, Kiki compose des poèmes, de petites nouvelles et mêmes des saynètes. Partout il s’agit des chevaliers, de leurs épées croisées, de demoiselles poursuivies par des méchants. Quelques années plus tard, elle fera connaissance de Florence Malraux2 et Bernard Frank : leur amitié va tenir toute une vie, c’est rare. Même âge, mêmes origines bourgeoises, même lucidité, face aux horreurs du monde, aux mensonges des adultes, même amour des livres : Stendhal, Flaubert, Hemingway, Camus, Fitzgerald, Proust, Dostoïevski, Tolstoï. À cette différence près : Florence et Bernard sont Juifs. Françoise est Française et contrairement à ses deux amis qui ont tant souffert pendant la guerre, elle, l’a très bien vécue, elle ne l’a découverte qu’en 1945, à l’âge de dix ans, à travers un film d’actualité projeté dans un cinéma parisien. Là seulement, le temps d’une séance, elle prendra conscience du pire, qui est arrivé durant ce temps béni de l’enfance. Elle verra tous ces fantômes en pyjamas rayés agrippés aux grillages, des camps de la mort, tremblantes files de survivants. Elle va les voir et les revoir, ces images, jusqu’à la fin de sa vie. Elle n’oubliera jamais ces visages dont les yeux ont vu l’horreur. Donc, elle se sent coupable. Elle regarde dans les yeux de ses deux amis ; ces deux-là savent quelque chose qui lui a échappé, qui s’est passé tout près d’elle sans qu’elle s’en doute : elle n’a pas risqué sa vie comme eux menacés par les nazis, par la mort, par le camps de concentration. Ce sens de culpabilité qui va la hanter toute sa vie, brise aussi ses représentations et ses croyances. Elle se rend compte que le mal peut être banal, quotidien, cynique, familier enfin ; qu’il peut avoir le visage des voisins ou même de sa propre famille ?!... Ses parents, comme le nombre de grands bourgeois, pétainistes un jour, gaullistes le lendemain, quel rôle ont-ils joué auprès des occupants allemands ? Ont-ils été les complices de circonstances lâches ? Et même si c’est le cas, elle doit protéger ses parents adorés, ne pas leur poser de questions, rester bouche cousue. Trop jeune pour cette révélation dérangeante, elle commence à mépriser les règles et les lois qui sont toutes fausses et hypocrites en fin de compte. C’est aussi pour cette raison qu’elle déteste toujours l’école, la discipline scolaire, le système scolaire lui-même qu’elle ne supporte pas, auquel elle est allergique.

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Kiki Quoirez

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1938. Françoise avec son frère Jacques


« J’étais assez infernale »

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Kiki avec ses amis

Douée, indisciplinée et irrespectueuse, elle passe d’une institution privée et réservée aux jeunes filles de bonne famille à l’autre. Partout c’est l’échec scolaire. Dans la cour de récréation, courir, sauter à la corde, ou jouer aux billes, ne l’intéresse pas. Quelle tristesse : « J’appuie mon visage à la fenêtre, je me dis que je ne grandirai jamais, que la pluie ne cessera jamais. Je n’ai plus envie de jouer à cache-cache, j’ai envie au contraire de me montrer, mais il me semble que personne ne me regarde.3 » Enfermée dans la classe, elle cache des romans sous son pupitre. Et les ouvre dès que la maîtresse tourne le dos, s’évadant enfin dans des histoires extraordinaires. Parfois elle se réfugie dans les farces pour s’amuser et amuser ses copines de classe. Elle a quatorze ans lorsque, un jour, parce que son professeur de lettres lui semble médiocre, elle saisit le buste de Molière qui est dans le couloir, trouve une corde et le pend à la rampe d’escalier. Elle est renvoyée. Mais elle n’en dit rien à personne. Chaque matin, dès le mois de février 1950, elle laisse croire qu’elle part pour l’école. En fait, elle s’en va découvrir Paris. Elle commence à l’adorer, cette ville : le spectacle toujours changeant de la Seine, l’enfilade des ponts depuis la pointe de l’île de la Cité jusqu’au bout de l’île Saint-Louis, la place des Vosges plantée de tilleuls, les cafés et les bistrots avec leurs tables débordant sur le trottoir. Elle parfait son éducation en engageant des discussions dans la rue avec des artisans et des marginaux de l’époque, clochards ou chiffonniers4. Le soir, « après avoir fait les devoirs », elle fréquente comme si de rien n’était, les soirées dansantes où elle apprend les rythmes venus des états-Unis : le boogie-woogie, le be-bop et autre swing. Surtout elle lit, elle dévore. Romans, poésie : Stendhal, Rimbaud, Proust et Gide sont ceux qu’elle préfère. Elle admire aussi Jean-Paul Sartre. Ses personnages préférés : le dernier des Mohicans, d’Artagnan. Personne n’est toujours au courant de ses promenades parisiennes, pas même ses amis, pas même son frère adoré Jacques. Françoise affronte chacun de ces jours seule, elle qui déteste déjà la solitude. À la fin de l’année scolaire, catastrophe : les parents découvrent ses fugues et ses mensonges. Finie cette nouvelle liberté. Elle subit ce qu’elle considère comme le pire des punitions : les cours privés en été ainsi qu’une surveillance, évidemment. Dès la rentrée suivante, en octobre 1950, elle doit suivre sa scolarité au Couvent des Oiseaux : elle en est expulsée pour « dégoût de l’effort ». Deux fois, elle est obligée de prolonger l’année scolaire dans deux établissements à bachot5 : l’été 1951 au cours Hattemer, puis l’été suivant au cours Maintenon. Si elle réussit les épreuves écrites, les oraux sont catastrophiques. En plus, elle bégaie lorsqu’elle est angoissée, et puis, dans certaines disciplines, elle est nulle. En anglais, par exemple. Quoi qu’il en soit, en septembre 1952, elle est bachelière ! Elle a dix-sept ans et elle s’inscrit à la Sorbonne. Ce n’est pas pour préparer une grande école. Ce n’est pas pour acquérir des diplômes. C’est pour faire plaisir à ses parents et souscrire aux convenances6. Une fille bien élevée d’une bonne famille doit faire la Sorbonne. Alors Lettre-Philo, semble parfait pour Françoise, mais les amphithéâtres7 bondés8, ou l’ennui, lui font vite déserter les cours. Françoise prend très vite le goût de l’école buissonnière9 et préfère flâner dans les cafés. C’est dans les cafés du boulevard Saint-Michel, qu’elle reprend la plume pour écrire son premier roman. Ce sera Bonjour tristesse, écrit en trente-deux jours et couché dans un cahier d’écolier. À peine fini, elle passe son manuscrit à Florence Malraux, qui la rappelle à 3 heures du matin et lui déclare solennellement : « Tout va bien. Tu es écrivain ».

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1945. À Saint-Marcellin.

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Pendant la guerre


Une jeune bourgeoise bien élevée

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En communiante

« On ne sait jamais ce que le passé nous réserve. »
Françoise SAGAN

« Elle aimait beaucoup ses parents. Elle habitait encore chez eux trois ans après le succès de Bonjour tristesse. Son père était insupportable, un peu hussard, Françoise le trouvait très drôle. Sa mère était exquise... mais un peu réac.10 », se souvient l’éditeur Jean Grouet qui a fait la connaissance de Sagan à ses débuts, avant de devenir son secrétaire. Françoise s’expliquait dans le français classique : pas d’argot, pas de gros mots. Une jeune fille de bonne famille du milieu conservateur dont elle a intégré tous les codes, toutes les conventions et qu’elle gardera toute la vie même si elle paraîtra trop libre pour son époque. « Elle respectait l’étiquette de son milieu bourgeois : la femme ne sort pas sans rouge à lèvres, n’assiste pas à un dîner sans un passage chez le coiffeur, ne montre pas ses bras nus, le soir11 ». Denis Westhoff, le fils unique de Sagan raconte : « Ils avaient des principes bourgeois. On ne prononçait pas de gros mots, on ne devait pas dire du mal de quelqu’un. À table, il était interdit de parler de politique, de religion ou d’argent. »



1 Le titre du drame de Pierre Corneille (1606-1684).

2 Fille d’André Malraux, écrivain français, ministre des Affaires culturelles de 1958 à 1969.

3 Françoise Sagan, Et toute ma sympathie.

4 Personne qui ramasse les vieux chiffons pour les vendre.

5 Baccalauréat.

6 Ce qui est en accord avec les usages d’une société.

7 Salles d’études garnis de gradin où les professeurs d’université font les cours.

8 Pleins.

9Se promener au lieu d’aller en classe.

10Réactionnaire.

11Marie-Dominique Lelièvre Sagan à toute allure.

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