Arts et culture
Un style « à la Sagan »
« La gloire et le succès me délivrèrent très tôt
de mes rêves de gloire et de succès... »
Françoise SAGAN
Françoise travaille. Elle publie un livre tous les dix-huit mois, sans compter les scénarios, les poèmes, les nouvelles, les articles, les pièces de théâtre, les chansons, rien ne lui est étranger. L’écriture devient une exigence. Elle écrit comme elle respire. Un certain sourire, Dans un mois, dans un an, Aimez-vous Brahms... Des titres qui s’empilent sur les étagères des bibliothèques de famille et dans la mémoire collective du pays. Triomphes en librairie. Grimace chez la critique.
« Mais quand travaillera-t-elle ? » Pourquoi cette question ? C’est que tout le monde sait : Sagan écrit « à la paresseuse », sans effort. Et pourtant, « la légèreté, c’est assez difficile à réussir, plaide-t-elle, dans la vie comme dans les livres... » On ne la voit pas travailler car elle remplit ses cahiers la nuit. A partir de 1970, elle dicte ses textes et n’hésite pas à convoquer sa secrétaire à quatre heures du matin. Elle réécrit beaucoup et corrige encore au moment où le texte part à l’impression. En 1968, elle publie Un peu de soleil dans l’eau froide, un titre qu’elle a également (comme pour Bonjour tristesse) emprunté à Éluard. Le roman est très bien accueilli. Trente ans plus tard, elle est surprise par la qualité de l’ouvrage. « Je reste bêtement ravie de l’avoir redécouvert et de l’aimer », écrit-elle dans Derrière l’épaule, avec cette simplicité qui la rend si attachante. En 1972, pour son neuvième roman Des bleus à l’âme, elle devient un personnage de son livre. C’est la première et l’unique fois qu’elle parle d’elle-même à la première personne. Dans ce beau livre elle raconte la fatigue d’être, la solitude qui lui pèse. Elle avale les tranquillisants pour se calmer, les excitants pour se réveiller, l’aspirine à tout hasard. Ne pas souffrir surtout. Françoise croit se soigner, mais elle s’empoisonne. Bon an, mal an, elle continue à occuper régulièrement le devant de la scène littéraire et politique.
« Mais quand travaillera-t-elle ? »
1965. Françoise Sagan, après avoir sorti son roman La Chamade, reçoit Françoise Giroud, journaliste de L’Express. En voilà un extrait de son article.
... Cette femme de 30 ans parle comme si elle-même avait 12 ans et qu’elle décrivait Papa-Maman et leurs amis dans son journal intime. C’est irritant. L’irritant est qu’elle est aveugle au monde. Ou du moins close. Car dès lors qu’il s’agit de décrire les mouvements du cœur, Françoise Sagan retrouve la grâce. Entre l’amour sans argent et l’argent sans amour, l’héroïne de La Chamade, Lucile, choisit l’argent. Que deviendra Lucile ? Interrogée sur ce point, Françoise Sagan a répondu : « Elle se tuera un soir de grande gaieté, parce qu’elle aura un peu trop bu et qu’elle conduira trop vite.
– Et comment vieillira Sagan ?
– Je n’y pense jamais. »
D’ailleurs, elle ajoute : « Comme vous, comme nous tous, je serai peut-être tuée dans un conflit thermo-nucléaire. Ou bien je deviendrai une épouse et une mère exemplaire.
– Et vous écrirez ?
– J’écrirai toute ma vie, je crois. »
Mais quand travaillera-t-elle ?
(L’Express, 13 septembre 1965)