Éditorial
Gréta TCHESNOVITSKAYA
La tour Eiffel célèbre ses 120 ans
Elle a vécu beaucoup de mésaventures avant de devenir en 1889 le symbole de Paris. D’ailleurs, ce n’est pas Gustave Eiffel, mais le jeune ingénieur Maurice Koechlin, qui avait ébauché « le projet d’une tour de 300 mètres ». Le 8 janvier 1887, Eugène Poubelle, préfet de la Seine, confie officiellement à Gustave Eiffel ce projet : il faut qu’il mette au point une structure gigantesque, qui doit durer le temps de l’Exposition universelle, du 6 mai au 31 octobre 1889.
Que de péripéties avant de la voir illuminer le Champ-de-Mars. Quelle violente polémique qui a éclaté dès que le projet est présenté. Que d’articles publiés dans la presse de l’époque contre le malheureux ingénieur. Le comble du scandale est atteint lorsque paraît, le 14 février 1887, Protestation contre la Tour de M. Eiffel au nom de l’art et de l’histoire français menacés. Parmi les grands hommes qui ont signé la pétition figurent Alexandre Dumas fils, Guy de Maupassant, Sully Prudhomme, Leconte de Lisle, Charles Gounod, François Coppée …
Voilà un extrait de cette Protestation contre la Tour de M. Eiffel :
« Nous venons, écrivains, peintres, sculpteurs, architectes, amateurs passionnés de la beauté jusqu’ici intacte de Paris, protester de toutes nos forces, de toute notre indignation, au nom du goût français méconnu, au nom de l’art et de l’histoire français menacés, contre l’érection, en plein cœur de notre capitale, de l’inutile et monstrueuse tour Eiffel. [...]
Il suffit d’ailleurs de se figurer un instant une tour ridicule, dominant Paris, ainsi qu’une noire et gigantesque cheminée d’usine, écrasant de sa masse barbare tous nos monuments, toutes nos architectures qui disparaîtront dans ce rêve stupéfiant. [...]
Et, pendant vingt ans, nous verrons s’allonger sur la ville entière, frémissante encore du génie de tant de siècles, l’ombre odieuse de l’odieuse colonne de tôle boulonnée... »
Des pamphlets et les injures fusent : « ce lampadaire véritablement tragique » (Léon Bloy) ; « ce squelette de beffroi » (Paul Verlaine) ; « cette haute et maigre pyramide d’échelles de fer, squelette disgracieux et géant, dont la base semble faite pour porter un formidable monument de Cyclopes, et qui avorte en un ridicule et mince profil de cheminée d’usine » (Maupassant) ; « un tuyau d’usine en construction, une carcasse qui attend d’être remplie par des pierres de taille ou des briques» (Joris-Karl Huysmans).
Les polémiques s’éteindront d’elles-mêmes face à l’immense succès populaire que la tour rencontre. Elle reçoit deux millions de visiteurs pendant l’Exposition de 1889 et devient le plus haut monument du monde (jusqu’en 1930). Grâce à son succès considérable auprès du public, « l’inutile et monstrueuse tour Eiffel » résiste aux idées de démolition après la fin de l’Exposition universelle. Haute de 324 mètres (avec l’antenne), elle est sans conteste le symbole de Paris et de la France. C’est aujourd’hui le monument le plus visité au monde. Record battu en 2008 avec 6,9 millions de visiteurs...
Et voilà, ça y est ! Cette année, la Vieille Dame célèbre son 120ème anniversaire.
Joyeux anniversaire, Madame !