Arts et culture
Alain Bashung, le « rigolo ténébreux » de la chanson
Encore une perte que ce printemps a apporté : le grand Bashung est parti.
Ce chanteur qui est entré de son vivant dans les classiques du rock français. Celui qui a fait toute la France fredonner sa Gaby oh Gaby. Qui a choqué avec son clip sur Osez Joséphine. Et qui est devenu une figure de proue pour toute une génération de chanteurs français. Et si on pense que tout a commencé à cause d’une simple harmonica dont on lui a fait cadeau à l’âge de cinq ans.
Ses origines, d’un côté bretonnes, d’autre kabyles. Son père qu’il n’a jamais connu. L’enfance à la campagne. Conservatisme autour de lui, chant dans le chœur, jeux et sport comme chez tous les garçons ordinaires. Il est en plus bon élève.
Le voilà, encore très jeune, chapeau et lunettes de soleil, retourné à Paris où il est né. C’est le début des années 60 et il découvre les grandes figures de la chanson française puis, à la radio, le rock américain de Gene Vincent, Buddy Holly qui deviendra un modèle et bien sûr Elvis Presley. Parallèlement à ses études qu’il abandonne rapidement après l’obtention d’un BTS de comptabilité en 1965 à l’École nationale de commerce, il monte un groupe éphémère avec des copains, les Dunces, au registre oscillant entre folk et rockabilly. C’est comme ça qu’il commence – difficilement ! – à écumer les restaurants, les hôtels de province et surtout les bases américaines. Le premier 45 tours est sorti quand Alain n’a que 19 ans. Se succèdent plusieurs rencontres fatales, des échecs, des tentatives, mais son vrai succès va le trouver en 1980 avec Gaby oh Gaby. Avant, il y a eu son premier album innovant, Roman-photos, qui est un échec commercial, Roulette russe, un album très sombre et plus rock. Il confirme son talent auprès de la critique musicale et du public en 1981, avec son album très rock Pizza qui lui permet, avec le titre Vertige de l’amour, d’entamer une tournée dans de grandes salles, notamment à l’Olympia à Paris. Le grand Serge Gainsbourg, qu’Alain admire beaucoup, lui propose de collaborer sur l’album Play blessures. Cet album est une rupture voulue par Bashung après le succès énorme et inattendu de Gaby, dont il semble vouloir se démarquer (« J’dédie cette angoisse à un chanteur disparu, mort de soif dans le désert de Gaby, respectez une minute de silence, faites comme si j’étais pas arrivé... », chante-t-il sur J’croise aux Hébrides). Mais... encore un échec commercial et critique. Le disque est censé être trop sombre et torturé.
En 1986, il sort Passé le Rio Grande et renoue avec le succès avec le titre SOS Amor.
En 1989, l’album Novice révèle des sonorités New wave et fait écho à la noirceur de Play Blessures.
Mais Bashung attend son vrai succès qui vient en 1991 avec Osez Joséphine, qui élargit son public et l’album se vend à 350 000 exemplaires. Osez Joséphine est son premier vrai tube depuis Vertige de l’amour. Sur le même album, on retrouve le titre Madame rêve, qui devient rapidement un titre incontournable de son répertoire, et laisse présager ses évolutions artistiques à venir.
Il impose son style scénique : le visage immobile, souvent des lunettes noires, habillé de noir. En même temps, ses textes sont pleins de métaphores, d’images, de jeu de mots, d’un humour noir. Sa copine et collègue Brigitte Fontaine l’a appelé « rigolo ténébreux » ce qui décrit si bien le « label Bashung ».
Il continue à prendre part aux projets sociaux comme pour le SOS Racisme ou pour les recherches du SIDA et sortir de nouveaux albums et ne se franchit pas qu’au rock. En 1994, il sort Chatterton, album qu’il qualifie lui-même de Country New Age. Le titre Ma petite entreprise est un nouveau succès pour Bashung.
À partir de 1994, Bashung se consacre davantage à sa carrière de comédien débutée en 1981, notamment dans Ma sœur chinoise de Alain Mazars.
Il revient à la musique en 1998 avec Fantaisie militaire dont le premier single est La nuit je mens. Il reçoit pour cet album trois victoires de la musique en 1999. En 2005, à l’occasion de la vingtième édition des Victoires de la Musique, Fantaisie Militaire est consacré meilleur album de ces vingt dernières années. Cet album est un succès critique et commercial pour Bashung.
En 2000, il sort Climax, un double album compilation dans lequel il revisite certains de ses plus grands titres, dont Volontaire en duo avec Noir Désir.
Il sort en 2002 L’Imprudence, album acclamé par la critique et considéré comme le plus sombre de sa discographie. Disque exigeant, jugé parfois austère, inspiré, selon Bashung, des musiques des vieux films en noir et blanc. Il enregistre la même année le Cantique des cantiques avec son épouse, la comédienne et chanteuse Chloé Mons : ce titre avait été écrit à l’occasion de leur mariage en 2001, sur une musique de Rodolphe Burger, à partir d’une nouvelle traduction du Cantique des cantiques de la Bible par l’écrivain Olivier Cadiot. En 2003 il participe à l’album consacré à Léo Ferré en interprétant la chanson Avec le temps et écrit la préface d’un ouvrage qui retrace le parcours artistique de cet artiste. Il chantera plus tard une chanson de Nino Ferrer pour le disque-hommage On dirait Nino.
Il n’arrête pas d’écrire ses chansons, de jouer dans les films et des représentations, toute sa vie c’est cela. Mais sa maladie commence à le détruire peu à peu.
Son dernier rôle c’est le personnage du film de 2008 J’ai toujours rêvé d’être un gangster de Samuel Benchetrit, où il joue une des séquences, avec le chanteur belge Arno. Tous deux interprètent leur propre personnage, se disputant la paternité d’une chanson (justement de Gaby).
Il a eu le temps de sortir son album Bleu pétrole, en 2008. Il entame ensuite une tournée et est notamment programmé dans plusieurs festivals. Le 10 juin 2008, il commence une série de récitals à l’Olympia malgré une chimiothérapie en raison d’un cancer du poumon.
Alain Bashung a été promu Chevalier de la Légion d’honneur le 1er janvier 2009. Le 28 février 2009, il a remporté trois trophées lors des Victoires de la musique 2009 dont celui de l’interprète masculin de l’année. Bashung a décroché une autre Victoire très prestigieuse, celle de l’album de chanson pour Bleu pétrole, et sa tournée a été désignée meilleur spectacle de l’année. Avec onze récompenses obtenues au total au cours de sa carrière, il est devenu l’artiste le plus primé de cette cérémonie. Ce sacre fut l’occasion de sa dernière apparition publique puisqu’il dut annuler ses derniers concerts dans les jours qui suivirent.
Atteint d’un cancer du poumon depuis plus d’un an, et très affaibli, Alain Bashung meurt le 14 mars 2009 à l’hôpital Saint-Joseph à Paris, à l’âge de 61 ans.
(La publication est préparée par Lialia KISSELEVA.)