Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2009

Les Routes de l’Histoire

Dacha ALEKSEYEVA

Les Russes découvrent la France : 1838. L’arrivée à Paris

Dans la seconde moitié du XVIIIe et la première moitié du XIXe siècle, les Russes furent très nombreux à venir en France. Ils y étaient attirés par des lieux qui gardaient le souvenir des grandes étapes de la culture française.

Nous vous proposons des extraits des mémoires de Vladimir Stroïev, historien et écrivain russe, qui a visité la France en 1838…

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Les premières impressions de Paris sont très curieuses. Il y a tant de monde dans les rues que vous devez marcher en louvoyant et non pas tout droit ; le bruit est tel que l’envie vous prend de vous boucher les oreilles… Des vagues humaines s’écoulent dans les rues, se rencontrent, se cèdent mutuellement le pas, se heurtent, pour ensuite diverger à nouveau. Les gens s’agitent, se hâtent, comme au cours d’un incendie ou d’une inondation. Même les promeneurs marchent vite…

La ville est sans ordonnance, elle est laide et sale comme toutes les vieilles cités bâties peu à peu, sans plan précis. Les rues serpentent. Elles sont très étroites, aussi le soleil n’y pénètre-t-il pas : même par très beau temps les petites rues restent humides, avec les flaques d’eau. Les maisons sont hautes mais paraissent anciennes et vétustes ; on les peint rarement quand l’idée en viendra au propriétaire, la police, elle, ne se mêle pas de la chose. L’architecture des maisons est la plus simple ; seuls les édifices publics ont des colonnes. Une maison est comme une lanterne, toute percée de fenêtres. C’est assez joli. Diverses choses sont accrochées aux fenêtres des petits appartements : ici une pèlerine qui sèche, là on a sorti un vêtement pour l’aérer, ailleurs on a exposé des articles de toilette tels que les dames pudiques doivent tourner la tête. Point de cérémonies : si vous ne voulez pas voir, ne regardez pas…

Paris ne peut pas se vanter de la Seine. L’eau y est trouble, sale, jaunâtre, comme si elle était mélange d’immondices. Sa largeur ne correspond pas à la hauteur des immeubles qui la bordent ; elle paraît étroite. La Seine serait belle à Iaroslavl, à Koursk, mais pas à Paris… Il n’y a aucune comparaison possible avec notre belle et large Néva, aux eaux rapides et argentées.

Les premières impressions de Paris sont non seulement bizarres, mais désagreables. Les rues sont sales, sans trottoirs, la foule s’avance comme une muraille, sans céder le pas à personne…

Il serait vain de vouloir décrire l’impression magique produite par les boulevards parisiens quand on les arpente pour la première fois le soir. C’est un panorama qu’il faut voir ; on ne saurait le dessiner ou le décrire. Tous les rez-de-chaussée des immeubles sont occupés par des magasins qui tous sont éclairés au gaz. Les boulevards ne sont pas éclairés, mais bien illuminés. Vous marchez au milieu des lumières, sans savoir où donner du regard : dans chaque magasin sont exposés des milliers d’articles, les plus subtils et les plus jolis. Devant, derrière, de chaque côté de vous se pressent des artistes charlatans. L’un vous propose un billet de théâtre, à moitié prix ; un autre vous vendra pour cinq sous un élixir grâce auquel on peut vivre centenaire ; le troisième, fermant les yeux, imite parfaitement un aveugle et suscite la compassion des passants en jouant du violon : il est aveugle, mais s’approche toujours des gens riches bien habillés. La mendicité est strictement interdite à Paris, aussi elle se dissimule sous divers masques ingénieux. Un vieillard assis sur le boulevard fait marcher un orgue de barbarie, et les âmes compatissantes y déposent leur obole. La police ne peut rien contre lui : c’est un artiste…

Faut-il s’étonner que Paris passe pour être un lieu de divertissements, un centre de gaîté et d’érudition, une terre promise ! À Paris les heures, les jours n’existent pas : la vie entière est une seule journée, gaie, variée, éphemère.

Le mode de vie et le caractère des Parisiens

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Le Parisien se lève de bonne heure parce qu’il ne se couche pas tard. A peine debout, il sort déjà dehors, en plein air. Il étouffe, s’ennuie entre quatre murs. Il veut voir des gens, parler, discuter, connaître les nouvelles, ce qui s’est passé dans la nuit. Au saut du lit il s’en va au café qu’il connaît, prend son petit déjeuner, lit les journaux, se mêle des discussions politiques. Les Parisiens aiment tellement la vie de la rue qu’ils travaillent souvent dehors, devant leur atelier. A l’heure du dîner, tous les travaux cessent ; plus on a à faire, plus on dîne tard. Après le dîner il n’y a pas de travail, pas d’occupation, tout est fini. Le dîner est un moment important pour le Parisien ; il indique le passage de la vie laborieuse aux plaisirs, à la gaîté, à la causerie animée. Tout le monde est gai, insouciant, aucune besogne ne vous attend ; chacun ne pense qu’à s’amuser, à passer le mieux possible le reste de la journée…

Le Parisien n’aime pas rester enfermé dans une pièce sans air ; il travaille, mange et boit dehors, dans le jardin. Une fois sorti de chez lui, il ne rentre pas avant minuit. Tout a été conçu de telle manière que le Parisien n’aie pas besoin de son appartement…

La vie dans les rues convient au caractère du Parisien vif, gai, communicatif. Le Parisien est doué d’une telle vivacité, il aime tellement la société qu’il ne peut rester seul ; il lui faut causer constamment, faire part de ses impressions. Il a besoin de la foule, du bruit ; il sent que, seul, l’homme est faible, insignifiant, accablé mais que, joint à d’autres, il acquiert plus de force, de valeur, de courage.

La gaîté est le trait de caractère le plus enviable du Parisien. Il est presque impossible de donner une idée de cette gaîté, qui ressuscitera un mort. Il n’est pas étonnant que le Parisien rit et plaisante au théâtre, à table, quand il se promène cela doit être ainsi ; mais sa gaîté ne le quitte pas même aux instants des épreuves les plus dures. Il plaisante sur le banc de la police correctionnelle, avec devant lui plusieurs mois de prison ou une amende considérable à payer ; il plaisante sur son lit de mort, voyant la faucheuse approcher ; il plaisante lorsqu’on l’opère, quand les souffrances physiques ne lui laissent pas un instant de répit…

Il y a encore un autre trait exceptionnel du caractère du Parisien ; son sens du devoir. S’il est chargé d’une affaire, on peut être sûr qu’il s’en acquittera le mieux possible. Soit il ne fait rien, soit il le fait avec application, avec exactitude…

Les Parisiennes

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Les Parisiennes sont réputées en Europe être jolies et d’une charmante gentillesse. Les Anglaises, les Russes et les Allemandes les imitent comme elles le peuvent, rarement avec succès. Il faut être née, avoir grandi et avoir été élevée à Paris pour être Parisienne.

En général les femmes de Paris ne sont pas belles. Elles ont le teint trop mat, leurs joues se piquent rarement de vermeil ; mais elles sont élancées et très fines. Dès leur jeune âge, on leur fait porter un corset ; la taille s’ammincit selon toutes les règles et contraintes de la mode. Porter constamment un corset serré nuit à la santé, et les Parisiennes ont la taille bien prise, pâles, elles ont les nerfs fragiles. Elles ont la réputation d’avoir le pied mignon et de forme jolie. La plus simple soubrette possède un tel pied que toute milady anglaise peut l’envier…

Détaillez la Parisienne : il n’y a rien de particulièrement beau en elle. Vous ne verrez pas les yeux au regard brûlant des Italiennes ; ni les rondeurs langoureuses des Russes ; ni la noble blancheur anglaise du corps ; ni la charmante fraîcheur allemande du visage. Mais pourquoi la Parisienne produit-elle cet effet magique, et fait-elle une impression profonde sur tous ceux qui ont l’occasion de lui parler ou de danser avec elle ? Parce qu’elle est née coquette ; sait se servir de ce qu’elle a ; l’intelligence, la vivacité, le sentiment, souvent feint, remplacent la blancheur des joues. A 15 ans la Parisienne sait déjà sourire quand il le faut, baisser les yeux à l’occasion, jeter un regard langoureux ou sévère, montrer par hazard un joli petit pied, faire glisser par mégarde un fichu pour découvrir une jeune épaule ; elle sait parler à demi-mot, du regard, par des mouvements du corps ; sait faire un cadeau du regard ce qui est le summum de la coquetterie la plus fine.

La Parisienne n’use pas de sa coquetterie pour torturer les galants, mais elle répond volontiers à la passion qu’elle-même suscite. Elle veut plaire et aimer ; elle veut connaître toutes les variétés d’amour, de la passion ardente et folle à l’amour devoué et tranquille ; elle veut voir à ses pieds les ducs et les artistes, les riches et les pauvres. Elle veut dominer qui que ce soit.

La Parisienne s’habille avec soin et prête une attention particulière à ses toilettes. Le costume est pour la femme ce que le style est pour l’écrivain : il orne, ennoblit les traits les plus communs. A Paris, plus que nulle part ailleurs on reçoit suivant l’habit qu’on porte, on juge d’après l’habit et on respecte d’après l’habit…

La démarche de la Parisienne a son originalité. La Parisienne ne marche pas, elle glisse, comme sur le parquet d’une salle de bal ; elle ne pose que le bout du pied, le talon ne touchant même pas le sol. Si large et si long que soit un fichu, la taille est toujours marquée ; il y a pour cela une façon particulière de porter le fichu. Il est épinglé par derrière au haut du corsage de manière que l’épingle ne soit pas visible ; le bas du fichu est tiré en avant ; les bras pliés en croix sous la poitrine ramènent tout le fichu sur la poitrine et les bras sont ainsi serrés aux côtés, de manière que les coudes ne quittent pas les hanches. De cette manière le fichu serre le corps et souligne merveilleusement la taille, suggérant toutes les formes. Les coudes serrées obligent, qu’on le veuille ou non, à se tenir droite sans se voûter, à marcher d’un pas vif et alerté. Là est le secret de la beauté de la démarche parisienne.

La Parisienne change d’objets de ses amours aussi souvent que de toilettes. L’amour est pour elle une parure morale au même titre qu’un chapeau est une parure physique. Papillon insouciant, la Parisienne volette de fleur en fleur , d’une flamme à une autre, tant qu’elle ne se fera pas brûler les ailes de l’imagination…

(d’apres Les Russes découvrent la France au XVIIIe et au XIXe siècle)

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VOCABULAIRE

fortuit – нежданный, случайный

dignitaire (m) – высокопоставленное лицо, сановник

opportune – своевременный

vétuste – обветшалый

lanterne (f) – фонарь

immondice (f) – мусор, нечистоты

subtil – утонченный

mendicité (f) – попрошайничество

orgue de barbarie – шарманка

lieu (m) de divertissements – место развлечений

obole – зд. монета, скромный взнос

terre (f) promise – земля обетованная

ressusciter – воскрешать

faucheuse (f) – смерть с косой

répit (m) – передышка

s’acquitter de qch – выполнить что-л.

vermeil (m) – румянец

teint (m) – цвет лица

élancé – стройный

soubrette (f) – субретка, горничная

langoureux – томный, нежный, влюбленный

ennoblir – облагораживать, улучшать

fichu (m) – шейный платок

on reçoit suivant l’habit qu’on porte – по одежке встречают

parure (f) - украшение

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