Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №18/2009

Arts et culture

Alla CHEÏNINA

Boris Vian (1920-1959), cinquante ans après le départ

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« V comme Vian »

« Boris Vian passa comme un météore au milieu de notre siècle, laissant une trace éblouissante, énigmatique et inspiratrice. Chantre des merveilles, alchimiste fécond du langage et des formes, messager audacieux de l’imaginaire, il nous offre des milliers de pages inspirées par la poésie ».

Gilbert PESTUREAU

Dans les années 1965-1970, Boris Vian était superstar parmi les lycéens de toute la France. Leurs professeurs de littérature française entendaient leur faire lire Candide ou Madame Bovary, Chateaubriand et Stendhal… En vain… Les lycéens en tenaient pour Boris Vian ! L’Ecume des jours était leur livre-culte et quand on faisait passer l’oral au baccalauréat, où le candidat présentait la liste des textes étudiés durant l’année, elle comportait toujours ce roman de Boris Vian. Les jeunes ont compris et adoré sa liberté, son désir de n’appartenir à aucune mode, aucun courant philosophique ou littéraire. « J’ai essayé, dira Vian plus tard, de raconter aux gens des histoires qu’ils n’avaient pas lues. Mais ils n’aiment que ce qu’ils connaissent déjà ».


J’aimerais

J’aimerais
Devenir un grand poète
Et les gens
Me mettraient
Plein de laurier sur la tête
Mais voilà
Je n’ai pas
Assez de goût pour les livres
Et je songe trop à vivre
Et je pense trop aux gens
Pour être toujours content
De n’écrire que du vent...

Boris Vian, Dernier recueil 

Comme tous les jeunes, Boris Vian aime les jeux du langage : « Il y a des moments où je me demande, dira-t-il, si je ne suis pas en train de jouer avec les mots, et si les mots étaient faits pour cela ? ».

Comme tous les jeunes, il déteste le snobisme, il aime l’humour et le paradoxe. « Toutes les œuvres de Boris Vian sont des œuvres de jeunesse, d’une merveilleuse jeunesse. Boris Vian est mort jeune, et il a vécu jeune, il a chanté jeune, et la jeunesse ne s’y est pas trompée. » (Noël ARNAUD, Les Vies parallèles de Boris Vian

Je serai content quand on dira
Au téléphone – s’il y en a-t-encore
Quand on dira :
V comme Vian…

Boris VIAN, Le Fond de mon cœur

« La Vie, c’est beau et c’est grand... »

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Son œuvre et son aventure humaine appartiennent depuis longtemps au mythe. De son vivant déjà, Vian avait contribué à faire naître sa propre légende, livrant au public et aux journalistes, toujours en quête d’une sensation, des informations parfois bien surprenantes à son propos. Celle-ci, par exemple : « Je suis né, par hasard, le 10 mars 1920 à la porte d’une maternité, fermée pour cause de grève. A sept ans, j’entrais à l’Ecole centrale, et j’en ressortis trois ans plus tard, en 1942. J’ai un mètre quatre-vingt-six, je pèse assez lourd, et je place avant tout les œuvres d’Alfred Jarry… et mon épouse bien-aimée ».

Derrière le ton léger se dessine une attitude caractéristique de Boris Vian : un plaisir de provoquer, de ne dire que ce qu’il veut bien dire. Car ce qu’il détestait par-dessus tout c’était qu’on vienne fourrer son nez dans sa vie privée.

Il y a beaucoup de bonheur et de poésie dans son roman L’Ecume des jours. Mais on sent que derrière ce bonheur rôde la mort. Chloé, une ravissante jeune fille sensuelle, tombe malade d’un nénuphar dans le poumon. A mesure que la plante la ronge, Chloé condamnée, s’abandonne mélancoliquement aux fleurs du mal, son univers vivant se rétrécit et disparaît (ne peut-on voir là un symbole évident de Vian lui-même, tenaillé par sa maladie de cœur ?). Une histoire d’amour heureux qui tourne bientôt à la tragédie. Il est d’ailleurs impossible de résumer ce livre. Hymne au bonheur et à la vie, L’Ecume des jours est un roman trop magique pour être expliqué.

Quant à son roman J’irai cracher sur vos tombes, il fait toujours penser au scandale. Le nom de Boris Vian sera longtemps lié au feuilleton judiciaire qui suit sa publication. (Il sera jugé et condamné à 100 000 francs d’amende pour outrage aux bonnes mœurs, ce qui assure en revanche, le succès du livre.)

Avec le temps et la mode, on commençait cependant à découvrir et apprécier Vian le romancier (L’Arrache cœur, L’Herbe rouge, L’Automne à Pékin), mais aussi Vian le poète (Cent sonnets), Vian l’auteur de Chansons possibles et impossibles, de Contes de fées… et on se sentait de plus en plus séduit par sa fantaisie, l’équilibre parfait de rire et d’horreur, de tendresse et de cruauté, de pudeur et de violence… Le merveilleux chez Vian est souvent féroce, le rire est cruel, le drame est drôle, la logique est absurde…

Une vraie image de Boris Vian

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Vian l’écrivain, Vian le poète, Vian le chanteur, Vian le dramaturge, Vian l’auteur radiophonique, Vian le chroniqueur, Vian le conférencier, Vian le pédagogue, Vian le scénariste, le réalisateur et l’acteur de cinéma, Vian le jazzman, Vian l’amuseur public, Vian l’ingénieur, Vian le passionné de la vie. Vian l’insolent… Mais aussi Vian et ses doutes, Vian et sa peur de mourir, Vian et ses angoisses, son mal de vivre … On ne fait pas facilement le tour d’un homme, surtout s’il a, comme lui, touché à tant de choses. Une tâche encore plus difficile est de présenter une vraie image de Boris Vian… Roman, poésie, théâtre, nouvelle, critique (musicale, cinématographique, littéraire…), traduction, scénario, argument de ballet, opéra, concert de jazz, peinture et chanson : il a vraiment beaucoup produit dans tous les sens. Tout était romanesque dans sa vie.

Oui, romanesque, l’enfance heureuse dans la ville d’Auvray, dont Vian gardera toujours le souvenir de vacances perpétuelles ; le père, grand bourgeois libéral ; le prénom Boris, inspiré par la passion de sa mère pour l’opéra de Moussorgski Boris Godounov ; la complicité musicale, avec son frère Alain ; la salle de bal au fond du jardin, les fêtes incessantes, les surprises-parties réunissant jusqu’à 400 personnes, les camarades d’école, les voisins charmants – tout ce monde qui rendait l’existence gaie, légère, et douce….

Jusqu’à cette fatale crise cardiaque, le 23 juin 1959, dans une salle de cinéma dès les premières images d’une adaptation, désavouée par Vian, de J’irai cracher sur vos tombes.

Comme le rappelle son frère, Alain Vian : « Comme tous les gens qui sont malades, il avait toujours peur que la vie s’arrête. Il ne dormait que quatre à cinq heures par nuit. Il avait toujours quelque chose à faire, quelque chose à dire, quelque chose à écouter, quelqu’un à écouter et il travaillait d’une façon systématique pour ne pas penser à sa nuit ».

C’est l’époque où il semble partout à la fois : il s’implique pour un jazz, s’intéresse activement au cinéma, compose ses premières chansons. Mais son image est aussi fatalement associée aux gigantesques bacchanales menées dans les caves de Saint-Germain-des-Prés par des jeunes gens qui se déclarent « existentialistes ».

Le Manuel de Saint-Germain-de-Prés que Vian a écrit en 1950, attire le public convaincu qu’on peut voir dans ces caves les scènes imaginaires du roman.

Le Déserteur

(1954)

Paroles : Boris VIAN

Musique : Boris VIAN et Harold B.BERG

Monsieur le Président
Je vous fais une lettre
Que vous lirez peut-être
Si vous avez le temps
Je viens de recevoir
Mes papiers militaires
Pour partir à la guerre
img3Avant mercredi soir
Monsieur le Président
Je ne veux pas la faire
Je ne suis pas sur terre
Pour tuer des pauvres gens
C’est pas pour vous fâcher
Il faut que je vous dise
Ma décision est prise
Je m’en vais déserter
Depuis que je suis né
J’ai vu mourir mon père
J’ai vu partir mes frères
Et pleurer mes enfants
Ma mère a tant souffert
Qu’elle est dedans sa tombe
Et se moque des bombes
Et se moque des vers
Quand j’étais prisonnier
On m’a volé ma femme
On m’a volé mon âme
Et tout mon cher passé
Demain de bon matin
Je fermerai ma porte
Au nez des années mortes
J’irai sur les chemins
Je mendierai ma vie
Sur les routes de France
De Bretagne en Provence
Et je dirai aux gens
Refusez d’obéir
A ceux que je verrai
Refusez de la faire
Je décrirai la guerre
N’allez pas à la guerre
Et toutes ses misères
Refusez de partir
S’il faut donner son sang
Allez donner le vôtre
Vous êtes bon apôtre
Monsieur le Président
Si vous me poursuivez
Prévenez vos gendarmes
Que je n’aurai pas d’armes
Et qu’ils pourront tirer

« Un poète, c’est un être unique… »

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1950. Vian a 30 ans. Pour les raisons de santé, il est obligé d’abandonner la trompette ; ses livres trouvent difficilement à se faire éditer et ne se vendent pas.

Il est persuadé d’avoir raté sa carrière d’écrivain. Il décide de renoncer à la littérature. D’un tempérament renfermé, il ne dira pas sa peine, sa déception et avec toute sa générosité et sa curiosité, il se dirigera vers d’autres aventures. Fini les romans, donc, place aux chansons !

Henri Salvador, déjà très connu, sera le premier à chanter et à enregistrer les chansons de Vian. Tous les deux adorent rire. Tous les deux sont fous de drôlerie. Leur chanson Be-bop sera très appréciée par le public. Beaucoup d’autres chansons viendront, toujours écrites par Boris Vian et composées par Henri Salvador, dont très célèbres Blouse du Dentiste ou Faut rigoler (cette dernière sera un gros succès de 1960, un an après la mort de Vian ; il mourra donc, avant d’en percevoir les droits d’auteur, certainement les plus importants de toute sa carrière !).

L’association Vian-Salvador, sera extrêmement féconde : quelque 80 titres ! « Quand je travaille avec Salvador, nous ne nous soucions de rien. Il se met au piano et il trouve une musique. Nous écrivons une chanson, et nous ne pensons pas du tout si elle sera vendable ou non. »

Paradoxalement, on connaît peut-être plus ses chansons que ses livres. Avec la chanson, Vian découvre un nouveau sens, un nouvel engagement à sa vie. Ses paroles sont libertaires, anarchistes, violentes.

img6En 1955, il se décide à chanter lui-même ses chansons sur la scène d’une vraie salle de spectacles. Du 4 janvier au 22 juillet, et du 20 septembre au 29 mars 1956, il est à l’affiche des Trois Baudets.

« Ceux qui ont vu Boris Vian chanter sur scène s’en souviennent encore : grand, très grand, blême, très blême, une voix un peu haute et un trac immense... Quatorze mois de scène ! C’est un beau tour de force ! » (Nicole Bertolt, Préface du livre Chansons de Boris Vian)

Il écrit vite, facilement, sur un coin de table, là où il se trouve…et « comme c’est quelqu’un qui sait qu’il n’a pas beaucoup de temps à vivre, raconte son frère Alain, il fait des chansons pour tout le monde… Ce besoin finalement d’essayer de se dépasser avant la limite ». 

Il est très souvent en avance sur « la mode » des chansons. Il faut attendre 1965 – six années après sa mort – et la vogue soudaine de L’Ecume des jours pour que de jeunes interprètes fassent leurs débuts en prenant appui sur les airs de Boris. C’est Serge Reggiani qui rencontre son premier succès de chanteur avec Arthur, où t’as mis le corps ? (et c’est lui qui interprètera plus tard Le Déserteur). Depuis, ils sont nombreux, les interprètes d’hier et d’aujourd’hui qui ont pris plaisir à rendre hommage à Boris Vian : Serge Gainsbourg, Michel Jonasz, Yves Simon, Jean Ferrat, Hugues Auffray, Juliette Gréco, Magali Noël, Catherine Sauvage, Mouloudji, Henri Salvador, Coluche…. « A ce jour, ce sont environ deux cent quarante interprètes qui ont enregistré deux cent quarante chansons de Boris Vian ! » (Nicole Bertolt et Georges UNGLIK, Préface du livre Chansons de Boris Vian).

Un poète
C’est un être unique
A des tas d’exemplaires
Qui ne pense qu’en vers
Et n’écrit qu’en musique
Sur des sujets divers
Des rouges ou des verts
Mais toujours magnifiques...

Boris VIAN, Dernier recueil

« Ce qui m’intéresse, ce n’est pas le bonheur de tous les hommes, mais celui de chacun... »

Boris VIAN

Ça commence toujours

Musique : Alain GORAGUER

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Ça commence toujours
comme un coup de tonnere
On était bien tranquille, et soudain, patatras
On a beau protester qu’on n’aime pas la lumière
On vous chasse… on est né… et voilà
Voilà la vie qui vous ouvre la porte
Bonjour tout l’monde…
mais Bon Dieu qu’est-ce que je fais là ?
Ça commence toujours comme un coup de soleil
On est là dans la rue, elle passe, on la voit
Et jamais, non jamais il n’y a rien eu d’pareil
Elle rit… on est pris… et voilà
Voilà l’amour qui vous monte à la tête
Comme un alcool quand on la prend
dans ses bras
On s’était habitué à toutes les p’tites misères
On s’disait après tout c’est pas si mal que ça
Mais le temps file, file… on tourne avec la terre
On vieillit… on s’amoche… et voilà
La dame en noir vient frapper à la porte
Juste au moment où on commençait à aimer ça…

« Boris Vian, mort jeune comme ses héros, n’aura pas connu, hélas, le succès posthume de son œuvre maîtresse, ni la gloire conséquente. N’est-ce point en accord avec son sourire triste et avec l’écume dorée, tremblante et fragile de nos jours qui s’enfuient et nous coulent entre les doigts ? »

Gilbert PESTUREAU

Le 23 juin 1959, au matin, il quitte son appartement. Il descend le boulevard de Clichy et entre dans la salle du cinéma. Il est 10 heures. La salle s’assombrit. Son cœur s’arrête… Un matin comme les autres, un matin banal…

« Je voudrais pas mourir sans qu’on ait inventé la fin de la douleur, les journaux en couleurs, tous les enfants contents et tant de trucs encore… »

Boris VIAN

Dernière valse

Paroles et musique : Boris VIAN

Dernier journal
Dernier croissant
Matin banal
Des passants
Et c’est la fin du problème
Dernier atout
Dernier café
img7Dernier sou
Adieu, je m’en vais de vous

Dernier hôtel
Dernier amour
Dernier baiser
Dernier jour
Adieu, les choses que j’aime
Dernier remords
Dernier cafard
Dernier décor
Dernier soir
Je m’en vais sans au revoir

Dernière valse et pas de lendemain
Mon cœur n’a plus de peine
Dernière valse à l’odeur de jasmin
Et les quais de la Seine
Dernier bonsoir
Un peu à vous
Dernier espoir
Dernier tout
Dormez, la nuit est si calme
Dernier trottoir
Dernier mégot
Dernier regard
Dernier saut
Plus rien qu’un grand rond dans l’eau…

Il est né le 10 mars 1920. Il est mort le 23 juin 1959. Il n’avait que 39 ans…

SOURCES :

  1. Jean-Marie PLANES, Une chanson qui nous ressemble 
  2. François JOUFFA, Secrets de chansons
  3. Frédéric BEIGBEDER, Dernier inventaire avant liquidation
  4. Frédéric RICHAUD, Boris Vian vérité et légendes
  5. Noël ARNAUD, Les vies parallèles de Boris Vian
  6. Nicole BERTOLT et Georges UNGLIK, Boris Vian connaît la chanson
  7. Œuvres de Boris Vian, tomes 1, 2, 4, 11, 12

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