Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №21/2009

Arts et culture

Evgueni EROKHINE

Sœur Sourire : une destinée entre ombre et lumière

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Ce jour-là Jeannine Deckers note dans son journal intime : « J’ai écrit au Roi pour obtenir une audience. Attendons la réponse… Nous sommes à bout moralement et financièrement, nous n’avons plus un sou pour vivre… ». Jeannine précise qu’elle n’a plus de quoi s’acheter ses médicaments. Dans son logement de Wavre, près de Waterloo en Belgique sa table de travail est remplie de factures impayées dont celle annonçant la saisie de son appartement. Jeannine se retrouvera dans la rue comme une SDF.

Comment croire que cette femme désespérée, à bout de forces, était vingt ans plus tôt en tête de tous les hits parades en France, en Belgique et aussi aux États-Unis et qu’elle vendait des millions de disques ? Jeannine Deckers s’appelait alors Sœur Sourire, « la nonne chantante », comme la surnommait tous les journaux. Elle était devenue célèbre avec une chanson dont chacun fredonnait le refrain : « Dominique, nique, nique… ». Mais la religieuse n’a jamais touché un sou des millions de francs belges qu’auraient dû lui rapporter les droits d’auteur. Et en ce mars de 1985 elle se retrouve ruinée en survivant grâce à la charité de ses amis dans un modeste appartement. C’est le destin qui l’a voulu…

Jeannine Deckers est née en octobre 1933. Son père abusait beaucoup d’alcool et Jeannine en gardera, sa vie durant, une méfiance envers les hommes.

C’est peut-être pour cette raison qu’elle se tourne vers la religion. En 1960, Jeannine entre dans un monastère dominicain de Fichermont, à Waterloo, sous le nom de sœur Luc-Gabriel.

Douée pour la musique, elle anime des petites fêtes en chantant des poèmes de sa composition, qu’elle accompagne à la guitare.

Un jour d’octobre 1961 avec l’accord de sa supérieure du couvent, sœur Luc-Gabriel enregistre dans un studio d’une télévision catholique belge un 45 tours comprenant quatre chansons de son répertoire dont Dominique. À priori, une chanson sur Saint-Dominique pleine d’une poésie naïve :

« Dominique, nique, nique
S'en allait tout simplement,
Routier, pauvre et chantant
En tous chemins, en tous lieux,
Il ne parle que du Bon Dieu,
Il ne parle que du Bon Dieu »

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La maison de disque Philips se dit prêt à lancer sœur Luc-Gabriel auprès du grand publique. Encore faut-il trouver un nom un peu plus commercial. Ce sera « Sœur Sourire ». L’affaire est prise en main par la supérieur du couvent qui y met plusieurs conditions… Nul ne doit savoir qui est vraiment Sœur Sourire, laquelle ne sera photographiée que de dos avec sa robe blanche et sa voile noire et ne répondra à aucune interview.

D’autre part, sœur Luc-Gabriel qui a fait vœu de pauvreté ne peut envisager de toucher de l’argent. C’est donc avec ce monastère que la maison de disque signe le contrat. Sœur Sourire signe sans broncher les documents qu’on lui soumet sans en regarder les clauses. Une légèreté qu’elle regrettera un jour.

Dès le début 1962, Dominique devient un vrai tube et connaît un succès mondial. En un mois il s’en vend 40 000 exemplaire en Belgique. Puis la chanson sort des frontières européennes et traverse l’Atlantique.

img3Au mois de décembre 1962, Sœur Sourire rebaptisée « The Singing Nun » (la nonne chantante), est numéro un au hit-parade américain, devançant Elvis Presley, Beatles et Rolling Stones !

Mais l’identité de la chanteuse a été percée à jour, des paparazzis ont même réussi à la prendre en photos. Luc-Gabriel sans renier sa vocation religieuse songe à renouer avec le monde. Elle rêve d’enregistrer de nouveaux disques, de faire des tournées…

Luc-Gabriel demande en 1966 à quitter le couvent toute en restant religieuse. Elle ignore que les droits d’auteurs de Dominique ont déjà rapporté aux sœurs de Fichermont plus de 10 millions des francs belges (environ 250 000 euros).

Tout en acceptant son départ, les religieuses très correctes, lui reconnaissent désormais le droit de toucher ses droits d’auteurs à venir… Mais elle n’aura plus le droit de chanter sous le nom de Sœur Sourire qui reste propriété du couvent. Sa chute commence….

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Durant des mois, l’ex-religieuse enchaîne tournées et interviews. Le nouveau disque que Jeannine enregistre sous un pseudo n’a aucun succès. Philips met fin à leur collaboration.

En 1970 passant autre aux dispositions du contrat signé avec le monastère, Jeannine Deckers décide de reprendre son nom de scène, Sœur Sourire. Elle est à nouveau invitée sur les plateaux de télévision, compose une chanson pour l’Eurovision. Mais tout cela vient trop tard. Le monde a déjà oublié sa Dominique. Jeannine sombre dans la dépression, mélangeant l’alcool de médicaments.

Le 12 mars 1974, nouveau coup dur : elle reçoit un courrier du fisc lui réclamant 900 000 francs belges d’arriérés (environ 22 500 euros). Jeannine n’avait jamais pensé qu’il lui faudrait un jour payer des impôts sur les droits d’auteurs encaissés. Pour elle qui vit dorénavant en donnant des cours de catéchisme, c’est un naufrage.

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« Envie folle de crever, crever, oublier », écrit-elle dans son journal, au début de l’année 1985. Elle n’a même plus assez d’argent pour s’acheter des médicaments à la pharmacie.

À bout de ressource, Jeannine demande une audience au Roi. Sans succès. Le 21 mars elle lance un appel au receveur des impôts pour qu’il lève la saisie de ses droits d’auteurs : « Nous sommes le 21 du mois et nous n’avons plus rien pour vivre ». Pas de réponse. En revanche elle reçoit quelques jours plus tard une lettre de l’organisme de crédit qui a financé l’achat de  l’appartement. C’est l’ultimatum : si elle ne règle pas ses dettes, l’appartement sera saisi et vendu.

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Le lundi 1er avril 1985 son ami Jean Berlier qui s’est toujours démené pour arranger sa situation fiscale, reçoit une longue lettre. « Ça ne peut plus durer, nous souffrons vraiment trop », lui écrit Jeannine. Dans le même temps son deuxième ami, le père Jean-Yves Quellec, découvre dans sa boîte une lettre dans laquelle Jeannine lui annonce franchement ses intentions de suicide. Les deux hommes alertent le commissariat.

Quand ils forcent la porte de l’appartement au 8e étage de sa maison à Wavre, les policiers découvrent le spectacle désolant. Jeannine et son amie Annie gisent sans vie sur leurs lits jumeaux… La biographe Catherine Sauvat rapporte : « Sur la table de nuit, deux verres et une bouteille de cognac. Le bruit de tourne-disques, dont le bras bute sur les sillons de fin, grésille toujours. Le Concerto N1 pour piano de Tchaïkovski ». Annie avait 41 ans, Jeannine 51.

Vingt ans plus tôt, en quittant le couvent et le nom qui lui avait rapporté la gloire, Jeannine Deckers avait enregistré un disque dans lequel elle chantait :

« Elle est morte, Sœur Sourire,
Elle est morte, il était temps ».

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Elle pensait alors « rebondir ». En réalité c’était le début d’une chute irrémédiable.

Pour en savoir plus :

  1. Sœur Sourire, de Catherine SAUVAT, éditions Jean-Claude Gawsewitch
  2. Sœur Sourire : Journal d'une tragédie de Leen Van den BERG et Luc MADDELEIN, édition La Renaissance du Livre
  3. Sœur Sourire, film de Stijn CONINX avec Cécile de France, 2009
  4. http://www.ocean-films.com/soeursourire/

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