Arts et culture
Jeanna AROUTIOUNOVA
Serge Lifar (1905-1986), danseur et chorégraphe
Né en 1905 dans une famille aisée à Kiev, Serge Lifar y fait ses études au Lycée impérial. Entré dans la classe de piano du Conservatoire de musique en 1914, il se destine à cet art jusqu’en 1921, année où il découvre la danse, sous la férule de Bronislava Nijinska, sœur de Vaslav Nijinski. Il a seulement un an de danse lorsqu’il part en France, répondant au télégramme de Nijinska qui cherchait cinq meilleurs danseurs pour compléter la troupe des Ballets Russes. Il débarque à Paris le 13 janvier 1923. Il a 18 ans, et son ardeur au travail et la rapidité de ses progrès attirent l’attention de Diaghilev.
Engagé dans cette troupe prestigieuse qui révolutionne l’art chorégraphique, créant des spectacles audacieux au cours de tournées dans toutes les capitales européennes, Serge Lifar y poursuit sa formation avec deux grands pédagogues, Enrico Cecchetti et Nicolas Legat. Magnifique danseur alliant une beauté physique très masculine, une présence puissante et une technique raffinée, Serge Lifar devient le soliste des Ballets Russes et le favori de Diaghilev. Il crée, entre autres, trois chorégraphies – chefs-d’œuvre de Georges Balanchine, La Chatte, Apollon Musagète et Le Fils prodigue. Toujours en quête de nouveauté, son mentor le pousse à s’essayer à la chorégraphie. Lifar signe ainsi Renard de Stravinski, en 1929. Mais le 19 août 1929, le grand impresario meurt à Venise. Serge Lifar est à son chevet.
1929, c’est l’année de la dissolution des Ballets Russes, voulue par ses héritiers. Appelé par Jacques Rouché, directeur à l’Opéra de Paris, Serge Lifar va faire pendant 25 ans au Palais Garnier une longue et brillante carrière de danseur, de professeur, de maître de ballet et de chorégraphe. Présent sur tous les fronts, il crée un répertoire composé de ses propres œuvres et des grands classiques du XIXe siècle, forme de jeunes étoiles (Yvette Chauviré, Liane Daydé, Lycette Darsonval, Claude Bessy, Christine Vaussard…), dynamise le corps de ballet, institue des soirées entières de ballet, les « mercredis de la danse ». Ayant ainsi remodelé le Ballet de l’Opéra, il l’entraîne dans de nombreuses tournées à l’étranger, au Canada, aux États-Unis, au Brésil, en Argentine, au Japon, en URSS…
Temporairement exclu du Palais Garnier après la Libération, Serge Lifar fonde en 1945 le Nouveau ballet de Monte-Carlo, qu’il remettra au marquis de Cuevas deux ans plus tard, lorsqu’il regagnera l’Opéra. Pour ses chorégraphies, Serge Lifar développe un style dit « néo-classique », complétant le vocabulaire de la danse académique. Il passe commande à des compositeurs et à des peintres avec lesquels il collaborera toujours heureusement, perpétuant ainsi les leçons apprises aux côtés de Diaghilev pendant ses années aux Ballets Russes.
Pratiquement tous ses ballets (une centaine) sont basés sur un livret, bien souvent en relation avec la recherche de l’absolu et l’accomplissement du destin. Peu d’entre eux sont restés au répertoire : Icare (1935), sorte de manifeste sur la primauté du mouvement sur le rythme, pour lequel Picasso brosse un rideau de scène, Suite en blanc (1943), une de ses seules œuvres sans livret, Phèdre (1950) pour lequel il collabore avec Jean Cocteau pour le livret, les décors et les costumes, sur une musique de Georges Auric, Les Mirages (1944), sur une musique de Henri Sauguet, dans des décors et des costumes de Cassandre, Istar (1941), sur une musique de Vincent d’Indy, dans des décors et des costumes de Léon Bakst.
Le ballet en France a considérablement bénéficié du succès de Serge Lifar, il a maintenu le prestige de la danse masculine, plusieurs de grandes ballerines françaises – Solange Schwarz, Lycette Darsonval, Yvette Chauviré, Nina Vyroubova – lui doivent énormément. Capable de la plus grande générosité, il n’a pas fait fortune et a continué à vivre en bohème, insoucieux de sa tenue vestimentaire, prenant le métro et déjeunant d’un sandwich au comptoir.
Serge Lifar s’attache à faire connaître la danse par tous les moyens, donnant des cours et des conférences, notamment aux Jeunesses musicales, à la Sorbonne, et dans le cadre de l’Université de la danse qu’il fonde en 1958, et publie de nombreux ouvrages. Il passe les dernières années de sa vie à Lausanne, où il meurt le 15 décembre 1986, à l’âge de 81 ans, léguant à cette ville un très important fonds d’archives et de documents professionnels.