Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №2/2010

Arts et culture

Evgueni EROKHINE

Naoum Kleïman, directeur du Musée du Cinéma : « Notre Musée du Cinéma est une sorte de navigateur pour proposer le meilleur du cinéma français »

L’année passée, nous avons célébré le centième anniversaire de la collaboration franco-russe dans le domaine du cinéma. À cette occasion, nous avons eu le plaisir d'interwiever Monsieur Naoum Kleïman, directeur du Musée du Cinéma, qui a aimablement répondu aux questions de La Langue française.

– Monsieur Kleïman, comment le cinéma français est-il venu en Russie ?

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Naoum Kleïman

– Il faut dire que ce sont les Français qui ont apporté le cinéma en Russie. Tout a commencé en 1896 quand deux hommes ont posé au carrefour des rues Tverskaya et Okhotny ryad une boîte étrange. À l’époque, personne ne savait ce que c’était comme appareil. Comme vous pouvez le deviner, c’était le premier appareil cinématographique, et ces deux hommes étaient deux opérateurs français envoyés en Russie par les frères Lumières. Leur but était de filmer les scènes de la vie quotidienne de Moscou. Les gens pouvaient voir sur les écrans des images animées provenant de nombreux coins du monde.

Ensuite arrivent les correspondants de la firme « Pathé » qui s’est fait connaître notamment grâce à leurs appareils sonores. Le mot « pathéphone » est entré dans le quotidien. C’était un appareil, un tourne-disque, arrivé après une autre invention un « phonographe ». Les pathéphones de « Pathé » étaient dans de nombreux foyers russes, et c’est cette entreprise qui a commencé la fabrication des appareils cinématographiques qui vont se répandre dans le monde entier. En 1908, « Pathé » ouvre sa représentation en Russie pour, d’abord, projeter des films français, mais aussi pour pouvoir filmer.

img2De 1898 à 1908, des correspondants de « Pathé » sont venus à plusieurs reprises en Russie pour monter leur Pathé-journal qui était projeté, d’habitude, avant le film. À l’époque, les films ne duraient qu’une trentaine de minutes. Avant le « vrai film » on projetait un film comique d’une durée d’une vingtaine de minutes, avant même ce film comique on projetait de la publicité, et avant cette publicité on projetait le Pathé-journal. Il était composé de plusieurs sujets dont l’un consacré à la Russie. C’est grâce à « Pathé » que les spectateurs français, italiens ou américains ont pu découvrir, sans partir de leurs villages, par exemple, la fabrique des conserves d’Astrakhan. C’est le premier sujet cinématographique « russe » filmé en 1908 qu’on a pu conserver, et nous le projetterons cette année dans une de nos salles de cinéma.

Donc, ce sujet russe était, par exemple, suivi du sujet sur la construction des gratte-ciels à New-York, qui à son tour, était suivi de La fête des vignerons dans le sud de la France, et ainsi de suite. Cet assemblage d’images permettait de faire le tour du monde. Ces films portaient une sorte de message de paix, en montrant que de l’autre côté de la frontière les gens n’étaient pas hostiles (ce qui n’a pas pu, malheureusement, empêcher l’éclatement de la Première Guerre mondiale). Néanmoins, ces sujets faisaient naître le sentiment de l’homogénéité humaine et c’est l’un des plus grand mérite de l’invention française.

C’est aussi une des différences de la mentalité française et américaine. Les Français ont apporté au cinéma cette idée de collectivité, tandis que les Américains misaient plutôt sur l’aspect individuel.

En France les films étaient projetés dans des cafés, ce qui est très important, car le café c’est un institut social où les gens mangent, mais aussi discutent et créent des micro-communes sociales à la différence du fast-food américain.

– Comment les films français venaient en Russie ?

– Les mécanismes étaient différents. Au début, c’était des représentations du « Pathé » qui s’occupait des projections des films français ainsi que de la location des pellicules aux salles de cinéma. Le fameux symbole de l’entreprise « Pathé », coq gaulois, était connu de Moscou à Vladivostok car les professionnels du cinéma achetaient des films français, en faisaient des copies et collaient les titres en russe entre deux images muettes.

img3La distribution russe va naître avec Alexandre Khanzhonkov. À l’époque, il s’est passionné pour le cinéma français à tel point, qu’il a acheté un projecteur et un film intitulé La Vie de Jésus. Ce film a été réalisé en 1906 et était exceptionnel, avec ses prises de vues combinées : l’action se passait sur la terre et au ciel ; on y voyait la naissance de Jésus et les anges qui l’entouraient. C’était aussi le jeu de couleurs : chaque cadre était travaillé manuellement. Avant toute projection, le film devait passer à la censure politique et religieuse. Voilà pourquoi La Vie de Jésus était interdit à la projection. Ce film a disparu, il semblerait à jamais. Mais... il y a quelques années un visiteur est venu au Musée du Cinéma pour nous proposer un très vieil appareil cinématographique marqué « Pathé ». Donc, nous avons pu trouver une somme nécessaire pour acheter cet appareil. Une fois tous les papiers signés, cet homme nous a dit d’avoir également une très vielle pellicule qui allait avec cette machine et qu’il nous donnait gratuitement. Quels étaient notre étonnement quand nous avons vu que c’était la célèbre copie de La Vie de Jésus avec des titres russes, copie que nous avons toujours considérée perdue…

Le rebondissement important de la collaboration cinématographique franco-russe commence après la révolution de 1917. La plupart de réalisateurs de cinéma, acteurs, producteurs et simples passionnés, en Russie, n’ont pas supporté l’idée de la nationalisation de ce secteur et ont dû fuir le régime, en partant pour la France. Vous savez que le 27 août c’est la Journée du cinéma en Russie, mais en fait c’est la date de la nationalisation du cinéma par les autorités sovietiques en 1919.

Ainsi naît en France le studio de cinéma « Albatros » fondé par les ressortissants russes. Ils produisaient des films traitant des sujets « russes ». Ce studio s’est très vite intégré dans la vie européenne et a apporté dans le cinéma une touche d’avant-gardisme. Nombreux étaient les réalisateurs français qui tournaient dans leurs films les acteurs russes. Des émigrés russes, peintres, décorateurs, photographes ont été également sollicités pour tourner des films des réalisateurs français.

En Russie, entre temps, commence l’époque de la Nouvelle Politique Economique (NEP). C’est une époque où les films français arrivent en masse dans les salles de cinéma russes. On ouvre des petits bureaux qui achètent des films à l’étranger et les font venir en Russie.

– Donc on peut dire que le cinéma français occupait la position importante en Russie soviétique ?

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– Oui, avec le cinéma américain, les Français étaient très connus en Russie. Les films de René Claire ou de Jean Epstein ont eu un succès énorme.

Notre collaboration cinématographique continue avec la réalisation des films avec des sujets « français ». C’est à ce moment-là, que nos réalisateurs commencent à filmer quelques scènes directement en France pour donner de la réalité à leurs films. C’est le cas, par exemple, du film Le Nouveau Babylon (1929) sur la Commune de Paris. Ce film a été entièrement réalisé dans les studios de « Lenfilm » mais des prises de vues de Notre-Dame ou des rues parisiennes ont été filmées sur place à Paris. Malheureusement, cette collaboration n’a pas duré longtemps. Dans les années 1930 tombe le rideau de fer, et les films français disparaissent de nos salles. Malgré cela, nous avons organisé en 1935 le Premier festival international du cinéma, et le Grand Prix a été attribué au film de René Clair Le Dernier milliardaire.

Pendant la Deuxième Guerre mondiale, on commence à exporter des films français qui traitaient la chronique de guerre. Une fois la France libérée, la chronique de guerre filmée par les caméramans russes arrive dans les salles de cinéma de l’Hexagone.

J’ai oublié d’ajouter qu’en 1944 le célèbre réalisateur russe Sergueï Youtkevitch, qui était un francophile passionné, a réalisé le documentaire lyrique La France libérée qui est passé dans presque toutes les salles de cinéma en Russie.

Après la guerre, la France devient le chouchou du cinéma européen. La Russie se passionne aussi pour les films français. Mais il ne faut pas oublier que le cinéma français d’après-guerre a puisé beaucoup dans le cinéma russe des années 1920.

Après la guerre, on appréciait surtout le cinéma français classique, ce qu’on appelait « le cinéma de qualité ». C’étaient La Chartreuse de Parme, Le Rouge et le noir. Et à ce moment, commence le culte des acteurs français. Dans les années 1950 commence une vraie chasse aux images et photos des stars de cinéma français : Gérard Philippe, Jean Marais, Danielle Darrieux, Jean Gabin…

Le film français le plus connu de l’époque est le film franco-italien de René Clément avec Jean Gabin dans le rôle principal Au-delà des grilles (У стен Малапаги, dans la traduction russe). C’est après ce film que Jean Gabin conquiert les Russes et devient ici une vraie star.

– Est-ce que les acteurs français venaient voir leurs « fans » en Russie ?

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– Malheureusement, non. L’un des rares visiteurs était Yves Montand qui était lui aussi l’idole des Russes et qui a eu un grand succès avec le film de Clouzot Le Salaire de la peur, un thriller merveilleux sur deux hommes transportant de l’explosif en Amérique latine qui meurent à cause de l’explosion. Le thriller était un genre rare de l’époque et le jeu brillant de Montand a fait de lui un héros de son temps. Donc, quand Yves Montand est venu en Russie avec ses chansons, il était déjà au sommet de la gloire.

À partir de ce moment, l’idée de la coproduction franco-russe germe dans l’esprit des professionnels du cinéma. En Europe, des coproductions est une chose ordinaire. De nombreux films ont été réalisés ensemble dans les studios franco-italiens ou franco-américains. En Russie le premier film franco-russe est La Normandie-Niémen sur le combat commun contre les nazis pendant la Deuxième Guerre mondiale. Ce film a eu un succès énorme auprès du public russe pour deux principales raisons : d’abord les Russes considéraient les Français comme leurs amis, et deuxièmement c’est pour la première fois que les acteurs russes et français se sont retrouvés sur le même plateau du tournage. C’était un échange d’expérience entre les deux pays.

Dans les années 1950, quand la « Nouvelle Vague » naît en France, la Russie n’a acheté aucun film français, sauf Les 400 coups de Truffaut. Les idéologues soviétiques avaient peur de l’influence des films progressistes de la Nouvelle Vague et ont préféré garder leurs distances.

Depuis, très peu de films français de qualité sont projetés en Russie pour de multiples raisons : la principale est une raison idéologique, après vient une raison commerciale. Les producteurs russes préfèrent acheter des films américains qui sont au box-office, au détriment des films français qui ne sont pas très « apportants » au niveau de l’argent. La culture cinématographique de notre public a baissé.

– Vous parlez du cinéma « adulte », mais est-ce que cela veut dire que le cinéma pour enfants et adolescents a été injustement oublié ?

– En Russie il y avait très peu de films de réalisateurs français pour les enfants. C’étaient en général des courts-métrages dont les plus connus sont ceux d’Albert Lamorisse Crin blanc et Le Ballon rouge.

Le Ballon rouge est une histoire d’un garçon qui trouve un gros ballon rouge accroché à un réverbère. Commence alors une histoire d'amitié avec ce ballon qui suit le petit garçon dans les rues de Paris. Mais ce ballon fait objet de la jalousie des autres garçons qui tirent sur le ballon du cheval de frise. Et donc ce ballon rouge meurt. Alors nous voyons d’autres ballons rouges qui volent à travers tout Paris vers le garçon malheureux et l’emportent dans le ciel loin de méchants camarades. Ce court-métrage a eu un grand succès en Russie et on le projetait pendant les séances de cinéma pour les enfants.

Même si les films issus de la Nouvelle Vague ne passaient pas dans les salles, ils passaient par contre dans le Musée du Cinéma et le public intéressé a pu prendre connaissance des œuvres de Godard ou de Truffaut. Les cinéphiles russes ont positivement réagi à travers ces films aux idées de la Nouvelle Vague, et nos réalisateurs des années 70-80 ont été solidaires avec les leaders de ce mouvement français.

– En tout cas, on peut constater qu’aujourd’hui la France est mieux présentée en Russie que les autres pays étrangers, mais, néanmoins, pas suffisamment.

– Vous êtes directeur du Musée du Cinéma. Quel est son rôle aujourd’hui ? Quels sont vos projets ? Avez-vous l’intention de continuer la tradition de la promotion du cinématographe français en Russie ?

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Naoum Kleïman

– La France reste notre partenaire privilégié dans le domaine du cinéma. Et nous avons une riche cinémathèque des réalisateurs français. Avec l’ambassade de France en Russie nous organisons la projection des films de nombreux réalisateurs français, comme Abel Ganz, Jean Renoir, René Claire, et en même temps nous proposons des films de la Nouvelle Vague. C’est Jean-Luc Godard qui est devenu notre ange-gardien. Je l’ai rencontré un jour au festival de Venise et il m’a demandé si je savais ce qu’était le dolby-surround qui était déjà dans presque toutes les salles européennes de cinéma. « Comment peux-tu projeter les films dans ton Musée du Cinéma sans utiliser le son de bonne qualité ? », m’a demandé Jean-Luc Godard. Et il a acheté pour notre Musée du Cinéma avec son propre argent un appareil avec le son « dolby », qui était en 1992 le premier en Russie. Il l’a fait transporter sur de gros camions à travers toute l’Europe et, avec ses spécialistes français, l’a fait installer dans notre musée. Nous avons entendu pour la première fois ce qu’était un vrai bon son. Ce merveilleux cadeau nous a beaucoup responsabilisés.

Après Jean-Luc Godard, nous avons fait une rétrospective des films de Eric Rohmer qui n’a jamais été projeté en Russie, et que le public russe ne connaissait pas. Il faut dire que notre salle du Musée du Cinéma était bondée : les gens étaient assis sur les marches et se tenaient debout appuyés contre le mur. Depuis, Rohmer est devenu notre chouchou et, de temps en temps, nous proposons dans les contextes différents des films dont il est réalisateur.

Nous allons continuer à travailler dans cette direction et cette année, en célébrant le centième anniversaire de la collaboration franco-russe dans le domaine du cinéma, nous réalisons la projection intitulée « EXPOCINEMA », cycle de trois parties qui sera projeté à Moscou, Vladikavkaz et Novossibirsk. La première partie du cycle est consacrée à la Nouvelle Vague. Nous l’avons commencée avec le film d’Alain Resnais Hiroshima, mon amour, et six autres films réalisés dans les années 60-70. Le deuxième cycle a débuté avec les films contemporains, dont un des films d’Alain Resnais réalisé dans notre temps. Et la troisième partie du cycle sera consacrée aux films réalisés par l’entreprise « Pathé » en Russie et importés de la France. Il s’agit, entre autres, des films 1812 réalisé par « Pathé » en 1912, La Dame de Pique de Pouchkine qui était réalisé par les Français et l’adaptation de la fable de La Fontaine (et dans la version russe, de Krylov) La Cigale et la fourmi. Ainsi nous proposerons aux spectateurs six films de chaque décennie dès le début du cinéma français sur le sol russe jusqu’aux années 2000.

– Et qu’est-ce que vous proposerez aux cinéphiles dans le cadre de l’année croisée France-Russie ?

– Nous allons célébrer cet événement exceptionnel avec la Galerie Trétiakov où se tiendra l’exposition « Les saisons russes à Paris ». Nous allons donc projeter des films ayant comme thème « Les saisons russes à Paris ». Ce seront les reconstitutions des ballets de Diaghilev ainsi que des films réalisés à cette époque-là, documentaires, faits par les réalisateurs de nos deux pays.

– Et la toute dernière question : quel est l’avenir du cinéma français en Russie ? Croyez-vous que le public russe reste fidèle au cinéma français malgré tous les blockbusters qui envahissent notre pays ?

– Je peux vous dire qu’actuellement on sent la fatigue du public russe des films américains avec les mêmes visages, mêmes sujets. Il en a déjà assez ! Il y a des gens qui aimeront aller voir les films français, « le cinéma de qualité ». Il faut leur proposer des bons films français, projetés, de préférence, dans des salles de cinéma spécialisées en art-house qui n’existent malheureusement pas encore en Russie. Je vous assure que ce type de cinéma trouvera son public. Et c’est ça ce qu’il nous faut, c’est ça dont nous avons besoin afin que le cinéma français soit aimé, apprécié et regardé par les Russes. Notre Musée du Cinéma sera une sorte de navigateur dans ce dédale de films pour proposer ou conseiller le meilleur du cinéma français.

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