Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №4/2010

Arts et culture

Jean-Philippe Arrou-Vignod

Celle qu’on n’invitait jamais

Jean-Philippe Arrou-Vignod, professeur de français au collège. Lorsqu’il écrit pour les enfants, c’est avec le souci constant de leur offrir des livres qu’il aurait aimé lire à leur âge.

Cybèle est une fille grosse et laide aux oreilles rouges et aux yeux exorbités. Elle n’est pas tout comme les autres enfants. Tout le monde a sa bande, ses copains, sauf Cybèle. Personne ne l’aime et ne l’invite jamais à son anniversaire.

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La veille de l’anniversaire de Mérovée, le téléphone a sonné chez nous.

C’est ma mère qui a décroché. Je l’ai entendue qui disait « oui, oui, bien sûr, je comprends, bien sûr, comptez sur moi… » avant de reposer le téléphone avec un air tout drôle.

– Qu’est-ce que c’est que cette histoire d’anniversaire ? elle m’a dit.

Mérovée avait invité toute la classe ce mercredi-là. Comme son appartement est trop petit, ses parents avaient décidé de fêter son anniversaire chez McDonald’s : on loue la salle tout entière, on passe l’après-midi à se gaver de Coca et de hamburgers sans avoir ses parents sur le dos.

– C’était la mère de Cybèle, elle m’a dit. La pauvre fille pleure toutes les larmes de son corps depuis hier soir. Elle est la seule à ne pas avoir été invitée.

J’ai dit que je ne savais pas, que d’abord elle était au régime et que ce n’était pas mon anniversaire à moi, que Mérovée avait bien le droit d’inviter qui il voulait.

– Très bien, a dit ma mère. Pas de Cybèle, pas de Xavier Lepot. Débrouille-toi comme tu voudras.

C’était vraiment injuste.

Non seulement je ne peux jamais fêter mon anniversaire avec mes copains, mais, en plus, on me rend responsable de ceux des autres !

Finalement, ma mère a pris les choses en main.

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Elle a appelé la mère de Mérovée et lui a expliqué la situation. Entre mères, elles se comprennent, surtout quand c’est contre nous.

La mère de Mérovée a appelé Cybèle, elle a dit qu’un carton s’était perdu, qu’elle espérait que Cybèle n’avait pas pris d’engagements pour cet après-midi-là, que Mérovée ne s’en remettrait pas si elle manquait son anniversaire, etc.

Je ne sais pas comment Cybèle a pu gober toutes ces salades. Le lendemain, en tout cas, elle était devant McDonald’s, un énorme paquet sous le bras et le visage plus rouge qu’à l’ordinaire.

Personne ne s’occupait d’elle et pourtant elle rayonnait, un peu à l’écart avec sa mère, les cheveux rassemblés en deux petites tresses qui se dressaient au-dessus de sa tête comme des antennes de coccinelle.

J’ai fait moi aussi un détour pour l’éviter, mais sa mère m’a sauté dessus.

– Xavier, elle a dit, Cybèle est très intimidée. Tu comprends, c’est son premier anniversaire. Je peux compter sur toi, n’est-ce pas ? Je suis sûre que tu es un garçon chevaleresque.

J’ai eu honte qu’elle me dise ça devant tout le monde.

C’était bien ma veine : non content de supporter ma sœur toute la semaine, il fallait encore m’occuper de Cybèle au lieu de jouer avec mes copains !

J’ai bégayé quelque chose, bien décidé à me débarrasser de ce boulet le plus tôt possible : je n’avais aucune envie de me gâcher l’après-midi.

Les parents de Mérovée avaient loué une grande salle au premier étage. Devant la porte, un écriteau disait :

« Réservé. Anniversaire de Mérovée. »

À l’entrée, on nous a distribué des ballons, comme chez le marchand de chaussures, et des coffrets-cadeaux dans lesquels il y avait une casquette McDonald’s et des autocollants McDonald’s.

– Ils croient qu’on va se perdre ou quoi ? a demandé Pythagore.

– Banane, a dit Kevin. C’est de la publicité.

C’est Mérovée le premier qui a eu l’idée de mettre les autocollants sur les fesses des filles. On avait tous nos casquettes sur le crâne, on se poursuivait en hurlant à travers la salle, jamais on n’avait autant rigolé.

Après, on a joué à remplir d’eau les ballons. Les uns après les autres, on descendait aux toilettes pour les gonfler au robinet, on remontait discrètement et on s’amusait à se les lancer.

Le plus drôle, c’est quand quelqu’un ratait la passe : le ballon éclatait sur le sol dans une grande gerbe d’eau, on était arrosés de la tête aux pieds…

Cybèle, terrorisée, était montée sur une table, serrant dans ses bras le gros paquet qu’elle n’avait pas quitté.

– Mes chaussures ! criait-elle. Ne mouillez pas mes chaussures !

Dans un sens, ça m’arrangeait. Elle n’avait pas cessé de me suivre depuis le début de l’après-midi, allant partout où j’allais sans me lâcher d’une semelle.

De temps en temps, la serveuse passait un œil par la porte et s’enfuyait aussitôt. Quand ç’a été l’heure du goûter, elle est montée, escortée du gérant, nous apporter du Coca et des hamburgers. Ça a calmé tout le monde. On s’est assis par petites tables et, comme un fait exprès, j’avais Cybèle à côté de moi.

– Tu ne manges pas ? j’ai dit, histoire d’être aimable.

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– Chi, elle a dit en s’empiffrant de mayonnaise. Ch’ai l’autorisachion pour auchourd’hui.

Ça a paru la requinquer de manger, car elle a ri quand Pythagore a voulu lui mettre de ketchup dans le cou.

– Maintenant, a dit Mérovée, aboulez les cadeaux. Vous ne croyez pas que vous allez goûter pour rien ?

Le plus beau, c’était le cadeau de Cybèle : une énorme mallette de magicien, avec des cartes, des foulards et un chapeau pliant pour faire disparaître des lapins blancs.

– Mince ! a dit Kevin. Elle ne s’est pas moquée de toi.

– Je l’ai payée avec mes économies, a dit Cybèle en rougissant.

– Tu crois qu’en la fourrant dans le chapeau, tu pourrais la faire disparaître ? a ricané Pythagore.

– Impossible, a dit Lucas. Le chapeau péterait avant.

– En tout cas, j’ai dit en écrasant mon hamburger sur la figure de Lucas, pour te rendre moins crétin, il faudrait être magicien.

Je ne sais pas ce qui m’a pris. Une espèce de réflexe.

Pourtant, j’adore les hamburgers.

Ça me faisait de la peine d’en gâcher un sur la tête de Lucas, mais je n’avais pas pu résister.

Lucas me regardait, la figure couverte de salade et de viande hachée, avec le ketchup qui lui coulait du nez et des rondelles de concombre sur les joues.

– Lepot, il a dit, tu vas me payer ça.

Je ne suis pas méchant, mais il ne faut pas m’énerver. On a roulé sous les tables, au milieu des ballons crevés et des papiers cadeaux.

– C’est mon anniversaire ! criait Mérovée. Je vous ordonne d’arrêter !

En deux minutes, ç’a été la bagarre générale.

Kevin s’était emparé des lunettes de Pythagore et les tordait dans tous les sens, les filles pinçaient, hurlaient, les hamburgers volaient à travers la salle, Alban tentait d’étrangler Jonas… L’ambiance de classe dégénérait, comme aurait dit Mlle Laude.

– Réglons ça en tournoi, a dit Kevin en profitant d’un moment d’accalmie.

Tout le monde était d’accord. Les gens de McDonald’s avaient été très gentils jusque-là, ça n’était pas le moment de les contrarier en saccageant le restaurant.

Chaque fille a choisi un garçon pour lui servir de cheval.

Quand les couples ont été formés, il ne restait plus que Cybèle et moi.

– Ça ne fait rien, elle a dit. Monte sur mon dos, on va les écraser.

En moins de temps qu’il n’en faut pour le dire, je me suis retrouvé sur son dos. J’étais le seul garçon porté par une fille, les autres se sont mis à rigoler et Cybèle en a profité pour foncer dans le tas, renversant Lucas et Nadège, Pythagore et Bertille comme une balle dans un jeu de quilles.

Normalement, on n’a pas le droit de faire tomber les chevaux.

Mais tout le monde trichait, alors on s’en est donné à cœur joie. Cybèle chargeait, moi j’attrapais les filles par les cheveux, je tordais, je pinçais, désarçonnant les cavalières et bousculant les chevaux.

À la fin, on s’est retrouvé les seuls debout. Cybèle était écarlate, bien campée sur ses deux jambes au milieu du champ de bataille.

– Vous avez triché, a gémi Lucas en se frottant les tibias. Les filles n’ont pas le droit de porter les garçons !

– Répète un peu pour voir, a dit Cybèle.

Ses petites nattes dressées ressemblaient maintenant à des cornes de taureau, la sueur lui coulait le long des oreilles : plus personne n’aurait osé se moquer d’elle.

– Bien fait pour toi, a dit Kevin à Lucas. Tu n’avais qu’à pas commencer.

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– Il a raison, a dit prudemment Mérovée. Cybèle a gagné le tournoi. D’abord, c’est mon anniversaire, c’est moi qui décide.

– Celui qui n’est pas d’accord n’a qu’à venir s’y frotter, a continué Kevin.

– Oui, Cybèle a gagné, a dit tout le monde. C’est la plus forte. Vive Cybèle !

Ils se sont tous approchés pour la féliciter. J’en ai profité pour descendre de ma monture, les cuisses brisées comme si je venais de faire un rodéo.

Le triomphe de Cybèle a été de courte durée. Soudain, elle est devenue toute blanche.

– Écartez-vous, elle a dit. Je crois que je vais être malade.

Nadège a juste eu le temps de l’accompagner aux lavabos.

– La pauvre, a dit Bertille. C’est ce qu’elle a mangé. Elle n’a pas l’habitude, avec son régime…

– Ça doit être dur, a dit Pythagore. Une vie entière sans Malabar… Moi, je préférerais qu’on m’achève tout de suite.

– Elle fait de l’asthme aussi, a continué Bertille. C’est elle qui me l’a dit. Il ne faut pas qu’elle s’agite.

– Je ne savais pas, a dit Lucas d’un air penaud. D’ailleurs, il était super, son cadeau.

Moi, je n’étais pas trop fier non plus. Je devais m’occuper de Cybèle, et je l’avais entraînée malgré moi dans une bataille rangée.

Quand elle est remontée, on a fait cercle autour d’elle. Elle a dit que ça allait mieux, qu’il ne faudrait pas dire à sa mère qu’elle s’était battue : sa mère détestait qu’elle se donne en spectacle. Elle a dit aussi qu’elle inviterait tout le monde chez elle quand elle aurait fini son régime.

– De toute façon, a dit Lucas pour se rattraper, nous aussi, on aime les carottes et les yaourts sans sucre.

Depuis ce jour-là, chaque fois que je vois Cybèle assise sur un banc de la cour avec sa boîte de pique-nique, je repense à l’anniversaire de Mérovée.

Je me rappelle la raclée qu’on a flanquée tous les deux à la classe, et je me dis que je devrais aller la voir, ne pas la laisser seule sur son banc au milieu de la cour.

Mais, chaque fois, je n’ose pas.

Je reste à manger mes frites avec les copains, lâchement, de peur qu’ils se moquent de moi.

 

Tatiana SLASSINOVA

Fiche pédagogique

1. Répondez à ces questions :

  1. Pourquoi personne n’aime Cybèle ?
  2. Dans votre classe y a-t-il des personnes pareilles ? Comment on les traite ?
  3. Personne ne s’occupait de Cybèle. Et pourtant ce jour-là devant McDonald’s elle rayonnait. Pourquoi, qu’en pensez-vous ?
  4. Comment les enfants se sont amusés à cette anniversaire ? Trouvez dans le texte trois synonymes du mot « s’amuser ».
  5. Quel cadeau a offert Cybèle ? Avec quel argent l’a-t-elle payé ? Comment ce fait la caractérise ?
  6. Qu’est-ce qui a pris Xavier ? Pourquoi a-t-il écrasé son hamburger sur la figure de Lucas ?
  7. Comment Mlle Laude, la maîtresse des enfants, commenterait la bagarre commencée ? Comment Revin a réussi à la régler ?
  8. Pourquoi après le rodéo Lucas a l’air penaud et Xavier n’est pas trop fier non plus ?
  9. Banane c’est un fruit et encore ?
  10. D’abord Xavier compare deux petites tresses de Cybèle avec des antennes de coccinelle, plus tard avec des cornes de taureau. Tu crois que son égard envers Cybèle change ?
  11. Pourquoi après la raclée à l’anniversaire de Mérovée Xavier n’ose pas tout de même devenir ami de Cybèle ? A-t-il peur d’être moqué par ses copains ?
  12. D’après ton avis, Xavier est un garçon chevaleresque ou non ? Qu’est-ce que c’est être chevaleresque ?
  13. As-tu pitié de Cybèle ou de Xavier ou de leurs copains ? Argumente ta réponse.
  14. Cybèle a-t-elle du caractère ? Comment est-elle ?

2. Aux anniversaires on s’amuse bien, on mange beaucoup de bonnes choses. À vous de trouver les synonymes du verbe « manger » parmi la liste pour rétablir les bonnes connexions : gober, s’empiffrer, se gaver.

  1. On loue la salle tout entière, on passe l’après-midi à … de Coca et de hamburgers sans avoir ses parents sur le dos.
  2. Je ne sais pas comment Cybèle a pu … toutes ces salades.
  3. Chi, elle a dit en .... de mayonnaise.

3. Parlez de votre anniversaire.

Comment l’organisez-vous ? Qui est-ce que vous invitez ? Vos parents, louent-ils une salle pour fêter votre anniversaire ? Comment vous amusez-vous? Qu’est-ce qu’on mange et boit ?

4. Commentez cette phrase :

« Entre mères, elles se comprennent, surtout quand c’est contre nous. » Êtes-vous d’accord ou non ?

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