Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №5/2010

Arts et culture

Île-de-France et Normandie

1. Aux sources de l’impressionnisme

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Claude MONET,
Hôtel des Roches noires

En 1874, une trentaine de peintres plus ou moins novateurs, en tous cas en marge du Salon annuel officiel, organisent à Paris une exposition indépendante, sous l’appellation « Société anonyme des Artistes peintres, sculpteurs et graveurs », dans les ateliers du plus grand photographe de l’époque, Nadar. Cézanne qui avait exposé eut la surprise de voir un de ses tableaux vendu : La Maison du pendu, peinte à Bennecourt près de la Seine. Mais le succès ne fut pas vraiment au rendez-vous. L’histoire retient qu’il y avait là un tableau signé Monet : Impression, soleil levant. C’est ce titre qui donna son nom à un courant qui se développait depuis quelques années, privilégiant la lumière sur la précision des contours. Dans ce tableau, aujourd’hui au Musée Marmottan à Paris (ce musée conserve une importante collection Monet dont de superbes nymphéas, d’autres sont à l’Orangerie, aux Tuileries), aucune représentation précise. Des touches vives qui soulignent des silhouettes de grues, des mâts de bateaux. Le disque rouge du soleil levant sort de la brume violacée, couleur chaude à laquelle répond le rosissement des nuages et le scintillement rouge sur l’eau posé en touches rapides. Trois ombres de bateaux sur la gauche, leurs formes fluctuantes donnant une « impression » de mouvement. Lorsque l’œil s’habitue, on sent la présence de la mer, les jetées du port, les cheminées fumantes des usines, tout un monde de paix (l’eau avec les pêcheurs matinaux sur leur barque) et de « modernité » (l’activité portuaire et industrielle). Nous sommes dans l’estuaire de la Seine, au Havre, au début des années 1870.

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Edgar DEGAS, Les Courses

Monet est un enfant du pays. Il vit là depuis l’âge de cinq ans. Il a déjà peint la célèbre plage de Sainte-Adresse au Havre, où réside sa tante, et aussi son Déjeuner sur l’herbe, concurrent de celui de Manet (Musée d’Orsay, Paris). L’étude préparatoire est au Musée Pouchkine à Moscou. Cette étude est le seul témoignage de l’intégralité du tableau. On sait que Monet a découpé en trois la version définitive : deux panneaux sont au Musée d’Orsay, le troisième est perdu. Monet connaît les lumières de la Normandie, la vallée de la Seine, Rouen et la campagne des confins de l’Île-de-France. Il a vécu dans le petit village de Vétheuil qu’il a représenté. Il a peint dans les années 1880 – audace inouïe pour l’époque – la cathédrale de Rouen vue de face à différentes heures de la journée dans les variations de formes et de couleurs qu’imposent les changements de lumière. Dès 1883, il s’est installé à Giverny. Ça ne l’empêche pas de continuer à peindre la Tamise (une centaine de toiles, surtout entre 1899 et 1901). Il reprend ainsi un thème cher à Whistler, si proche de lui, qui vient de mourir après avoir fait une partie de sa carrière en France. Il continue à peindre la Normandie et l’Île-de-France.

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Eugène BOUDIN, La Jetée de Trouville

La Normandie déroule une côte bordée de hautes falaises crayeuses avec le pittoresque de leurs paysages. Les arches et les aiguilles d’Étretat, les strates dorées des côtes battues par le vent, les plages de galets ou de sable remuées par les marées, les petits estuaires qui abritent des ports animés de la vie de la pêche et du cabotage côtier. La vie paysanne aussi, qui commence avec le ramassage du goémon, se poursuit dans des vallons verdoyants agités de pommiers, semés de maisons à colombages dans les prairies où paissent les vaches. Il y a les villes marchandes avec leurs tours de guet, leurs beffrois ou leurs horloges, Rouen, Evreux, leurs cathédrales hérissées de statues ou de gargouilles monstrueuses, leurs rues étroites où grouille une population colorée et surtout ce vaste ruban harmonieux de la Seine qui serpente ses méandres et scintille sa lumière sur les ruines médiévales, comme l’abbaye de Jumièges ou la forteresse perchée de Château-Gaillard.

Il y a déjà pour les Parisiens le train. On le prend à la gare Saint-Lazare, hall de ferraille et de verre peint par Monet, ses voies encombrées de machines à vapeur fumantes, son pont de fer près des Batignolles peint par Caillebotte… le summum de la modernité ! Le train vous amène à Giverny, à Rouen, au Havre. De là, on peut prendre des calèches vers Étretat, le bateau à vapeur vers Honfleur. D’ailleurs il y a une ligne de vapeurs sur la Seine, de Rouen au Havre.

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Cabourg, Grand Hôtel

Et puis il y a la nouvelle mode. D’abord celle de la campagne. On va autour de Paris pour respirer. On recherche la nature à Milly-la-Forêt, à Barbizon. On court les guinguettes comme La Grenouillère à Bougival où les « grenouilles », terme qui désigne aussi les femmes de petite vertu, fréquentent les bourgeois. On se baigne dans la Seine, on y fait du canotage. Monet et Manet ont immortalisé ce lieu en 1869 (les tableaux sont à New York et à Stockolm). On dit même que le couple impérial – Napoléon III et l’impératrice Eugénie – s’y seraient arrêtés un jour, curieux de voir l’atmosphère joyeuse qui y régnait. On fréquente aussi la « Maison Fournaise » à Chatou, peinte par Renoir. La mode est aux bains de mer. On va au Touquet, mais surtout à Trouville, à l’hôtel des Roches Noires, vaste bâtiment hausmannien. On discute sur la plage en robe et parfois redingote. Mais on utilise aussi les cabines de plage en bois où l’on se met en maillot et d’où l’on part « au bain », se faire battre par les lames vivifiantes de la mer. Cabourg exhibe le luxe de son Grand Hôtel dont Marcel Proust fréquente assidûment la même chambre au 4ème étage, ses salons avec vue mer, son restaurant, qu’il appelle « Le Balbec », son immense plage bordée d’une promenade, où les robes chatoyantes et les ombrelles sont reines. Deauville est célèbre pour ses courses de chevaux auxquelles ne résiste pas Degas. On reconnaît les sources d’inspiration d’un moment de peinture, foisonnant et exceptionnel dans l’histoire des arts.

C’est d’abord le « pittoresque » qui avait attiré en Normandie. C’est beaucoup le Louvre qui avait attiré les peintres à Paris. Ce sont les lumières de la campagne qui avaient attiré « sur le motif » en Île-de-France. Dans la première moitié du XIXe siècle, les moyens de reproduction bon marché – surtout avec les couleurs ! – n’existent pas encore. Connaître les grandes œuvres de la Renaissance et du Classicisme exige encore le voyage en Italie. Mais il y a le Louvre, seul grand musée public européen à l’époque. En 1802, la paix d’Amiens signée entre la France de Bonaparte (il est alors Premier consul et ne se proclamera empereur qu’en 1804) ouvre la France aux peintres anglais. Le Louvre s’est enrichi du butin de guerre considérable ramené d’Italie par les armées françaises victorieuses. L’Anglais Turner, après un rapide passage à Paris, se précipite vers les Alpes et l’Italie. À son retour, il visite le musée. La paix consécutive à la défaite finale de Napoléon en 1815 lui permettra de voyager longuement entre 1819 et 1832. Il emprunte le cours de la Seine en bateau à vapeur, fait le trajet du Havre à Honfleur, se rend en Bretagne : Morlaix, Quimper, Brest, Nantes. Là, il remonte le cours de la Loire jusqu’à Orléans. Il rapporte de ses voyages lithographies et aquarelles. Ainsi est publié à Londres en 1833 un recueil : De l’embouchure de la Seine jusqu’à Rouen, avec vingt aquarelles. Le second paraît un an plus tard : De Rouen aux sources de la Seine. Il en paraîtra également sur la Loire.

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Étretat, la Manne porte

Lorsque Turner publie à Londres, a déjà été entreprise à Paris la parution des Voyages pittoresques et romantiques dans l’ancienne France. Le premier tome est publié en 1820. Il est consacré à la Normandie. Jusqu’en 1878, paraîtront ainsi vingt tomes comportant 27 000 lithographies dont certaines sont signées : Jean-Baptiste Isabey, Carl et Horace Vernet, Eugène Isabey, Bonington (un Anglais qui vit en France depuis 1817). Le second tome, publié en 1825, est consacré à l’ancienne Normandie. On y voit représentés la Tour du Gros Horloge à Evreux, la rue du Gros Horloge à Rouen, lieux qui existent toujours.

La lithographie permet de répondre aux désirs d’une clientèle enrichie. La vision romantique des ruines dans la brume, la dramatisation des paysages marqués de gouffres terrifiants, de ponts branlants, de cimes décharnées, de rochers monstrueux où se dessinent ça et là quelque silhouette de voyageurs intrépides, messieurs en gilets et pantalons, dames en robe le bâton à la main et déjà pour les hommes le sac sur le dos. Le terme « pittoresque » qui signifiait au sens propre « digne d’être peint », évolue vers le grandiose, le sublime. La mode est au « voyage pittoresque » qui correspond alors à la recherche de paysages tourmentés, mais aussi des églises, des monuments, des œuvres qui y sont cachées.

C’est dans ce contexte que Prosper Mérimée, nommé inspecteur des Monuments historiques du temps de Louis-Philippe et de la Monarchie de Juillet parcourt la France de 1836 à 1854.

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Auvers, auberge Ravoux – maison de Van Gogh

En dix-huit voyages, il établit le relevé des monuments et des sites les plus remarquables. Il trouve des chapelles transformées en granges et en étables, des églises et des abbayes transformées en carrières, des murs à fresques badigeonnés de crépis, des monuments tels les arènes d’Arles devenues lieu d’habitation, l’aqueduc romain du pont du Gard tombant en ruines. Il s’aide d’architectes comme Viollet le Duc qui restaure l’abbatiale de Vézelay, Notre-Dame de Paris, le château de Pierrefonds. Il contribue à faire connaître un patrimoine qui fait la fierté culturelle et touristique de la France : fresques de l’abbaye de Saint-Savin dans le Poitou, l’abbaye de Beaufort près de Paimpol en Bretagne, l’église Saint-Trophime d’Arles, de nombreuses églises du Saintonge, les alignements mégalithiques de Carnac (où il s’était rendu avec Flaubert). Il ouvre le Musée de Cluny à Paris consacré au Moyen Âge…

L’œuvre de Mérimée est immense. Auteur de romans, biographies et nouvelles dont Carmen qui donnera naissance au célèbre opéra de Bizet, fin connaisseur de la culture russe, il a traduit la Dame de pique de Pouchkine,  Le Révizor de Gogol, écrit une biographie de Pierre le Grand.

Mérimée a contribué à créer une certaine image de la France qui attire aujourd’hui des visiteurs du monde entier.

Développement des moyens de reproduction (ce sont aussi les débuts de la photo), développement des moyens de transport, soif d’images nouvelles venues d’une vie en mouvement : mouvement des hommes, mouvement de la lumière, de l’arbre sous le vent, de vagues sous la tempête, du chemin de fer enveloppé de vapeurs... Et puis une mobilité toute neuve qui permet elle aussi l’échange des idées, les regroupements temporaires d’artistes sur des lieux emblématiques, leurs visites les uns aux autres… et cette attraction de Paris, ville-lumière, ville en plein développement, ville du Louvre et des « académies » de peinture, ville au cœur des paysages calmes de l’Île-de-France, ville où coule la Seine qui fraie son chemin vers la mer à travers la pittoresque Normandie. Il y a là une partie des ingrédients qui multiplient les recherches artistiques et les œuvres de génie. Et malgré les atteintes du temps, les stigmates du développement économique du XXe siècle – banlieues, quartiers sub-urbains pavillonnaires, centres commerciaux, pylônes électriques, voies ferrées et autoroutes – l’essentiel des lieux, leurs paysages et leurs monuments est toujours là, comme immuable offert à nos regards.

2. Descendons le cours de la Seine

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La Seine à Villequier

Au nord-ouest de Paris, la Seine déroule ses méandres dans un paysage qui est resté encore rural dans la deuxième moitié du XIXe siècle. Déjà pourtant pointent des cheminées fumantes d’usines, les masses sombres des gazomètres, se construisent des ponts de fer, signes de la modernité industrielle.

Ces paysages sont une source d’inspiration pour les peintres. Il y a le restaurant La Sirène à Asnières (peint par Caillebotte, Seurat, Manet, Van Gogh…), l’île de la Grande Jatte représentée par Sisley, Monet et le chef-d’œuvre de Seurat Un dimanche après-midi dans l’île de la Grande Jatte (aujourd’hui à Chicago). Emile Bernard a peint Le Pont de fer d’Asnières, aujourd’hui à New York. Plus loin Argenteuil :  Le Pont d’Argenteuil, Le Pont de chemin de fer, Deux régates à Argenteuil (Monet, au Musée d’Orsay à Paris). Puis les hauteurs de Sannois où Utrillo vécut quelques mois dans la clinique de la Villa Rozée après une crise de folie due à l’alcool. Il y peignit les rues et les moulins de Sannois.

En aval, Louveciennes, Bougival et Port Marly, lieux fréquentés par Sisley et Pissarro. À Chatou, le restaurant Fournaise évoqué dans deux célèbres toiles de Renoir : Le Déjeuner des canotiers (à Washington), Le Restaurant Fournaise (à Chicago). Ce lieu a été restitué en l’état. On peut toujours s’y attabler avant de se promener dans l’île des Impressionnistes.

À côté, sur l’île de Croissy, le lieu de baignade de la Grenouillère a été peint par Monet et Renoir (Musée d’Orsay) à l’automne 1869. Le Musée Pouchkine conserve de ce lieu une Baignade dans la Seine de Renoir. Chatou et Bougival furent par ailleurs des lieux du fauvisme fréquentés par Derain et Vlaminck.

À Saint-Germain-en-Laye, Maurice Denis avait acquis une maison avec jardin, devenue aujourd’hui un musée consacré aux artistes symbolistes et nabis. Le musée réunit autour du peintre, théoricien du mouvement nabi, une collection d’œuvres symbolistes, nabis, post-impressionnistes et du groupe de Pont-Aven : Gauguin, Sérusier, Filiger, Vallotton, Bonnard, Vuillard, Ranson, Redon…

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Claude MONET, Les Nymphéas

Après Conflans-Saint-Honorine, on peut emprunter la vallée de l’Oise vers Pontoise et Auvers-sur-Oise. À Pontoise survit le souvenir de Pissarro. Il a vécut là de 1872 à 1884. Il y a imaginé les statuts de l’« Association des Peintres indépendants », ceux que l’on appellera les impressionnistes. Cézanne y vint et peint avec lui sur le motif. Son Moulin sur la Couleuve à Pontoise est aujourd’hui à Berlin. Il a dit de Pissarro : « Ce fut un père pour moi. C’était là un homme à consulter et quelque chose comme le bon Dieu ». C’est lui qui favorisera la venue de Van Gogh auprès du docteur Gachet à Auvers. Parmi ses œuvres de Pontoise : Côte du Jallais est à New York, Le Marché de la volaille à Los Angelès, La Gelée blanche à Orsay.

Revenons vers la Seine. Après la confluence de l’Oise, il y a à Médan, sur la rive gauche, la résidence de Zola qui y cachait quelques toiles de Cézanne. On sait que L’Œuvre, publié en 1886, où il décrit l’aventure d’un peintre raté, auquel Cézanne s’identifia, entraîna une rupture entre les deux amis. Au-delà, Mantes-la-Jolie et sa cathédrale gothique, les côteaux de Rolleboise, Vétheuil où Monet peignit quelques 250 toiles (Église de Vétheuil sous la neige, 1879, Seine à Vétheuil, 1882 (Musée d’Orsay)), et Bennecourt où vécut aussi Zola et où Cézanne lui rendit visite (Vue de Bonnière sur Seine, 1866). Puis la Roche-Guyon, au confluent d’un petit affluent de la Seine, l’Epte. C’est la frontière entre Île-de-France et Normandie. Sa forteresse féodale domine la Seine avec à ses pieds une résidence princière du XVIIe siècle. Monet, Pissarro, Cézanne, Renoir ont peint cet endroit. On est tout près de Giverny. Plus en aval encore, les Andelys, lieu de naissance au XVIIe siècle de Nicolas Poussin, dominés par Château-Gaillard, forteresse médiévale. Ce lieu découvert par les aquarellistes romantiques a été peint par Turner, Daubigny, Huet, Théodore Rousseau. Signac y a vécut en 1886. Puis on atteint Rouen, ses rues moyennâgeuses, la cathédrale peinte par Monet aux différentes heures de la journée, le site romantique de l’abbaye de Jumièges, les souvenirs de Léopoldine Hugo et les dessins de Victor Hugo à Villequier, Quillebeuf où remonte la marée venue de la mer (Le Mascaret à Quillebeuf de Turner), Caudebec (La Seine à Caudebec de Boudin), l’estuaire, le Havre, son port et la côte.

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Claude MONET, Les Nymphéas

À l’ouest, le petit port de Honfleur attire, dès le XIXe siècle, une foule de « peintres voyageurs » à la recherche de sujets pittoresques. Le bassin du port s’enchâsse au milieu de façades de maisons de pierre à deux étages sur le quai Saint-Étienne et de maisons de bois, protégées d’ardoises, comptant jusqu’à sept étages sur le quai Sainte-Catherine.

L’entrée du bassin est fermée par un pont-levis gardé par la lieutenance, un bâtiment du XVIe siècle, ancienne résidence du lieutenant du roi. Des rues tortueuses grimpent sur la colline. L’église Sainte-Catherine, entièrement en bois avec ses deux nefs jumelles et ses deux bas-côtés, ses piliers et sa voûte de chêne évoque un grand vaisseau renversé. Le clocher, à quelque distance de l’église, dresse ses façades en châtaigner. C’est la patrie de Boudin dont les « marines » sont célèbres et dont une large collection figure au Musée d’Honfleur. L’Anglais Bonington, le Hollandais Jongkind, mais aussi Corot, Daubigny, Monet, Dufy ont fréquenté Honfleur et la côte vers les falaises de Villerville et au-delà Trouville et Deauville. Les peintres « parisiens », passés par Barbizon, venaient prendre pension à la ferme Saint-Simon, dont les murs se couvrirent de motifs laissés par les occupants des chambres. Plus tard, Seurat, Signac, Felix Valloton, peintre nabi, y feront de longs séjours.

À l’est, Étretat est un lieu magique et romantique. La mer changeante roulant ses galets sur une plage qui s’enserre entre les falaises. Celle de droite, la « Manne porte » (grande porte, en vieux français) est percée d’une large ouverture creusée par l’érosion. Celle de gauche, s’avance vers la mer, percée d’une arche et précédée d’une aiguille qui élève sa pointe à soixante-dix mètres au-dessus des flots. Le site est grandiose. Au XIXe siècle, des barques de pêche sont tirées sur la grève. Très vite le village de pêcheurs, à l’écart des routes commodes de communication, a été découvert grâce aux « Voyages pittoresques » (il ne sera relié au chemin de fer qu’en 1890 et attirera dès lors une foule de touristes). Les Anglais – Turner, Bonington – le visitent et le peignent. Boudin montre les falaises et les barques jaunes tirées sur la plage (Musée du Havre). Courbet y peint La Vague, La Falaise d’Étretat après l’orage  (1869, Musée d’Orsay), Monet La Grosse mer à Étretat (Musée d’Orsay).

Plus loin, sur la côte d’Albâtre, à moins de trente kilomètres de Dieppe, le petit village de Veules-les-Roses a accueilli une communauté de peintres russes.

La côte dresse ses falaises de craie avec ses couches empilées noirâtres, blanchâtres, jaunâtres, propices aux jeux de lumière. Ses « valleuses » où se sont installés de petits ports, ses plages de galets formés par les silex tombés de la falaise et ses petites stations balnéaires liées à la proximité de la région parisienne ont l’attrait d’un exotisme français pour les visiteurs. Même si Veules-les-Roses a souffert sur son front de mer des méfaits de la dernière guerre, il reste un des villages les plus pittoresques de France, avec ses villas de brique armées de silex, son « fleuve », long de deux kilomètres, le plus petit de France, qui traverse le vallon.

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Claude MONET, Les Nymphéas

Ce village fut le lieu de rassemblement, durant des années, des artistes russes venus à Paris et qui fréquentaient la Normandie et la Bretagne avant de partir parfois pour le Midi. C’est Bogolioubov qui donne naissance à cette petite communauté. En 1874, il avait emmené avec lui à Veules-les-Roses plusieurs jeunes peintres russes, boursiers de l’Académie Impériale.

Exposé à la mairie, on trouve toujours un original d’Alex Kharlamov : Chaumière dans la cavée du renard à Veules. Au Musée Russe de Saint-Pétersbourg est conservé  L’Entrée d’un parc à Veules, peint en cette année 1874. Mais le plus célèbre est sans conteste Répine. Filles de pêcheurs à Veules (Musée d’Irkoutsk), Cheval pour le ramassage des galets à Veules (Musée de Saratov) témoignent de son passage ici. On sait que Répine, qui séjourne à Paris de 1873 à 1876, n’adhérera jamais à l’impressionnisme qu’il considérait comme « s’éloignant dangereusement de la véracité de la vie quotidienne ». Il poursuivra sa carrière en Russie dans la lignée de la peinture réaliste des « Ambulants ».

Le voyage se termine, les tableaux, aujourd’hui dispersés dans le monde entier, portent des noms de lieux d’ici, « d’impressions d’ici ». Ils peuvent être médités avec cette mise en valeur de la technique impressionniste par un critique du XIXe siècle : « La couleur simple est plus intense que la teinte composée. Conséquences : un violet se compose de rouge et de bleu… ne pas les mélanger sur la palette ni sur la toile, poser côte à côte une touche bleu et une touche rouge : il en résultera une sensation violette. Le mélange s’est opéré de lui-même sur la rétine ».

3. Trois sites incontournables

Barbizon : L’Angélus de Millet

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Barbizon, atelier de Millet, intérieur

À moins de soixante kilomètres au sud de Paris, Barbizon était dans la première moitié du XIXe siècle un petit hameau dépendant de Chailly-en-Bière à l’orée de la forêt de Fontainebleau. À Chailly, il y avait un relais de poste sur la route de Paris. Il faudra attendre 1899 pour que le chemin de fer Paris-Lyon-Marseille, le PLM, s’arrête en gare de Melun. De là, un petit train à voie étroite peut conduire les voyageurs à Barbizon, devenu à l’époque un lieu de villégiature, réputé pour ses peintres. Tout avait commencé dans les années 1830. Le père Ganne avait ouvert dans le hameau une petite épicerie-buvette. Il y avait des chambres, le gîte et le couvert n’étaient pas chers, le vin à volonté. Corot y était passé dans ces années-là. Mais c’est surtout l’épidémie de choléra à Paris, en 1848, qui conduit à l’installation permanente de peintres, attirés par la nature et la forêt. Ils trouvent un paysage tantôt plat avec de hautes futaies, tantôt chaotique avec des éboulis rocheux, les gorges d’Apremont, des kilomètres de sentiers… C’est l’époque où des artistes novateurs se détachent de la peinture académique qui faisait de la nature recomposée et idéalisée un simple cadre pour des personnages qui « racontent » des scènes mythologiques, guerrières ou bibliques. On recherche la vraie nature, représentée pour elle seule, avec ses contrastes, liés aux variations de lumière, aux états d’âme de l’artiste. On peint sur le motif, grâce à des inventions toutes récentes : le chevalet portatif, la peinture en tube. Si l’on place des personnages, ce sont des paysans, des « usagers » de la nature. Jean-François Millet s’installe à Barbizon au milieu du siècle avec son ami Théodore Rousseau. Il y possède son propre atelier (aujourd’hui préservé). En 1857, il peint Les Glaneuses, femmes au travail dans les champs, puis le mondialement célèbre Angélus, qui sait traduire la paix tragique du monde paysan au soir d’une journée de travail. D’autres peintres, comme Diaz ou Rosa Bonheur, Daubigny, Jules Breton viennent à Barbizon. On y discourt tard dans l’auberge enfumée du père Ganne (aujourd’hui restaurée telle qu’elle fut en ce temps-là). « L’école de Barbizon » ne fut pas une véritable école. Mais on assista là, hors de Paris, dans un paysage généreux, à la réunion d’artistes menant leur chemin autour de la représentation de la nature. Elle prépare l’éclosion de l’impressionnisme. À proximité de Barbizon, sur le Loing, affluent de la Seine, se situe le petit village de Moret, son moulin, son pont, ses remparts et ses rues anciennes. Sisley en avait fait son lieu d’élection. Il y avait trouvé le motif de nombre de ses toiles, ici et à Saint-Mammes, au débouché de la rivière sur la Seine. Il a fini ses jours à Moret, après avoir peint de multiples vues de l’Île-de-France.

Auvers-sur-Oise : Le souvenir de Van Gogh

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Camille PISSARRO, Châtaigniers à Louveciennes

À environ trente-cinq kilomètres de Paris, sur un coteau qui domine l’Oise, affluent de la Seine, Auvers aligne ses ruelles tortueuses et dresse son église, aujourd’hui mondialement connue grâce au tableau de Van Gogh (Église à Auvers, Musée d’Orsay). En 1846, le chemin de fer partant de la gare Saint-Lazare met Auvers à une heure de Paris. Une foule de Parisiens… et de peintres viennent ici chercher la vraie nature. Il y a là, sur le coteau calcaire, des champs cultivés, des bois, toute une vie de campagne. L’Oise est propice au canotage, des guinguettes s’installent. Daubigny circule de la Seine à l’Oise sur son bateau-atelier, qu’il appelle « le Rotin », une large barque en bois à fond plat, dont le ponton est surmonté d’une cabane. Il s’ancre souvent au pied des coteaux d’Auvers avant d’acquérir dans le village, une maison et un atelier qui se visitent aujourd’hui. Daubigny est un naturaliste. Il peint la campagne, les champs, les paysans. Ses scènes de vendange en Bourgogne où l’on voit l’énorme cuve à raisin, les bœufs au repos, les vendangeurs au travail (Musée d’Orsay) sont célèbres. Mais le trait peut devenir moins précis, la lumière irisée du paysage le transforme quelque peu. C’est le cas de Soleil couchant sur l’Oise (Musée d’Orsay), de La Seine au Petit-Andelys, coucher de soleil (Musée de Grenoble) et de Château-Gaillard, les Andelys (Musée d’Orsay).

En 1872, le docteur Gachet y achète une maison avec un jardin bordé de falaises où se creusent des remises et un atelier troglodyte (accessibles au public).

Le docteur Gachet est un éminent médecin. Spécialiste des maladies liées à la « mélancolie », comme on dit à l’époque, il soigne acteurs, artistes… C’est un féru de peinture, un collectionneur ouvert aux tendances nouvelles. Lui-même consacre du temps à des œuvres naturalistes qu’il expose parfois au Salon des Indépendants sous le pseudonyme de Paul Van Ryssel. Il fréquente à Paris les « dîners du rouge et du bleu », où il côtoie Seurat, Signac, Pissarro, Redon… Il flaire en Cézanne dès 1872, alors que celui-ci venait d’arriver à Paris, un peintre d’avenir, et l’attire à Auvers. Cézanne était resté deux ans parcourant la campagne. Ce sont ses « années impressionnistes » où il peint une Vue panoramique d’Auvers, où il s’initie au thème récurrent dans son œuvre de La Route tournante et exécute de nombreuses natures mortes. La réputation du docteur Gachet est telle que c’est à lui que s’adresse Théo Van Gogh lorsque son frère, en perdition, doit quitter l’asile de Saint-Rémy. On connaît le riche et tragique épisode du séjour de quatre mois à Auvers où, avant de se suicider, le peintre accomplit une œuvre immense : pas moins de trente dessins et soixante-dix tableaux, dont ceux du Docteur Gachet, de Mademoiselle Gachet au jardin, Mademoiselle Gachet au piano… Auvers, haut lieu de la peinture, est aussi un lieu de pèlerinage pour les amoureux des toiles de Van Gogh. On peut y visiter la chambre de Vincent, petite mansarde éclairée par une lucarne au premier étage de l’auberge Ravoux. Elle est vide, mais poignante. Dans une salle attenante, un diaporama présente des toiles de Van Gogh. On peut entendre des extraits de lettres du peintre à son frère Théo. En passant devant l’église, on peut se rendre au petit cimetière où les deux frères sont enterrés. La promenade dans les champs alentour permet d’évoquer partout Vincent et ses toiles. Le château d’Auvers-sur-Oise abrite un Musée de l’Impressionnisme où la muséographie très contemporaine présente un parcours-spectacle : « Voyage au temps des impressionnistes ».

Giverny : Le paradis de Monet

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Claude MONET, Les Nymphéas

En 1883, Monet s’installe à Giverny, en bordure de Seine, dans une propriété qu’il a aménagée au fil des ans, jusqu’à sa mort en 1926. La maison, vaste demeure campagnarde normande, est restée intacte et promène le visiteur sur son rez-de-chaussée où se situe l’atelier intérieur du maître, la salle à manger et ses couleurs à dominante jaune, la cuisine et ses couleurs à dominante bleue. À l’étage, les différentes chambres sont celles d’Alice Hoschédé, femme de son ami le collectionneur Hoschédé, mort en 1878, qu’il a épousée après la mort de sa propre femme, Camille, qui avait été son modèle. Il y a là les six enfants d’Alice, les deux enfants de Claude Monet. Il s’y déroule une intense vie de famille du moins jusqu’à la mort d’Alice en 1911. Monet conserve à Giverny sa collection d’estampes japonaises (toujours exposée). Il concocte des recettes de cuisine. C’est un fin gourmet. Il s’occupe de son jardin, merveille florale, et de l’espace plus bas vers la vallée, où s’étale un étang, bourré de nymphéas, traversé d’un pont japonais, qu’il peint jusqu’à plus soif. Il s’est fait construire un grand atelier (aujourd’hui espace d’accueil pour les visiteurs), où il peut terminer et entreposer les grands formats de ses « nymphéas ». Dans le cimetière, autour de l’église, repose la famille Monet. On peut voir le restaurant Baudy, ancien hôtel qui accueillait les peintres et leurs tableaux abandonnés en guise de paiement. Un Musée des Impressionnismes offre de belles expositions. Au printemps, le coteau parsemé de coquelicots rouge rappelle de célèbres tableaux de Monet.

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