Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №7/2010

Les Routes de l’Histoire

La poésie de la Résistance

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Le monument du Mont-Valérien,
à la mémoire des résistants

Source : Historia spécial, photo par Alain Bétry

L’épisode tragique de la guerre, de la captivité, de l’Occupation et de la Résistance (1939-1945) provoque une véritable relance poétique, à laquelle participent de nombreux anciens, comme Aragon, Éluard, Desnos. Dès 1940, des noyaux de ferveur poétique se constituent en certains lieux, dont le nom mérite de figurer dans une histoire, même rapide, de la poésie contemporaine : Lyon, Toulouse et Carcassonne, Marseille, mais aussi de petites villes, Dieulefit, dans la Drôme, ou Villeneuve-lès-Avignon. Là sont nés des poètes et ont vu le jour des œuvres importantes. Les revues se multiplient alors qui, se proposant d'incarner une résistance spirituelle, font une place considérable à la poésie. Citons, à Marseille, Les Cahiers du Sud ; à Lyon et Saint-Étienne, Confluences et Positions ; à Alger, Fontaine ; à Toulouse, Pyrénées ; à Villeneuve-lès-Avignon enfin, Poésie. À cette énumération il faut joindre l'œuvre importante accomplie en Suisse par Les Cahiers du Rhône, fondés par Albert Béguin, spécialiste de la poétique moderne. La plupart de ses revues deviennent aussi des maisons d'édition, à la situation financière précaire, aux publications quasi-confidentielles, mais comme par miracle leur rayonnement est considérable.

La protestation et la solitude se conjuguent avec le troisième grand thème de cette poésie, l'inquiétude de la sympathie et de la communion, face au visage défiguré de l'humanité en guerre.

Certes, à un regard superficiel, cette poésie de la Résistance peut paraître un épisode sans suite. Il est né alors beaucoup de poètes, et il en a peu survécu. Et la signification, la poésie a sans doute été au mieux exprimée par l'un des plus authentiques poètes de cette génération : « La guerre me révéla cette “sensibilité spirituelle” que je n'ai cessé de traduire depuis, et d'abord dans mes œuvres de “résistance”... Je les ai écrites pour “dire” la douleur, l'élever à l'absolu... et nommer l'esprit du Mal qui l'inflige. » (P. Emmanuel, Préface à l'anthologie de ses œuvres dans la collection Poètes d'aujourd'hui)

(d'après XXe siècle. Les grands auteurs français (Collection littéraire))

René TAVERNIER

Positions

Il y en a qui prient, il y en a qui fuient,
Il y en a qui maudissent et d'autres réfléchissent,
Courbés sur le silence, pour entendre le vide,
Il y en a qui confient leur panique à l'espoir,
Il y en a qui s'en foutent et s'endorment le soir
Le sourire aux lèvres.

Et d'autres qui haïssent, d'autres qui font du mal
Pour venger leur propre dénuement.
Et s'abusant eux-mêmes se figurent chanter.
Il y a tous ceux qui s'étourdissent...

Il y en a qui souffrent, silence sur leur silence,
Il en est trop qui vivent de cette souffrance.
Pardonnez-nous, mon Dieu, leur absence.
Il y en a qui tuent, il y en a tant qui meurent.

Et moi, devant cette table tranquille,
Écoutant la mort de la ville,
Écoutant le monde mourir en moi
Et mourant cette agonie du monde.
(10 juillet 1943)

Alain BORNE

Contre-feu, Cahiers du Rhône

Me voici seul avec ma voix
j'entends le dernier pas qui balaye la route
et le silence tombe enfin comme l'ombre
d'une feuille

Me voici seul avec ma voix, un nouveau jeu
commence
puisque le sang torride dont je m'étais vêtu
rejeté vers la mer écrase d'autres naufrages,
c'est de mon propre sang que je teindrai les murs
mon sang hanté de l'âme neuve des lecteurs
du ciel.
(1942)

 

Joseph KESSEL, Maurice DRUON

Le Chant des Partisans

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Source : Historia spécial, photo par J.M. Steinlein

Ami, entends-tu
Le vol noir des corbeaux
Sur nos plaines ?

Ami, entends-tu
Les cris sourds du pays
Qu’on enchaîne ?

Ohé Partisans
Ouvriers et Paysans
C’est l’alarme !

Ce soir l’ennemi
Connaîtra le prix du sang
Et des larmes

Montez de la mine
Descendez des collines
Camarades,

Sortez de la paille
Les fusils, la mitraille
Les grenades !
Ohé les tueurs
À la balle ou au couteau
Tuez vite !

Ohé saboteurs
Attention à ton fardeau
Dynamite !

C’est nous qui brisons
Les barreaux des prisons
Pour nos frères !

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Source : Historia spécial, photo par Tallandier

La haine à nos trousses
Et la faim qui nous pousse
La misère…

Il y a des pays
Où les gens au creux du lit
Font des rêves

Ici, nous, vois-tu,
Nous on marche et nous on tue
Nous on crève

Ici chacun sait
Ce qu’il veut, ce qu’il fait
Quand il passe…

Ami, si tu tombes
Un ami sort de l’ombre
À ta place

Demain du sang noir
Séchera au grand soleil
Sur les routes

Sifflez compagnons…
Dans la nuit la liberté
Nous écoute…

Paul ÉLUARD

Liberté

(extrait)

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Source : Historia spécial, photo par Tallandier

Sur mes cahiers d’écolier
Sur mon pupitre et les arbres
Sur le sable sur la neige
J’écris ton nom

Sur toutes les pages lues
Sur toutes les pages blanches
Pierre sang papier ou cendre
J’écris ton nom

Sur les images dorées
Sur les armes des guerriers
Sur la couronne des rois
J’écris ton nom

Et par le pouvoir d’un mot
Je recommence ma vie
Je suis né pour te connaître
Pour te renommer
Liberté.

Gabriel PÉRI

Gabriel Péri était journaliste. Il était arrêté et fusillé par les nazis après le commencement de l’Occupation en 1941.

(extrait)

Un homme est mort qui n’avait pour défense
Que ses bras ouverts à la vie
Un homme est mort qui n’avait d’autre route
Que celle où l’on haît les fusils
Un homme est mort qui continue la lutte
Contre la mort contre l’oubli

Louis ARAGON

La Rose et le Réséda

À Gabriel Péri et d’Estienne d’Orves comme à Guy Môquet et Gilbert Dru

(extrait)

Du haut de la citadelle
La sentinelle tira
Et leur sang rouge ruisselle
Même couleur même éclat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
Il coule il coule et se mêle
À la terre qu’il aima
Pour qu’à la saison nouvelle
Mûrisse un raisin muscat
Celui qui croyait au ciel
Celui qui n’y croyait pas
L’un court et l’autre a des ailes
De Bretagne ou du Jura
Et framboise ou mirabelle
Le grillon rechantera
Dîtes flûte ou violoncelle
Le double amour qui brûla
L’alouette et l’hirondelle
La rose et le réséda

Légende de Gabriel Péri

(extrait)

C’est au cimetière d’Ivry
Qu’au fond de la fosse commune
Dans l’anonyme nuit sans lune
Repose Gabriel Péri

Dans le cimetière d’Ivry
Il chante encore il chante encore
Il y aura d’autres aurores
Et d’autres Gabriel Péri

Dans le cimetière d’Ivry
Sous la terre d’indifférence
Il bat encore pour la France
Le cœur de Gabriel Péri

Ballade de celui qui chanta dans les supplices

Hommage à Jean-Pierre Thimabaud

(extrait)

Je meurs et France demeure
Mon amour et mon refus
Ô mes amis si je meurs
Vous saurez pour quoi ce fut

Ils sont venus pour le prendre
Ils parlent en allemand
L’un traduit : Veux-tu te rendre
Il répète calmement :

Et si c’était à refaire
Je referais ce chemin
Sous vos coups chargés de fers
Que chantent les lendemains

Il chantait lui sous les balles
Des mots sanglant est levé
D’une seconde rafale
Il a fallu l’achever

Une autre chanson française
À ses lèvres est montée
Finissant la Marseillaise
Pour toute l’humanité

Robert DESNOS

Couplets de la rue Saint-Martin

(extrait)

Je n’aime plus la rue Saint-Martin
Depuis qu’André Platard l’a quittée.
Je n’aime plus la rue Saint-Martin,
Je n’aime rien, pas même le vin.

C’est mon ami, c’est mon copain.
Il a disparu un matin,
Ils l’ont emmené, on ne sait plus rien.
On ne l’a plus revu dans la rue Saint-Martin.

Pas la peine d’implorer les saints,
Saints Merri, Jacques, Gervais et Martin,
Pas même Valérien qui se cache sur la colline.
Le temps passe, on ne sait rien.
André Platard a quitté la rue Saint-Martin.

Le Dernier poème

J’ai rêvé tellement fort de toi,
J’ai tellement marché, tellement parlé,
Tellement aimé ton ombre,
Qu’il ne me reste plus rien de toi,
Il me reste d’être l’ombre parmi les ombres
D’être cent fois plus ombre que l’ombre
D’être l’ombre qui viendra et reviendra
dans ta vie ensoleillée.

Emmanuel D’ASTIER DE LA VIGERIE

Complainte des partisans

(extrait)

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Le mémorial Jean Moulin à Chartres
Source : Historia spécial, photo par J.M.Steinlein

Les Allemands étaient chez moi
On m’a dit résigne-toi
Mais je n’ai pas pu
Et j’ai repris mon arme.

J’ai changé cent fois de nom
J’ai perdu femme et enfants
Mais j’ai tant d’amis
Et j’ai la France entière.

Un vieil homme dans un grenier
Pour la nuit nous a cachés
Les Allemands l’ont pris
Il est mort sans surprise.

Le vent souffle sur les tombes
La liberté reviendra
On nous oubliera
Nous rentrerons dans l’ombre.

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