Mon amie la langue française

Evgueni EROKHINE

Pouchkine et d’Anthès : réconciliation à travers des siècles

Dans le cadre de l’Année croisée 2010 France-Russie, nous avons absolument tenu à faire découvrir à nos lecteurs russes une association en France qui promeut un événement historique très important pour nous, les Russes, en y donnant un regard nouveau et objectif.

Une petite ville alsacienne. Sa tranquillité apaisante. Une ville dont le nom ne vous dira peut-être pas grand-chose. Mais ce nom, il faut le connaître car c’est ici que se croisent deux destinées, celles de la France et de la Russie. Les destinées de deux grands hommes de leurs époques et de leurs pays. Les deux hommes qui se distinguent par leur charisme et leurs talents. Le premier y est né, le deuxième y a laissé son nom. Nous allons consacrer notre reportage à ces hommes et à cette ville en particulier, car l’histoire le mérite. Cette ville s’appelle Soultz et c’est ici qu’il y a lieu réconciliation entre Alexandre Pouchkine et Georges-Charles d’Anthès à travers un magnifique spectacle, une talentueuse mise en scène de Thierry Wintzner Pouchkine ou la prophétie de l’homme blanc.

Pourquoi ce spectacle ? Tout a commencé un peu par hasard. Thierry Wintzner, metteur en scène, originaire d’un village alsacien Guebwiller, travaillait à la fin des années 1990 sur une pièce de théâtre La Petite rivière noire racontant l’histoire de deux dernières années de la vie et de la mort du poète russe Pouchkine aux abords de la Néva. Les événements se sont succédés par la suite d’un tempo d’une allure d’un cheval de course. Thierry s’est tellement passionné pour cette histoire émouvante et tragique d’un duel entre les deux hommes qu’il commence sur-le-champ se documenter et rassembler par bribes les informations concernant la vie de Pouchkine et de d’Anthès. Un projet naît dans sa tête, une idée de monter un spectacle sur ce duel, rendre hommage à cet événement et à ses hommes. Le voyage en 1999 à Saint-Pétersbourg l’a convaincu définitivement dans son choix. Si vous vous renseignez sur ce village de Soultz, vous serez probablement surpris de trouver « Le château d’Anthès », transformé aujourd’hui en hôtel gardant tout son charme du XIX^e siècle. C’est ici que Ekaterina Gontcharov, « Catherine », la belle-sœur de Pouchkine a vécu ses derniers jours. Elle était mariée avec Georges-Charles d’Anthès. Ironie du sort…

C’est cet hôtel qui sert de cadre et d’ambiance pour le spectacle de Thierry Wintzner qui joue lui-même le rôle principal, celui de Pouchkine. Une incroyable aventure avec 12 acteurs parlants et 85 figurants avec une dizaine de techniciens qui veillent au son, lumière et systèmes vidéo. Près d’une vingtaine de maquilleuses, coiffeuses et habilleuses, des costumes sur mesure faits dans les ateliers de Saint-Pétersbourg. 1 400 places assises et deux écrans géants. Une plongée naturelle dans l’ambiance de l’époque.

Thierry Wintzner est un personnage remarquable. Il sait tout sur Pouchkine et même sur d’Anthès. Quand nous avons rencontré le descendant de la lignée d’Anthès, Lothaire de Heeckeren d’Anthès, écrivain et homme d’affaire, il nous a avoué que Thierry lui avais appris beaucoup de choses sur son arrière-parent : sur sa vie, sa carrière, son période « russe ». Aujourd’hui, Lothaire de Heeckeren d’Anthès participe d’une façon active à l’organisation et le soutient du spectacle avec son ami, actuel propriétaire du château, Philippe Schmerber.

La réalisation de ce spectacle est devenue possible grâce à l’association l'ACAP & DP (Association Culture Art Patrimoine et Développement du Pays) créée en octobre 2005. Cette association a pour but de promouvoir la culture sous toutes ses formes par le biais du spectacle, de l'exposition, du concert et de toute autre manifestation lui permettant de réaliser son but. Mais c’est surtout pour promouvoir ce spectacle vivant, qui retrace les deux années avant le duel entre le célèbre poète russe et Georges-Charles d’Anthès, l’association l'ACAP&DP a décidé de se faire connaître au travers d’animations dans Soultz et ses environs. Aujourd’hui l’association, présidée par Alain Landspurg et comptant près de 110 membres est devenue une association reconnue.

La première présentation de ce spectacle a eu lieu dans le parc du château en 2007. 4 000 spectateurs ont applaudi la performance des acteurs et la mise en scène de Thierry Wintzner. Voici l’affiche du spectacle :

« Un vieil homme, se promenant dans le parc de son château à Soultz en 1892, se souvient de sa vie tumultueuse. Il a eu tous les honneurs dans sa vie mais, inlassablement, son nom est associé à celui de Pouchkine, un poète russe, un contestataire qu’il a tué en duel pour une question d’honneur. Georges-Charles de Heeckeren, baron d’Anthès fait virevolter son esprit vers sa jeunesse, vers ce drame qui prend pour décor la somptueuse ville de Saint-Pétersbourg. Nous sommes de ce fait propulsés dans le temps, en Russie, durant les deux dernières années du poète. Mais, cette histoire n’est-elle qu’un simple marivaudage qui aurait mal fini à cause de l’extrême jalousie d’un mari bafoué ? Ou bien, sommes-nous en présence d’un sordide complot visant à se débarrasser d’un personnage gênant pour l’autorité de son pays et de la haute aristocratie privilégiée ? C’est ce que ce spectacle tentera de définir en pénétrant dans les salons de la Cour du Tsar Nicolaï I^er et de l’âme russe sublimée par la poésie de Pouchkine. Une prophétie avait pourtant déjà tenté de mettre en garde ce dernier dans sa jeunesse... »

Cet été, nous avons eu l’honneur d’être accueillis à Soultz dans le château par le descendant de la lignée d’Anthès, Lothaire de Heeckeren d’Anthès en présence de Thierry Wintzner, Alain Landspurg et Philippe Schmerber qui nous a offert un délicieux repas. Nous avons longtemps entretenu avec Monsieur d’Anthès pour connaître surtout ce qu’il pense des événements de l’époque, comment voit-il, après tant d’années, ce duel qui opposa son aïeul et le poète Pouchkine. Aujourd’hui, nous vous donnerons quelques détails de cette rencontre historique.

– Monsieur d’Anthès, est-ce que vous entretenez aujourd’hui des relations avec la famille Pouchkine et comment vos deux familles vivent cet événement de l’année 1837 ?

– Il faut dire que nous ne sommes pas en bonnes termes avec la lignée Pouchkine à quelques exceptions près. Les Pouchkine comptent aujourd’hui beaucoup de descendants dispersés dans de nombreux pays. Évidemment, notre famille a tenté plusieurs fois se réconcilier avec la famille Pouchkine mais la plaie est encore profonde. Il faut encore de nombreuses années et de générations afin que cette histoire de duel soit oubliée et traitée autrement. Aujourd’hui, et c’est surtout grâce au spectacle monté par Thierry, nous sommes en contact avec le descendant de Pouchkine de parents maternels Nicolaï Soldatenkov qui vit actuellement en Bourgogne. Il est venu assister au spectacle et sa lignée est pour l’instant la seule des Pouchkine qui serait prête à oublier ce duel et ne pas regarder le passé mais le futur.

– Monsieur d’Anthès, il y a quelques années vous êtes venu en Russie. Pour la première fois un descendant des d’Anthès a mis pied sur le sol qui a connu votre parent. Quelles sont vos impressions ?

– Je ne m’attendais pas à ce culte de Pouchkine. Pouchkine est partout. Je voyais le regard des gens fixé sur moi quand ils ont appris qui j’étais. Il y avait des moments où nous avons été accueillis assez froidement. Et c’est surtout le cas de la génération soviétique, des vieilles personnes. À mon fort regret, pour eux je suis le meurtrier, « le traître ». Ces gens obstinent à regarder la réalité en face et à comprendre que ce n’était pas aucunement un meurtre, mais un duel d’honneur, chose très courante de l’époque. Le duel qui a porté plus de chance pour d’Anthès. Notre famille a déjà « payé » le résultat de ce duel : d’Anthès a été déshonoré en Russie, privé de tous ces titres et grades militaires, expulsé. Je veux porter un message clair et net : ni moi, ni ma famille ne sont pas responsables des événements de l’année 1837. C’est du passé, la page a été tournée.

– Nous espérons, Monsieur d’Anthès, que grâce au spectacle et à notre article, le public russe pourra regarder ces événements sous un autre angle et de se faire une image objective de ce qui s’est passé entre ces deux hommes. Et nous invitons nos lecteurs en été 2010 à la nouvelle saison du spectacle féerique intitulé  Pouchkine ou la prophétie de l’homme blanc à Soultz.

Post-scriptum : Thierry Wintzner a deux projets importants à réaliser. Il veut jouer le spectacle à Saint-Pétersbourg devant le public russe et finir son ouvrage sur le rapport entre Pouchkine et d’Anthès. C’est peut-être grâce à cette année 2010 proclamée « l’année de la France en Russie et de la Russie en France » que l’un de ses projets pourra se réaliser.

Pour en savoir plus sur le spectacle et les dates : http://www.pouchkine-soultz.com

Pour en savoir plus sur la ville de Soultz : http://www.soultz68.fr

Nous remercions tout particulièrement M. Alain Landspurg, président de l’association l'ACAP&DP, pour avoir organisé notre interview ;

M. Philippe Schmerber, propriétaire du château d’Anthès, pour son accueil chaleureux ;

M.Thierry Wintzner, metteur en scène, acteur et auteur du spectacle, pour son aide précieuse.

Pouchkine succomba…

un poème de Lothaire D’ANTHÈS

Que de mots stupides,
Combien de livres inutiles
Alors que le seul plaidoyer
Qui doit être dit est celui de la vérité.
Que se taisent ceux qui n’ont pas su
Comme ceux qui n’ont pas pu
Raconter la vraie histoire,
Exempte de bien des racontars.
Savoir qui sont ses deux hommes
Quand l’heure du drame sonne,
Connaître de la chose la motivation
À défaut d’en chercher la raison.
L’un passe son temps à provoquer,
Le second préférait courtiser.
Le premier écrivait des poèmes,
Le second souhaitait qu’on l’aime.
Une femme les avait rapprochés,
La mort allait les séparer
Car le poète, grand amateur de duels,
Sans le savoir tissait son linceul.
Debout dans la neige et le froid,
D’Anthès tira le premier.
Pouchkine à terre tomba,
Avec suffisamment de force pour viser.
Sur un d’Anthès qui attendait
Sans avoir bougé un pied ;
Pouchkine blessa son adversaire,
Ainsi s’achève cette triste affaire.
Pouchkine de sa blessure est mort !
De provoquer le duel n’a-t-il pas eu tort ?
D’Anthès ne fut que blessé !
Cela en fait-il un meurtrier ?
D’Anthès a fait honneur à son rang,
Dans ce duel il a versé son sang,
Et a permis pour son dernier poème,
Au poète d’exprimer sa haine.
À vous historiens sans lendemain,
À vous critiques sans éthique,
Apprenez qu’il n’est de vérité
Que celle qui a vraiment existé.
(juin 2004)

Photos : E. EROKHINE