Univers du français
Anastassia GORIATCHEVA
Je voudrais vivre et mourir à Paris
Je voudrais vivre à Paris...
Me lever le matin à « l’heure parisienne », faire vite ma toilette, m’habiller à la française et sortir dans la rue. Marcher sur le pavé dans la brume en manteau foncé, en tressaillant frileusement de l’air encore frais. Passer vite dans un bistrot, qui ouvre tôt, où les serveurs commencent seulement à sortir les tables pour prendre une tasse de café avec un pain au chocolat. Echanger brièvement quelques phrases avec le serveur que je connais, pour me tenir au courant des événements. Et foncer au boulot.
Arriver au travail, où tout le monde ne parle que français ; saluer tous mes collègues en n’oubliant jamais quel est mon niveau d’intimité avec chacun qui va du discret signe de tête au bisou sur la joue, plus chaleureux. M’installer à mon poste de travail et me mettre à l’exercice de mes fonctions. Je sais que je suis à ma place et que je travaille en toute indépendance dans la langue que j’aurais choisie. Le temps d’une pause à midi, aller au café voisin avec les collègues, où j’ai déjà goûté à tous les plats du menu et j’ai même déjà choisi mon plat préféré. Parler pendant le repas de ces petites choses que nous sommes seuls à connaître et qui nous font rire, en buvant de l’eau filtrée des fontaines mises gratuitement à notre disposition.
Dire « au revoir » aux collègues et revenir chez moi fatiguée, mais satisfaite de ma journée. Prendre un bain avec le savon moussant de « L’Occitane » et regarder des films français avec Fernandel ou Brigitte Bardot, selon mon humeur. Lire avant me coucher et m’endormir, après avoir remonté le réveille-matin. Se rendre partout grâce au métro parisien sans se tromper de station.
Être ensemble avec les Parisiens qui se dépêchent aussi pour se rendre au travail ou rentrer chez eux. Céder ma place aux petites vieilles parisiennes et entendre en réponse : « Merci, Mademoiselle ».
Faire la queue avec des dizaines ou même des centaines de Français en périodes de soldes pour acheter des cadeaux. Entamer une conversation avec des inconnus dans une file d’attente de leurs prochaines fêtes de Noël.
Entrer dans les boutiques et demander conseil aux vendeurs sur ce qui me va ou ne me va pas, et ce qu’il faut acheter. Flâner dans les librairies à la recherche des livres nouveaux intéressants et en humant l’odeur des livres. Acheter dans les supermarchés parisiens seulement en cas de nécessité absolue, mais préférer les marchés parisiens traditionnels qui permettent de discuter avec chaque marchand non seulement la qualité de ses produits, mais aussi les détails de sa vie et de la vie de sa cité.
Les jours fériés, se balader dans les petits parcs et jardins parisiens, dans les ruelles et boulevards, admirer les volutes noires des fers forgés des balcons parisiens.
Sentir toute l’ambiance de Paris, porter en soi les résonances de toutes les mélodies qu’on entend au métro, aux coins des rues et aux cafés, humer les effluves qui émanent des petits bistrots et des marchands de la rue, happer au passage tous les sourires et tous les regards des passants anonymes et garder en mémoires ceux de mes nouvelles connaissances.
Se sentir une partie de Paris...
Dans cette ville, je voudrais vivre éternellement. Mais comme ce n’est pas possible, je peux toujours y mourir afin d’être enterrée au cimetière du Père Lachaise, pour que les rares visiteurs cherchant le tombeau de Molière passent devant ma tombe et y lancent un regard furtif.