Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №11/2010

Les Routes de l’Histoire

Alla CHEÏNINA

10 août 1792. La chute des Tuileries

Stéphan Zweig

Marie-Antoinette

(extrait)

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La nuit du 9 au 10 août annonce une chaude journée. Pas un nuage au ciel, où brillent mille étoiles ; les rues sont tout à fait calmes. Mais ce calme ne trompe personne. Et si les rues sont si étrangement désertes, cela ne fait que confirmer que quelque chose de singulier, d’extraordinaire se prépare. La Révolution ne dort pas. Les chefs sont réunis dans les sections, dans les clubs, chez eux : des messagers silencieux courent d’un arrondissement à l’autre, porteurs d’ordres ; tout en demeurant invisibles, les chefs d’état-major de l’insurrection, Danton, Robespierre et les Girondins1 organisent l’armée illégale, le peuple de Paris, en vue de l’attaque. 

Mais au palais non plus personne ne dort. Depuis bien longtemps on s’attend à un soulèvement. On sait bien que les Marseillais2 ne sont pas venus pour rien à Paris, et d’après les dernières nouvelles on peut craindre l’assaut pour le lendemain matin. Les fenêtres sont ouvertes par cette étouffante nuit d’été, la Reine et Mme Elisabeth3 prêtent l’oreille aux bruits du dehors. On n’entend rien encore. Un calme complet règne dans le parc des Tuileries, on ne perçoit que les pas des gardes dans les cours.

Enfin, à une heure moins le quart du matin – tout le monde se précipite aux fenêtres – une cloche dans un faubourg sonne le tocsin4, puis une deuxième, une troisième, une quatrième. Et au loin, tout au loin, on entend un roulement de tambour. Plus de doute à présent ; l’insurrection se rassemble. La Reine, agitée, court sans cesse à la fenêtre, afin de se rendre compte si la menace est précise. A quatre heures le soleil se lève sanglant dans le ciel sans nuages.

Au château, toutes les précautions sont prises. Le régiment le plus sûr de la Couronne, celui des Suisses, fort de neuf cents hommes, vient d’arriver ; ce sont des hommes durs, résolus, soumis à une discipline de fer et d’une fidélité à toute épreuve. Déjà depuis six heures du soir, seize bataillons d’élite de la garde nationale5 et de la cavalerie gardent les Tuileries. »

« Sire, Votre Majesté n’a pas cinq minutes à perdre »

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Les sans-culottes

Et vers six heures du matin, Louis XVI « tout dépoudré, la perruque aplatie d’un côté », descend dans la cour du Carrousel pour y passer en revue les restes de ses troupes.

Entre-temps, des rangs de sans-culottes6 s’approchent. On entend le sourd murmure de l’émeute. Déjà on entend sonner des cloches de toutes les églises de Paris.

Il ne reste qu’une seule solution : cacher la famille royale à l’Assemblée qui se trouve a deux pas du palais des Tuileries. Quelques conseillers municipaux viennent le dire à Louis XVI : « Sire, le temps presse, ce n’est plus une prière, ce n’est plus un conseil… Nous vous demandons la permission de vous entraîner. » Le premier, Louis XVI sort de la chambre. La Reine et le Dauphin le suivent, puis Madame Elisabeth, sœur du Roi, qui donne le bras à sa nièce, Mme Royale, enfin la princesse de Lamballe, l’amie dévouée de la Reine, les ministres et les fidèles. Dans les antichambres, le groupe de Suisses, d’officiers et de gentilshommes s’inclinent une dernière fois devant cette royauté pour laquelle ils vont mourir.

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Le Temple de Paris

Deux heures plus tard, la foule pénètre dans le palais des Tuileries. Le bruit de la fusillade arrive jusqu'à l'Assemblée.

Louis XVI, désireux d'épargner le sang de ses sujets, signe un billet donnant aux Suisses l'ordre de cesser le feu et d’abandonner la défense du palais. Ceux-ci seront tous tués sur place, déshabillés afin de récupérer leurs vêtements, et pour beaucoup décapités. Aussitôt la foule envahit les Tuileries sans défense. Des têtes de royalistes tournoient au bout de piques. Le palais est vaincu, et la monarchie avec lui. On compte un millier de morts. Devant le succès des insurgés et sous la pression des piques, le président de l’Assemblée présente une proposition réclamant le transfert de la famille royale au palais du Luxembourg « sous la protection des citoyens et de la loi ». Les députés sont d’accord.

La famille royale n’ira pas au palais du Luxembourg

Depuis lors, le Roi, pâle et la mine défaite, reste impassible, comme indifférent aux tragiques événements. Marie-Antoinette, elle, est très anxieuse : elle a surtout peur pour ses enfants. Vers treize heures, alors que l’on compte les morts aux Tuileries et l’on entasse les cadavres sur des chariots qui les transporteront à la fosse commune au cimetière de la Madeleine7, une délégation de Parisiens se présente à l’Assemblée. Avec détermination et fermeté, elle réclame la déchéance de Louis XVI. Alors les députés Robespierre, Marat, Danton demandent que le Roi soit définitivement suspendu de ses fonctions.

L’assemblée nationale laisse avec le soulagement à la Commune insurrectionnelle le soin de s’occuper du Roi. Celle-ci promet de conduire « le tyran et sa famille » au Temple. « Le 13 août, à six heures du soir, la famille royale est amenée au Temple, à six heures du soir, avant la tombée du crépuscule, car on veut que le peuple vainqueur puisse contempler son ancien maître et surtout l’orgueilleuse reine sur le chemin de leur prison. Pendant deux heures la voiture traverse avec une lenteur intentionnelle la moitié de la ville ; on fait exprès le détour par la place Vendôme pour que Louis XVI puisse voir la statue de son aïeul Louis XIV brisée et arrachée de son socle sur l’ordre de l’Assemblée nationale, et sache bien ainsi que ce n’est pas seulement son règne qui est terminé, mais celui de toute sa race.

Dans la nuit du 13 août, la guillotine8 est amenée de la cour de la Conciergerie sur la place du Carrousel où elle va se dresser, menaçante. La France doit savoir que dorénavant ce n’est plus Louis XVI qui commande, mais la Terreur. »9

Le jardin et le palais des Tuileries, qu’est-ce qu’ils deviennent ?

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Le jardin des Tuileries

Après le départ du Roi pour le Temple, on a fait pousser dans les jardins de la pomme de terre pour lutter contre la famine. Il y avait sur une terrasse donnant sur la place de la Révolution et accueillant le Jeu de Paume, un restaurant-buvette surnommé le Cabaret de la Guillotine, avec, bien sûr, vue privilégiée sur les exécutions. Mais aujourd’hui, devant nous s’ouvre le jardin des Tuileries avec la magnifique perspective que dessinent l’obélisque de la Concorde, l’Arc de Triomphe de l’Etoile et l’Arche de la Défense.

Quant au palais des Tuileries, La Convention s’y installe le 10 mai 1793, marquant on ne peut plus symboliquement la prise du pouvoir du peuple. Les députés y siègent jusqu’au coup d’Etat de Bonaparte en 1799.

Enfin, les Tuileries ont brûlé en 1871, lors de la Commune de Paris. Les pierres ont été vendues. Certaines ont été acheminées jusqu’en Corse pour édifier le château d’un aristocrate.



1 Ce « parti » est né à l’Assemblée législative de 1791 par la réunion de députés du département de la Gironde. A la Convention (1792-1793), ils prennent l’initiative d’une guerre contre les députés radicaux de la capitale qui les précipitent, pour finir, sous la guillotine.

2 Des bataillons fédérés de Marseille sont venus à Paris en juillet 1792. Ce sont eux qui ont diffusé « le chant de guerre » composé en avril 1792 par Rouget de Lisle et devenu en 1795, puis en 1879 l’hymne national de France.

3 Sœur de Louis XVI.

4 Sonnerie de cloche répétée et prolongée, pour donner l’alarme

5 Milice bourgeoise créée à Paris après le 13 juillet 1789 pour faire face aux troubles qui se multiplient dans la capitale. La Fayette est élu commandant en chef de cette garde le 15 juillet. Le modèle parisien s’étend rapidement aux départements. Donc leur fidélité au Roi était douteuse.

6 Appelés ainsi parce qu’ils portent le pantalon et non la culotte des aristocrates. (1792) Nom que se donnaient les républicains les plus ardents de la Révolution. Ce sont les Parisiens (de petits artisans et boutiquiers aux revenus modestes, très sensibles aux problèmes de hausse des pris et de chômage), qui coiffés du bonnet rouge, participent à tous les mouvement insurrectionnels dans la capitale. Ils s’opposent aux riches (nobles ou bourgeois), agissent dans les clubs parisiens ainsi que dans les débats de l’Assemblée. Ils sont éliminés en 1795.

7 Aujourd’hui square Louis XVI, non loin de la station du métro « Madeleine ».

8 Mise au point par le docteur Guillotin, cette machine à décapiter, adoptée en 1792 par la Législative, vise à uniformiser l’application de la peine capitale. Elle restera légalement en service jusqu’en 1981 quand sera abolie la peine de mort. Sous la Révolution, on dénombre officiellement 16 594 exécutions, auxquelles il faudrait ajouter les victimes des répressions dans les villes de province, celle des massacres de septembre ou encore les noyés de Nantes et les victimes de Vendée.

9 Stefan Zweig, Marie-Antoinette.

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