Les Routes de l’Histoire
Alla CHEÏNINA
Jours sombres à la prison du Temple (10 août 1792-21 janvier 1793)
Au soir du 13 août 1792, deux lourds carrosses transportent le Roi et sa suite à travers un Paris hostile et le déposent devant la cour du Temple, cet ancien palais du comte d’Artois1, frère du Roi, l’organisateur des plaisirs de Versailles. Au milieu du jardin, s’élève une énorme tour carrée, flanquée de quatre tourelles, dont la silhouette moyenâgeuse faisait frémir Marie-Antoinette quand elle venait chez son beau-frère. Construites au Moyen Âge par les Templiers, venus s’installer dans l’Île-de-France, vers le milieu du XIIe siècle, pour servir de forteresse, ces tourelles de pierres sombres et grises éveillent un sentiment lugubre. Avec leurs lourdes portes de fer, leurs fenêtres basses, leurs cours obscures elles évoquent les tribunaux secrets, l’Inquisition2, les chambres de tortures. Il fait déjà nuit et toutes les fenêtres sont illuminées, comme pour la fête. La Commune3 a tenu à offrir au Roi un souper somptueux. Mais au lieu des laquais, comme au temps du comte d’Artois, ce sont des hommes aux « costumes sales et dégoûtants » qui entourent la table. Le Roi et la Reine se prêtent à la « cérémonie ». Ils ne savent pas encore que ce n’est pas cet élégant palais du comte d’Artois qui est destiné au séjour de Louis XVI et de Marie-Antoinette, mais une des deux vieilles tourelles qui se dressent à côté. Ils ne le sauront que le souper terminé. Leur sort est encore pire qu’ils ne l’imaginaient. La famille royale n’est plus qu’une famille de détenus4. La tourelle qu’elle occupe était habitée, jusqu’à l’arrivée du Roi et de la Reine, par l’archiviste du Temple, Barthélemy, homme de bon goût, qui s’était entouré de beaux meubles et qui, contraint de partir, a abandonné ces lieux. La chambre de la Reine est vaste. C’est là que la famille se réunira. La chambre du Roi est confortable et il y a une bibliothèque avec plus de cinq cents volumes5. Les lieux sont donc à peu près dignes d’un Roi qu’on veut mettre à l’abri d’un peuple en révolution. Mais pour le protéger on en fait un prisonnier.
Maintenant ils restent seuls
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Élisabeth de France, sœur du roi Louis XVI. Portrait par Élisabeth VIGÉE-LEBRUN
« Durant les semaines qui suivent, des mesures sont prises pour augmenter la sûreté de cette vaste prison. On démolit une série de petites maisons encerclant les tours, on abat tous les arbres de la cour pour faciliter partout la surveillance, on construit des guichets aux portes intérieures donnant sur les couloirs de chaque étage afin d’obliger tous ceux qui entrent et sortent à se soumettre à la surveillance de sept gardiens. Le conseil municipal désigne tous les jours quatre commissaires chargés de surveiller jour et nuit toutes les pièces et de ramasser chaque soir les clefs de toutes les portes. Personne n’a le droit de pénétrer dans le Temple sans une permission spéciale de la municipalité : aucun ami ne peut plus approcher de la famille royale, la possibilité de passer des lettres et de se concerter avec le dehors est une chose sur laquelle il ne faut plus compter du tout.
Une autre mesure de précaution frappe plus durement la famille royale. Dans la nuit de 19 août deux fonctionnaires de la Commune arrivent avec l’ordre d’emmener toutes les personnes ne faisant pas partie de la famille royale. La Reine souffre particulièrement de devoir se séparer de Mme de Lamballe, qui déjà en sûreté, était revenue de Londres pour lui prouver son attachement à l’heure du danger. Toutes deux pressentent qu’elle ne se reverront plus ; c’est au cours de cet adieu, que Marie-Antoinette a donné à son amie, comme dernier gage d’amitié, cette mèche de cheveux dans une bague portant l’inscription tragique : « Blanchis par le malheur », et trouvée plus tard auprès du corps déchiqueté de la princesse. Mais il faut se plier aux ordres depuis que les souverains n’ont qu’à obéir. Mme de Lamballe est entraînée. Que va-t-on faire de cette malheureuse que les gens de la rue détestent parce qu’elle lui est toujours restée fidèle ? Mme de Tourzel6 et sa fille sont également emmenées et transférées à la Force8, de même que la suite du Roi (on ne lui laisse qu’un valet de chambre pour son service personnel1). La famille royale (Louis XVI, Marie-Antoinette, leurs deux enfants et Madame Elisabeth9) est maintenant seule avec elle-même.
Quand la captivité n’est pas encore un châtiment
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La princesse de Lamballe
La crainte d’un événement est presque toujours plus insupportable que l’événement lui-même. Les murs épais qui les entourent, les cours hermétiquement closes, les sentinelles avec leurs fusils toujours chargés, empêchent, certes, toute tentative d’évasion, mais en même temps les protègent contre toute agression. La famille royale n’a plus besoin, comme aux Tuileries, de tendre sans cesse l’oreille pour savoir si le tocsin10 et le tambour d’alarme n’annoncent pas une attaque ; dans leur tour solitaire c’est toujours le même isolement calme et sûr, le même éloignement des agitations du monde. La Commune fait d’abord tout son possible pour assurer le bien-être physique des prisonniers royaux : impitoyable dans la lutte, la Révolution au fond n’est pas inhumaine. Les premiers jours qui suivent le transfert au Temple, on fait tout pour que la vie des détenus ne soit pas trop pénible. On tapisse et on meuble la grande tour, on aménage un étage entier comprenant quatre pièces pour le Roi et quatre pièces pour la Reine, Madame Elisabeth et les enfants. Les prisonniers peuvent, quand ils le désirent, quitter la lugubre tour et se promener au jardin. Durant cette première et très courte période, la captivité de la famille royale n’a absolument pas le caractère d’un châtiment11, et le Roi et la Reine pourraient mener une vie calme et presque paisible. »12
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Plan du rez-de-chaussée de la grosse tour du Temple, en 1793
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Duchesse de Tourzel, gouvernante des enfants de Louis XVI
et de Marie-Antoinette
Les jours s’écoulent, monotones. Malgré l’enfermement, Louis ne renonce pas à ses habitudes. Il se lève et s’habille à six heures, aidé par son valet de chambre. Louis XVI prie et lit jusqu’à neuf heures. Après le déjeuner pris en famille, il descend dans la chambre de la Reine et donne des leçons d’histoire et de géographie à son fils tandis que les dames font du tricot. Lorsqu’il fait beau, on va dans les jardins, où le Dauphin peut jouer au ballon, surveillé par les gardes municipaux. Les gardiens sont toujours là, ne les perdant pas une seconde de vue. Marie-Antoinette, trop fière pour se promener surveillée par des gardes, se livre volontiers à des travaux d’aiguille dans sa chambre. À midi, on prend le repas en commun : poulet, viande, poissons, vins sont au menu. Ensuite on joue une partie d’échecs. Après un souper léger, le Roi remonte dans sa chambre et lit jusqu’à minuit. Le soir, Marie-Antoinette couche elle-même ses enfants. Quelquefois elle essaie de se mettre au clavecin comme jadis ou de chanter un peu, mais, éloignée du monde, de ses amies, il lui manque une légèreté du cœur, à jamais perdue. Son esprit, même entre ces murs, est toujours tourné vers le monde ; son âme, habituée au triomphe, se refuse à renoncer, l’espoir ne l’a pas encore quittée.
On dirait que la vie s’organise peu à peu, mais non
Mais les gardes sont là. Dans la salle à manger, la Commune a accroché, imprimé sur grand format, le texte de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, avec cette date, pénible pour le Roi : « An premier de la République ».13 Sur son poêle il lit : « Liberté, égalité, fraternité ». À l’heure du repas surgit un commissaire ou le commandant de la tour. Leur pain est coupé par une main étrangère et examiné au cas où il contiendrait un message secret, aucun journal n’entre au Temple, toutes les personnes qui pénètrent dans la tour ou la quittent sont soigneusement fouillées par les gardiens, toujours à la recherche de papiers cachés, et les portes de leurs appartements sont fermées de l’extérieur. Le Roi et la Reine ne font pas un mouvement sans que se profile aussitôt derrière eux, le fusil chargé sur l’épaule, la silhouette d’un garde ; ils n’ont pas de conversation sans témoins. Ils ne connaissent le bonheur et la grâce d’être seuls que lorsqu’ils se retirent dans leurs chambres à coucher.
Tout bascule brusquement
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Vue de la Grosse Tour vers 1795. École française, XVIIIe siècle
Cependant le temps ne s’arrête pas. De mauvaises nouvelles arrivent des frontières, les Prussiens et les Autrichiens se sont enfin mis en marche et au premier choc ils ont bousculé les troupes révolutionnaires. En Vendée les paysans se sont révoltés, la guerre civile commence, le gouvernement anglais a rappelé son ambassadeur ; La Fayette quitte l’armée, dégoûté de l’extrémisme d’une Révolution qu’il a lui-même provoquée ; les vivres deviennent rares, le peuple s’agite. Comme après toutes les défaites, le mot de trahison surgit de partout, mille voix le propagent, et il jette le trouble dans la capitale. En cette heure tragique, Danton approuve la décision secrète de faire massacrer pendant les journées de septembre 1792 tous les suspects qui sont dans les prisons. Parmi ce millier de victimes se trouve l’amie de la Reine, la princesse de Lamballe.
Au Temple, la famille royale ignore ces événements effroyables. Elle n’entend que le tocsin qui se met soudain à sonner. Et Marie-Antoinette connaît que c’est l’approche d’un malheur. Les captifs craintifs14 chuchotent. Le duc de Brunswik15 serait-il déjà aux portes de Paris avec ses troupes ? Une contre-révolution aurait-elle éclaté ? En bas, à la porte fermée du Temple, les hommes en garde discutent, en proie à une extrême agitation : eux en savent plus long.
Marie-Antoinette veut se convaincre que cette fois ce son d’alarme annonce une bonne nouvelle pour elle et pour sa famille. Un des gardiens hurle aux oreilles du Roi et de la Reine : « Les émigrés16 ont pris Verdun, mais si nous périssons, vous périrez avec nous. »
Louis XVI et Marie-Antoinette ne savent pas encore que les massacres ont commencé dans la capitale et que des faubourgs s’avancent vers le Marais. Une foule immense, portant sur une pique la tête livide, cheveux en vent, de la princesse de Lamballe, marche sur le Temple.
1 Futur Charles X.
2 L’inquisition – un tribunal, créé par l'Église catholique romaine, établi pour représenter l'autorité judiciaire du pape. Elle a été instituée par le pape Grégoire IX pour la répression des crimes d’hérésie : catharisme, protestantisme, judaïsme enfin tout ce qui n'était pas catholique, des faits de sorcellerie et de magie.
3 Le terme désigne le gouvernement de la municipalité parisienne à partir de juillet 1789. Le 10 août 1792, la Commune légale est renversée par une Commune insurrectionnelle, qui contraint l’Assemblée à lui livrer le roi et l’emprisonne au Temple. Le 9 Thermidor provoque son démantèlement.
4 Prisonniers.
5 On peut voir la réplique de cette chambre au musée de l’Histoire de Paris, dans le Marais.
6 La gouvernante des enfants de Louis XVI et de Marie-Antoinette.
7 Une des prisons de Paris.
8 Il s’appelle Cléry et ce sera l’unique ami de Louis XVI au Temple.
9 La sœur de Louis XVI.
10 Sonnerie de cloche répétée et prolongée, pour donner l’alarme.
11 Punition, supplice, pénitence.
12 Stefan Zweig, Marie-Antoinette.
13 Proclamée le 22 septembre 1792, la 1ère République est le régime de la France jusqu’à la proclamation de l’Empire en 1804.
14 Qui ont peur de tout.
15 Le chef des armées coalisées d’Autriche et de Prusse.
16 Émigration : mouvement de départ vers l’étranger qui, à partir du 14 juillet 1789, entraîne les nobles. Les premiers à partir sont le comte d’Artois, frère du roi et les Condés, ses cousins. Le chiffre global des émigrés serait de l’ordre du million.