Arts et culture
Géraldine DUNBAR
Seule sur le Transsibérien
(Suite. Voir N°11/2010)
Le courage incarné
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Géraldine Dunbar
L’infini existe donc... La taïga, qui signifie « impénétrable » dans un dialecte local, est la reine de ce royaume noir et secret. Je suis subjuguée devant tant de grandeur, au point que mes yeux ne clignent plus.
La Russie est le plus vaste pays forestier du monde ; elle compte 850 millions d’hectares. Plus d’un tiers de ses forêts sont vierges, mais l’activité humaine s’y développe à pas géant.
– Tu as déjà vu un ours, Oksana ? (Clic-clac, cahot du train.)
– Da, kaniechna ! Oui, bien sûr, dit-elle, comme s’il s’agissait d’un chat.
Vers minuit, après avoir respiré nos draps de coton bleus ornés d’orchidées, Oksana murmure :
– Mon rêve, c’est de devenir coiffeuse.
Je l’encourage, et lui suggère d’ouvrir une pièce dans sa maison et d’inviter ses amies. Elle rit, songeuse. Soudain, une lueur passe dans ses yeux :
– Géraldinka, as-tu déjà essayé du lait de vache ?
Ce souvenir, je l’avais longtemps oublié, abonné au lait industriel depuis trente ans. Oksana ouvre alors un sac, et sort une bouteille en plastique bleue, emplie du nectar blanc, tiède et dense.
– C’est le lait d’Aprielka (« Avril »), ma vache ! Tu vas essayer du « vrai lait », nastoyachtchee moloko. De Sibérie ! Boris, le cochon, ce sera pour plus tard !
Le lendemain matin, le train s’arrête comme par enchantement au milieu de la taïga. Vingt-trente minutes peut-être, sans explication. Les portières s’ouvrent pour laisser pénétrer un puissant parfum de sève et de terre grasse. C’est alors que nous assistons avec d’autres passagers à une scène extraordinaire : Nina Konstantinovna enfile ses pantoufles et se précipite dans la taïga.
– Pour le bonheur ! lance-t-elle en me tendant, essoufflée, un grand bouquet de fleurs jamais vues. Elles sont rondes et d’un orange éclatant comme de petites mandarines. On a envie de les croquer. Ce sont des jarki (« chauds » en russe). Elles n’existent qu’en Sibérie.
– Vous n’auriez pas dû... Le train aurait pu repartir.
– Je suis libre dans un pays libre, je fais ce que je veux. Ha ! Ha ! C’est bien, tu ne trouves pas ?
– Quel beau geste, c’est fou...
– Tout est fou, dit-elle en allumant une cigarette. Moi aussi je suis une aventiouristka !
Le courage incarné.
Tatiana JELEZNIAKOVA
Fiche pédagogique
VOCABULAIRE
incarné – воплощенный
impénétrable – непроходимый
subjuguer – покорять, подчинять
cligner – мигать, моргать
vierge – девственный
cahot (m) – толчок, тряска
respirer – вдохнуть
drap (m) – простыня
coton (m) – хлопок
suggérer – советовать, предлагать
songeur – мечтательный, задумчивый
lueur (f) – отблеск
tiède – теплый
dense – густой, плотный
comme par enchantement (m) – как по волшебству
sève (f) – (растительный) сок
gras – жирный
enfiler – натягивать, надевать
pantoufle (m) – тапочка, домашняя туфля
se précipiter – устремляться
lancer – бросить
tendre – протягивать
essoufflé – запыхавшийся
éclatant – яркий
avoir envie – иметь желание
croquer – грызть
Questions
1. Comparez deux premiers alinéas.
- Quelle est la différence entre deux appréciations, deux jugements de l’auteur sur la taïga ?
- Est-ce que le genre du livre permet d’unir ces points de vue différents ? Pourquoi ?
- Comment se présente l’auteur du livre dans ses deux jugements ?
2. Comment se poursuit la présentation de la taïga dans le fragment ?
- Quels sont les contrastes de l’image de la taïga que crée la voyageuse ?
3. Dans le compartiment et autour du train.
- Le train et la nature, comment se conjuguent ses deux « acteurs » du texte ?
- Le train et ses habitants. Parlez-en.
- Quels sont les sentiments que suscitent les voisins de compartiment chez la voyageuse française ?
- Quelle est l’attitude des femmes sibériennes envers Géraldine ?
- Comment le voyage fait ensemble enrichit l’une et les autres ?
4. Deux époques.
- Est-ce que vous sentez que deux époques coexistent dans la conscience et la conduites des femmes russes ?
- Comment cela est-il exprimé ?
- Selon vous, quels sont les traits du caractère russe qui ne dépendent pas des époques ?