Les Routes de l’Histoire
Le code aristocratique de l’amour
La passion est présente dans la littérature et dans les peintures de l’époque. Là encore, l’art montre l’imaginaire et non la réalité, il exprime ce que l’on aimerait vivre mais ce que l’on ne vit pas. La culture est avant tout une illusion ! L’illusion qui veut que l’amour soit noble et chevaleresque.
Ainsi l’art secret de l’école de Fontainebleau repose-t-il en grande partie sur les mythologies grecque et romaine. Dans la seconde moitié du XVIe siècle, le prétexte de Diane ou de Vénus sert à peindre les premiers nus français qui, en même temps, soient des portraits et reprennent les traits de quelque courtisane, souvent favorite du roi. La littérature romanesque est un miroir du temps où la Cour puise ses modèles. L’amour, le mariage, l’adultère occupent la plus grande part de la littérature du temps : près de 900 traités publiés au XVIe siècle débattent sur l’amour et la femme.
Trois conceptions de l’amour
L’amour courtois : la fin’amor désigne la relation amoureuse courtoise, héritée du Moyen Âge, elle se caractérise par la place élevée de la dame qui accepte ou non d’être courtisée. L’homme, pour la mériter doit franchir des obstacles : battre son rival, prouver son honneur, offrir un cadeau exceptionnel…
Le néo-platonisme : grâce aux traductions, la lecture de Platon, philosophe grec, est remise au goût du jour. Pour Platon, la relation amoureuse est conçue comme un élan vers Dieu. L’on progresse ainsi de l’amour humain à l’amour divin, afin de s’élever dans le monde du Beau, du Bien et du Bon. Le néo-platonisme se traduit par l’idée d’amour platonique qui refuse les plaisirs physiques et aspire à la béatitude.
Le pétrarquisme : Pétrarque, poète italien, a adopté le ton de la confession, dans ses sonnets dédiés à Laure ; il décrit ses tourments amoureux dus à l’absence de sa bien-aimée. L’amour pétrarquiste au XVIe siècle se caractérise par l’emploi d’hyperboles, d’antithèses et d’une langue excessive. Les poètes, dont Pierre Ronsard, chantent la passion, la joie du sentiment et la mélancolie inséparable de l’amour. La femme est chantée, mais comme un être artificiel, extraordinairement beau et inaccessible à la Pétrarque.
Pierre de Ronsard
Sonnet à Marie
Marie Dupin est une jeune paysanne de Bourgueil. Il lui envoi un poème pour accompagner un bouquet de fleurs. Le prince des poètes associe à la beauté des fleurs l’hommage amoureux. Le poème prend une profondeur nouvelle quand on songe que Marie mourra jeune.
Je vous envoie un bouquet que ma main
Vient de trier de ces fleurs épanouies1 ;
Qui ne les eût à ces vêpres cueillies2,
Tombées à terre elles fussent demain.
Cela vous soit un exemple certain
Que vos beautés, bien qu’elles soient fleuries,
En peu de temps seront toutes flétries,
Et, comme fleurs, périront tout soudain.
Le temps s’en va, le temps s’en va, ma Dame ;
Las ! le temps, non, mais nous nous en allons,
Et tôt serons étendus sous la lame ;
Et des amours desquelles nous parlons,
Quand serons morts, n’en sera plus nouvelle.
Donc, aimez-moi cependant qu’êtes belle3.
On se bat au duel et on se fait tuer pour défendre l’honneur d’une Dame. Dans ces combats singuliers, le chevalier porte les couleurs de sa Dame, tout comme dans les romans médiévaux. Les femmes apprécient les sentiments délicats ; elles veulent qu’on les respecte.
On gagne une femme comme on attaque un fort. L’amoureux fait le siège de la Dame, la courtise et lui offre sa vie. La Dame résiste, fait durer l’épreuve et finalement admet le chevalier à son service.
Tout se passe dans un univers de signaux, regards et soupirs qui doivent demeurer indéchiffrables au public. La loi du secret s’impose dans les relations privées. D’où la difficulté et le plaisir du jeu, car il faut profiter de chaque instant de la vie. Ronsard en fait l’un de ses thèmes préférés, appelant à profiter de sa jeunesse – et de celle de la femme aimée – avant qu’elle ne se fane.
Pierre Ronsard
Sonnet à Hélène
Ah, cette belle Hélène de Surgères qu’il a rencontrée dans l’entourage de Catherine de Médicis. Cette belle et jeune Hélène, pour qui il compose 130 sonnets amoureux (1578), et à travers elle, les dédie à une image mythique de la femme.
Quand vous serez bien vieille,
au soir, à la chandelle,
Assise auprès du feu, dévidant et filant,
Direz, chantant mes vers, en vous émerveillant :
« Ronsard me célébrait du temps que j’étais belle ! »
Lors, vous n’aurez servante oyant telle nouvelle,
Déjà sous le labeur à demi sommeillant,
Qui au bruit de Ronsard ne s’aille réveillant,
Bénissant votre nom de louange immortelle.
Je serais sous la terre, et, fantôme sans os,
Par les ombres myrteux je prendrai mon repos ;
Vous serez au foyer une vieille accroupie,
Regrettant mon amour et votre fier dédain.
Vivez, si m’en croyez, n’attendez à demain :
Cueillez dès aujourd’hui les roses de la vie.
1 Suggère la proximité du déclin qui suivra l’épanouissement. Le thème du déclin envahit à présent le texte.
2 Veut dire « si on ne les eût cueillies ce soir ».
3 Ronsard revient à la vie et au présent. Le raisonnement de Ronsard s’achève ainsi dans sa logique.