Les Routes de l’Histoire
Histoire des derniers amants courtois
Pour le monde entier, le roi Henri II et sa favorite, Diane de Poitiers, représentent le couple emblématique. Ils sont les derniers amants courtois, avec eux prend fin un certain type d’amoureux. La fin tragique et inattendue d’Henri II va faire basculer la France. Quant à Diane de Poitiers, elle a réussi à faire de sa vie un modèle pour le XVIe siècle, modèle de goût, d’élégance, de beauté et de passion amoureuse.
Diane de Poitiers
Diane de Poitiers
Diane naît dans les premiers jours de janvier 1500. Elle reçoit une éducation raffinée et apprend les belles manières. À 15 ans, Diane de Potiers est déjà une jeune beauté à la Cour de François Ier. Elle est presque aussitôt mariée à Louis de Brézé, vice-roi de la plus importante province du royaume, un homme âgé de 56 ans. Les nouveaux mariés s’installent à Anet où Diane mène une vie digne, irréprochable, exemplaire auprès de son mari, à qui elle donne deux filles.
Sa fidélité conjugale surprend tant les contemporains, que les rumeurs font de Diane la maîtresse de François Ier: il s’agit d’un scandale qui éclate, lorsque le père de Diane est accusé de haute trahison et condamné à mort. Déjà, sur la place de Grève, à Paris, il monte les marches de l’échafaud et présente son cou dénudé au bourreau. Soudain un archer accourt au galop, agitant en l’air une lettre qu’il tient à la main et il se met à crier : « Cessez, cessez ! Voici la rémission du roi ! ». Le condamné est gracié. La foule, déçue, se disperse. On dit que Diane est allée à Blois se jeter aux pieds du roi. De là, à penser qu’elle a payé cette grâce de sa vertu. La légende va inspirer les écrivains et les compositeurs, dont Victor Hugo et Giuseppe Verdi1 ! Il n’y a pas un mot de vrai dans tout cela. Lors du procès, l’héroïne de cette histoire est mariée depuis huit ans à Louis de Brézé, qui après avoir révélé au roi le complot, s’est associé aux prières de son épouse et a réussi à obtenir une grâce pour le condamné.
Rencontre
Henri III
Leur première rencontre a lieu quand Henri n’est encore qu’un enfant. François Ier. est vaincu en Italie, se fait prisonnier de Charles Quint et envoyé en Espagne. Il retrouve sa liberté en offrant ses deux fils : le dauphin François, âgé de 8 ans et le petit Henri, qui en a à peine 7, qui prennent sa place dans le sinistre donjon espagnol.
La Cour accompagne les jeunes otages jusqu’à Bayonne, où doivent se faire les adieux. Devant les petits princes, qui ne comprennent pas encore très bien ce qui leur arrive, les dames ont peine à cacher leurs larmes. François, l’aîné, est destiné à être roi de France, Henri, le cadet, n’est qu’un enfant ordinaire. Le roi préfère son fils aîné qui lui ressemble. Le petit Henri se sent plus seul que jamais. C’est à ce moment-là, que Diane de Poitiers pose les yeux sur lui. Elle s’approche de Henri et l’embrasse sur le front. L’enfant n’oubliera jamais le sourire et un baiser magique de la plus belle dame de la Cour. Il aura quatre ans pour y rêver, quatre ans d’isolement dans les prisons d’Espagne.
Les deux enfants sont enfermés au lugubre château de Ségovie. Henri pense tout le temps à Diane de Potiers ! Enfin les enfants retournent en France.
Henri a 11 ans, mais il en paraît davantage. Il revoit son père, qui semble toujours préférer François, mais il retrouve également Diane, la dame de ses rêves de prisonnier. Elle a 31 ans, donc vingt ans de plus. Il la rencontre tous les jours, plus belle encore que dans son souvenir.
En 1531, Louis de Brézé est mort. Diane de Poitiers est veuve. Elle se signale parmi les dames de la Cour par le sérieux de son comportement et s’installe dans un veuvage hautain. On fête le retour des princes par le grand tournoi. François Ier., la reine Eléonore et la favorite du roi, Anne d’Etampes sont assis côte à côte. Suivant les règles du tournoi, chaque champion doit placer ses exploits sous un patronage féminin (d’habitude, c’est la reine ou la favorite qui sont élues).
Henri III et Diane de Poitiers
Les fils du roi prennent part au tournoi. François, bien élevé, vient s’incliner devant la reine. C’est le tour d’Henri. Alors là, une surprise choquante : ce n’est pas devant la reine ni devant la favorite de son père que le garçon abaisse son étendard, mais devant Diane de Potiers. C’est à elle qu’il offre l’hommage de son premier combat public, c’est pour elle qu’il va rompre sa première lance2. Diane est flattée, mais ne voit dans ce geste du garçon autre chose qu’un enfantillage. Elle sera une sorte de sœur aînée, pour lui apprendre le monde. Henri est heureux, il n’en demandera pas davantage. Il rêve à Diane et il l’aime en soupirant. Quant à Diane, elle se soucie de le marier. Il s’agit de cette petite Catherine de Médicis3 ! Catherine devra essayer de trouver sa place dans cette Cour orgueilleuse et brillante, qui méprise les origines bourgeoises de sa famille paternelle et pendant des années l’appellera « la marchande ».
Catherine de Médicis ou la reine Cendrillon
La petite duchesse Catherine débarque à Marseille en automne 1533. Elle s’agenouille devant son futur époux, Henri d’Orléans qui regarde avec une totale indifférence celle qui va devenir sa femme. Elle n’est pas jolie. Tous les deux auront tout juste 14 ans et feront un mariage de raison – une véritable affaire d’État, une alliance contractée entre la France et la papauté.
La douce Catherine, souriante et habile, impressionne les contemporains par l’étendue de ses connaissances dans les mathématiques, la physique, les sciences naturelles, mais surtout dans l’astronomie. Elle parle très bien français. Elle adore son jeune époux, mais Henri ne l’aime pas : il a l’esprit et le cœur trop absorbés par sa « Dame », Diane de Poitiers.
Le 10 août 1536, le dauphin François meurt subitement à 18 ans ! C’est donc Henri qui devient l’héritier de la couronne. Il a 17 ans. Catherine devient dauphine.
À future reine, il faut un fils
Après 9 ans de mariage, Catherine n’a toujours pas d’héritier. Enfin, le miracle attendu se produit : Catherine se trouve enceinte, et c’est Diane qui l’embrasse la première. Pour comble de bonheur, c’est un garçon, François, qu’elle met au monde, le 19 août 1544.
Éclipsée par la belle Diane de Poitiers
Et cependant son mari ne la remarque pas, ses pensées sont toujours occupées par Diane de Poitiers. Il adopte ses couleurs – le noir et le blanc – qu’il portera à la guerre comme aux tournois jusqu’à sa mort, appelle celle-ci sa « Dame » et lui envoie des poèmes délirants et des lettres amoureuses : « Ma mie ! Je ne puis vivre sans vous. » Et il signe : « celui qui vous aime plus que lui-même ». L’amour de Henri pour Diane ne s’éteint pas avec les années4. On peut dire que c’est la plus surprenante liaison royale de l’Histoire.
En 1547, le roi François Ier. est mort. Ce sera Henri qui lui succède, sous le nom de Henri II. Il a 28 ans. Diane – 48. Ils s’aiment depuis plus de dix ans. Malgré le temps qui passe, Diane est toujours aussi belle et jeune.
Ménage à trois
Le 10 juin 1549, Catherine de Médicis est solennellement sacrée et couronnée reine de France. Dans la basilique de Saint-Denis, le sacre de la reine de France est conduit par… Diane de Poitiers !
Diane est secondée par ses deux filles, Françoise et Louise. Le cérémonial veut que la reine, après être coiffée de la couronne, en soit ensuite débarrassée pour entendre la messe. C’est alors que survient un incident scandaleux. Louise s’avance vers la reine et la décharge de son fardeau. Puis elle se retourne et se dirige vers sa mère. Chacun, le souffle coupé, la voit déposer la couronne aux pieds de Diane de Poitiers, la plus puissante dame de France ! Celle-ci reçoit dignement cette offrande symbolique. La reine Catherine, elle, reste de marbre. Pas un instant son regard ne se tourne vers sa rivale, elle sait : c’est Diane de Poitiers qui est la vraie reine, c’est elle qui règne sur le cœur de Henri II et sur le royaume. Scandale suprême, Henri a remis à Diane les clés du cabinet royal, de sorte qu’elle porte, à son gré, les somptueux bijoux du Trésor lors de toutes les grandes fêtes. Elle règne jusque dans l’appartement des enfants royaux : c’est elle qui choisit leurs gouverneurs et change une nourrice dont le lait lui semble suspect. Éclipsée par Diane, Catherine se résigne avec sagesse à la situation qui devra durer plus de 20 ans – celle du « ménage à trois », soit mari, favorite et épouse humiliée.
Les secrets de beauté de Diane
Diane de Poitiers
Une éclatante beauté de Diane dépasse celle de toutes les jeunes filles de la Cour. À une époque où les femmes sont vieilles à 30 ans, une telle fraîcheur paraît étonnante. On l’admire, on la déteste, on copie sa démarche, ses gestes, ses coiffures. Diane de Poitiers marque de son empreinte la poésie, la statuaire, la peinture et même l’architecture de son temps. Sa présence se fait sentir partout dans le chef-d’œuvre de l’époque. Sa mince silhouette, son visage lisse demeurent le symbole de la Renaissance. Elle inspire les canons de beauté de son temps et personnifie pour des générations la beauté éternelle et la longévité de l’amour. Un jeune roi qui pourrait être son fils lui écrit des lettres enflammées, la traite en plus que reine.
Mais quelle est la recette de son éternelle beauté ? On n’en sait pas grand-chose, sauf qu’une véritable discipline spartiate règle sa vie quotidienne : couchée chaque soir à 20 heures, elle se lève à 6 heures, prend un bain d’eau froide, puis monte à cheval et fait une promenade dans la campagne, jusqu’à 8 heures. Au retour, elle prend un petit déjeuner léger se recouche pour faire une sieste jusqu’à midi. Parfois, elle lit au lit. Voulez-vous la recette de sa « peau de pigeon » ? Elle se compose de jus de concombre, de melon, de nénuphar, de fleur de lys et de fèves. Dans cette mixture, vous faites macérer des pigeons hachés, ajoutez du beurre, du sucre en poudre, du camphre et de la mie de pain. Versez ensuite du vin blanc. Laissez reposer, puis distillez cet ensemble, et vous obtenez la peau de pigeon de Diane de Potiers. Ah ! Nous oublions les mains que vous voulez aussi blanches que les siennes : massez-les avec des décoctions de feuilles de bouleau et de millet. Le parfum de Diane ? Le musc, le girofle, la muscade !
La mort cruelle d’Henri II
Henri II est mortellement blessé
Les années passent. Catherine de Médicis a 37 ans, sa rivale en a pourtant 57. Catherine n’est pas aimée, elle souffre en silence. La fin de cette histoire semble tellement romanesque qu’elle serait digne d’un roman de chevalerie. La signature d’une paix s’accompagne toujours, au XVIe siècle, de mariages censés la consolider. On marie la petite Élisabeth à Emmanuel-Philibert, duc du Savoie. Une fois, le contrat entre la France et l’Espagne signé, les festivités peuvent commencer. Pas de mariages sans tournois. Le roi tient à participer aux tournois.
Pendant la nuit du 29 au 30 juin 1559, la reine a fait un rêve : elle voit son mari la tête ensanglantée. Catherine, bouleversée, le supplie de ne pas combattre. En vain, le roi se moque des craintes de la reine. Ce jour funeste de 30 juin 1559, Henri II participe donc à un tournoi. Le roi, comme toujours porte le noir et le blanc, couleurs de Diane de Poitiers. Diane, assise aux côtés de trois reines : la reine de France, la reine d’Écosse et la reine d’Espagne – contemple ce champ même où le jeune Henri a pour la première fois incliné son étendard à ses pieds 28 ans auparavant.
Il est cinq heures de l’après-midi. Ayant vaincu plusieurs adversaires, Henri insiste pour combattre contre le comte Gabriel Montgomery.
Les trompettes sonnent, les deux chevaliers se précipitent au galop l’un vers l’autre, abaissant leurs lances. La lance de Montgomery heurte la visière du roi, se brise et transperce l’œil en sortant par la tempe d’Henri II... « Je suis mort ! » s’écrie le roi. Les spectateurs se précipitent pour arrêter le cheval. On enlève le casque royal : un flot de sang s’en échappe et inonde le visage. Dans leur tribune, le dauphin et les reines, Catherine, Marie Stewart et Élisabeth, s’évanouissent au milieu des dames qui poussent des cris de frayeur. On transporte le roi au palais des Tournelles. Les chirurgiens arrachent les morceaux de bois et nettoient la plaie au blanc d’œuf. Pourtant, l’abcès envahit peu à peu le cerveau. Le blessé est saisi de fièvre et de douleurs violentes et entre en agonie5.
Catherine interdit à quiconque de donner des nouvelles du roi à Diane, il lui est également interdit de voir Henri. Sur son lit de douleur, Henri réclame la présence de Diane à ses côtés, mais personne n’avertit la favorite royale. Le 10 juillet 1559, le roi de France Henri II rend le dernier soupir, sans avoir revu sa bien-aimée « Dame ». Il est âgé de 40 ans. Il a régné douze ans. Il laisse une veuve, Catherine de Médicis, qui va régner pendant 30 ans (de 1559 à 1589) sur la France et sur ses trois fils : François II, Charles IX, Henri III.
La disgrâce de Diane la Belle
Diane au cerf
Catherine est bouleversée par la mort de Henri II, un époux qu’elle a sincèrement aimé.
Oubliant un moment son chagrin, Catherine dépêche un messager à Anet, le château de Diane, pour réclamer les clefs des cabinets et du secrétaire du défunt roi et les joyeux de la couronne que le roi lui a offert. Diane restitue le tout dans un coffret, accompagné d’un inventaire et d’une lettre dans laquelle elle se jette aux pieds de Catherine, implore son pardon pour les offenses commises et l’assure de ses vœux. Diane sera exilée dans ses terres avec interdiction de reparaître à la Cour. La revanche était longue à venir, mais elle est arrivée. Celle qui avait si longtemps dominé la France entrait à son tour dans l’oubli6. Enfin Catherine triomphe de sa rivale, enfin elle peut diriger le royaume ! Pour marquer son chagrin, elle décide de porter jusqu’à sa propre mort le deuil en noir et non pas en blanc, comme il était tradition pour les reines de France. Elle s’entoure d’objets lui rappelant son époux, fait draper les murs et les fenêtres de sa chambre de tentures et de voiles noirs. L’arc-en-ciel d’Iris, qui était son emblème, sera changé en une lance brisée, en souvenir du drame qui lui a enlevé son époux, avec la devise « C’est de là que viennent mes larmes et ma douleur ». En 1563, Catherine commandera pour la basilique de Saint-Denis un monument qui constitue un chef-d’œuvre de la sculpture de la Renaissance : le mausolée des Valois.
1 Victor Hugo Le Roi s’amuse; Giuseppe Verdi Rigoletto
2 Dans 28 années, en ce même endroit, rue de Saint-Antoine, à Paris,ce même duc d’Orléans devenu roi Henri 11, portant à son casque un lourd panache de plumes noires et blanches, couleurs de sa favorite Diane, sera mortellement frappé par la lance de Gabriel de Montgomery.
3 Lorsque l’astrologue est convié à dresser l’horoscope, sa prédiction est nette : « une vie pleine de douleurs, d’agitations et d’orages » attend l’orpheline aux yeux encore clos, future régente de France, future reine de France, mère des trois derniers Valois et belle-mère du premier roi Bourbon.
4 La règle courtoise est de détruire les lettres d’amour de la dame. Henri, en parfait amoureux, n’a sûrement pas manqué à son devoir.
5 Tous ont fait de leur mieux : on a décapité quatre criminels au Châtelet, et pendant quatre jours les chirurgiens ont cogné le tronçon de lance contre ces têtes, comme il avait cogné la tête du roi, pour juger de l’effet produit dans le cerveau. Mais ils n’en ont tiré nulle lumière.
6 Diane de Poitiers se retire dans son château d’Anet. Elle y mourra en 1566, à l’age de soixante-sept ans, quasiment oubliée de tous. La mort de Diane est aussi brusque qu’inexplicable…