Les Routes de l’Histoire
Alain DÉCAUX
Louis XVII, martyr de l’histoire
(extrait)
Le Petit Capet
Louis XVII : un petit roi sans couronne
Le 3 juillet 1793, à 22 heures, Marie-Antoinette vient de coucher son fils. Il a de la fièvre. La porte s’ouvre brusquement. Cinq commissaires entrent. L’un d’eux lit un texte annonçant que, désormais, Charles sera séparé de sa mère et vivra dans l’appartement de Louis XVI, sous la garde des époux Simon. Charles sanglote : il ne veut pas, il ne veut pas ! Marie-Antoinette lui fait un barrage de son corps : jamais on ne lui retirera son fils ! Mais elle est obligée de céder. On lui présente son « précepteur », le cordonnier Simon. Près de cet homme se tient sa femme. Durant un siècle, on s’est plu à faire des Simon des personnages de mélodrame, les Thénardier1 de l’enfant-roi. Les documents découverts depuis ont rétabli une vérité inattendue : les Simon achetaient à l’enfant des jouets, des oiseaux, des fleurs ; on a retrouvé des factures. Le cordonnier et sa femme apparaissent en fait comme de braves gens qui cherchent à assurer au « petit Capet » une existence aussi agréable que possible. Au reste, Charles s’habitue un peu trop vite au sort qui lui est fait. Sa sœur se souviendra l’avoir entendu « tous les jours chanter avec Simon la Carmagnole2, l’air des Marseillais3 et mille autres horreurs ». En janvier 1794, Simon démissionne et accompagné de sa femme, quitte la tour du Temple. Ici commence l’inimaginable. On va enfermer un enfant de 8 ans dans l’ancienne chambre de Louis XVI, transformée en prison. Seul. Totalement seul. Toutes les issues de la cellule sont verrouillées. Un cadenas de sûreté sera mis sur la fenêtre qui demeurera close. La chambre n’est chauffée que par le tuyau d’un poêle placé dans l’antichambre. On ne lui passe sa nourriture que par une petite fenêtre munie de barreaux. Le petit Capet ne quitte plus que rarement son lit. Peu à peu, la vermine l’a envahi et il est couvert de puces et de punaises. Jamais il ne change de chemise ou de bas : comment le pourrait-il ? Cette captivité durera six mois. À une date que l’on peut situer vers la fin de cet enfermement, le cuisinier, en montant l’escalier et en passant devant la cellule, va sentir « une odeur insoutenable qui sortait de la chambre dans laquelle on n’entrait pas ». Il parvient à ouvrir la porte : « En entrant, je visle jeune prince courbé et accroupi, une tumeur au genou et au bras, dans l’impossibilité de se redresser ». Il faudra la chute de Robespierre, le 9 thermidor pour que Barras4, nouveau maître de Paris, le lendemain vers 6 heures du matin se rende à la tour du Temple. Au centre de la cellule, une « petite couchette en forme de berceau », l’enfant là-dedans. Barras ordonne qu’on le mette debout ; on le soulève sous les bras, mais il souffre tellement qu’on le fait asseoir. Barras apprend que l’enfant ne dormait ni ne mangeait. Peut-on dire que le calvaire de l’enfant est achevé ? Certes, on nettoie la chambre, on le change de linge et de vêtements, on lui donne des gardiens vite changés en gardes-malade, mais il ne se rétablira jamais. Comment le pourrait-il, rongé qu’il est par une tuberculose généralisée ? Au début de juin, ses forces l’abandonnent. Le 8 juin, son cœur a cessé de battre. Ce cœur qui… Aucun roi de France n’aura autant souffert que Louis-Charles, duc de Normandie.
(Le Figaro Magazine, avril 2000)
1 Personnages du roman de V. Hugo Les Misérables : un couple qui tyrannise une petite orpheline, Cosette.
2 Le bien connu « Ah ça ira ça ira ça ira, les aristocrates à la lanterne, les aristocrates, on les pendra ! » est écrit en 1790 par un ancien soldat devenu chanteur à la mode, Ladre.
3 La Marseillaise.
4 Paul François Jean Nicolas vicomte de Barras, un homme politique français (1755-1829). Député à la Convention pendant la Révolution française, il apparaît comme l’un des hommes-clés du Directoire.