Les Routes de l’Histoire
La Conciergerie
Traversons maintenant la Seine par le pont d’Arcole, puis prenons à droite le quai de Corse qui, le long de l’Hôtel-Dieu et du marché aux fleurs, va nous amener jusqu’à la Conciergerie. De cet ancien palais royal ne subsistent que les quatre tours sur la Seine, largement remaniées, et le rez-de-chaussée, qui a servi de prison sous la Révolution. Lors de notre promenade, nous avons l’occasion de visiter ces cachots de la Conciergerie, qui sont une halte avant la guillotine pour la Reine, mais aussi ses accusateurs, Danton, Desmoulins, Robespierre blessé et Mesdames Roland et Lucile Desmoulins. Dans la salle des gardes a siégé, de mars 1793 à mai 1795, le Tribunal révolutionnaire1.
« Soyons terribles ! »
Face aux insurrections en province, à la guerre civile déclenchée par la Vendée et à la guerre extérieure, la République n’est plus qu’une grande ville assiégée. À cela s’ajoutent les difficultés d’approvisionnement et de vie quotidienne. Le ravitaillement de Paris devient véritablement désastreux. On institue les cartes de pain et de viande. Sans grand effet : on voit naître un marché noir. Les revendeurs attendent les paysans aux portes d’entrée de la ville, achètent leurs produits et les revendent trois ou quatre fois plus cher en ville. Les bourgeois s’arrangent. Dans les rangs du peuple la colère monte. À Paris, tumulte et émeutes. L’armée révolutionnaire accumule les défaites. Pour les expliquer, on fait circuler, comme d’habitude, le bruit d’un complot royaliste ! On réclame des mesures énergiques et le châtiment des traîtres. Il faut installer un pouvoir fort et montrer sa poigne de fer. C’est alors que Danton prononce sa phrase devenue célèbre : « Soyons terribles pour éviter au peuple de l’être ». Au printemps, un gouvernement extraordinaire, crée les comités de Salut Public et de Sûreté générale. Le 10 mars 1793, l’Assemblée institue un Tribunal criminel d’exception, chargé de prévenir « tout attentat contre la liberté, l’égalité, l’unité et l’indivisibilité de l’État, toute entreprise contre-révolutionnaire, tout complot royaliste ». On l’appelle Tribunal révolutionnaire. Ses verdicts sont radicaux : la guillotine, et exécutables dans les vingt-quatre heures. Dès septembre 1793, les libertés individuelles sont sacrifiées pour assurer le salut collectif de la Nation : c’est la Dictature de la Liberté ou, plus platement la Terreur2 rendue officielle. Les comités de surveillance délivrent aux bons citoyens des certificats de civisme et peuvent traîner devant les tribunaux révolutionnaires les suspects, dont un décret donne une définition très vague. Sont arrêtés ceux et celles qui, « par leurs relations de famille ou d’amitié, leur attitude ou leur rôle public, leurs discours présents ou passés, leur classe sociale, doivent être considérés comme défavorables au régime nouveau ». Comités et Clubs sont surveillés ou fermés ; la presse se censure elle-même, sous la menace de la guillotine qui élimine les prisonniers. Arrestations se multiplient. En d’autres termes, l’époque de la liberté d’opinion et d’expression est bien révolue. La Terreur est mise à l’ordre du jour.
Le procès de la reine Marie-Antoinette
Le procès de Marie-Antoinette
Emprisonnée au Temple en août 1792, Marie-Antoinette, « la veuve Capet, mise en accusation »3, est transférée le 1er août 1793 à la Conciergerie pour y attendre son procès. Cette prison est connue comme l’antichambre du Tribunal révolutionnaire. Et Marie-Antoinette « sait qu’une accusation du Tribunal révolutionnaire équivaut à une condamnation et que la Conciergerie pour elle est la maison des morts ».4 Quand on vient la chercher au Temple, on est étonnée de voir une vieille dame impassible. Elle fait un petit paquet de ses vêtements, embrasse sa fille, reste un long moment dans les bras de Mme Elisabeth, sœur de Louis XVI, puis, prenant son paquet de linge, descend avec ses gardes. Une voiture attend à la sortie du Temple. Marie-Antoinette y monte avec deux gendarmes. Les chevaux trottent dans un Paris silencieux. La voiture traverse le pont Notre-Dame. Le trajet tire à sa fin. La voiture s’arrête dans la cour de Mai, près du Palais de Justice. Il y a quelques marches à descendre, une petite cour à traverser. La Reine est devant la porte de sa prison, que les gendarmes frappent à grands coups avec la crosse de leur fusil. Elle est à la limite de ses forces, mais elle arrive à se tenir droite pour entrer dans la Conciergerie. Elle n’en sortira plus… Si, elle en sortira une seule fois… pour être exécutée. Le procès s’ouvre le 14 octobre 1793 devant le Tribunal révolutionnaire. La femme qui apparaît devant ses juges à huit heures du matin n’a plus rien en commun avec la belle souveraine qu’elle a été. 70 jours dans une cellule de la Conciergerie, quasiment un cachot, l’ont tellement vieillie que le public a bien du mal à la reconnaître. Elle porte une robe noire usagée, et de son voile de veuve s’échappent des mèches de cheveux blanchis par la souffrance. Elle a le teint blafard et les yeux rouges. On lui pose les questions les plus indiscrètes ; on répand contre elle des accusations les plus absurdes. Les preuves manquent ? Alors on interroge son fils, le petit Capet, en faisant témoigner cet enfant de huit ans contre sa mère. Marie-Antoinette, toute seule, sous la garde d’un gendarme, affronte ses juges avec un calme, un sang-froid et la dignité pleine de noblesse dont elle ne départira jamais tout au long du procès. Le verdict est accueilli en silence : « La ci-devant citoyenne Marie-Antoinette d’Autriche, épouse Capet » est condamnée à la mort. « Marie-Antoinette a écouté sans broncher, avec un calme parfait, la décision des jurés et la sentence. Elle ne manifeste par le moindre signe de peur, de colère ou de faiblesse. Sans se retourner, sans regarder personne, elle sort de la salle au milieu du silence général ».5
16 octobre 1793. « Je vais rejoindre votre père »
Marie-Antoinette
À quatre heures du matin, elle demande de quoi écrire. Sa dernière lettre, elle l’adresse à sa belle-sœur, Madame Elisabeth : « Je viens d’être condamnée, non à une mort honteuse – elle l’est pour les criminels –, mais à aller rejoindre votre frère. Comme lui, innocente, j’espère montrer la même fermeté que lui dans ses derniers moments. » Tentant de refouler ses larmes, elle songe au triste sort qui attend ses enfants, Marie-Thérèse Charlotte et Louis-Charles. À sept heures, la porte de la cellule s’ouvre : le bourreau dont le nom est connu par toute la France, Charles-Henri Sanson, entre. Comme il tire une corde de sa poche, la reine balbutie : « Est-ce qu’on va me lier les mains ? On ne les a pas liées à Louis XVI ». Sanson ne l’écoute pas. Les poignées liées dans le dos, elle se mord les lèvres pendant qu’on lui arrache son bonnet et qu’on lui coupe les cheveux. Puis, les portes de la Conciergerie s’ouvrent. La « veuve Capet » grimpe dans la charrette des condamnés à mort qui est venue la chercher. Escortée par des gendarmes à cheval, le cortège progresse lentement. Une foule muette contemple Marie-Antoinette debout dans la charrette des criminels, le dos tourné au cheval. Seule. Rue Saint-Honoré, un cri s’élève : « Mort à l’Autrichienne ! ». Et les injures commencent à pleuvoir. Le cortège arrive enfin place de la Révolution. Elle détourne son regard des Tuileries et aperçoit la guillotine. Affreusement pâle, prise de frissons, elle sent son cœur s’arrêter. Elle s’avance pourtant d’un pas égal, sans précipitation ni lenteur, et monte les degrés avec autant de majesté que si ces degrés soient ceux du grand escalier de Versailles. Pendant que le bourreau l’attache contre la planche, elle lève les yeux et s’écrie d’une voix très haute : « Adieu, mes enfants ! Je vais rejoindre votre père ! ». Un silence se fait. Le bourreau l’allonge sur la planche. « On tire la corde, la lame jette un éclair en tombant, on entend un choc sourd, et déjà Sanson empoigne par les cheveux une tête sanglante qu’il brandit au-dessus de la place. »6 Une longue clameur monte : « Vive la République ! » C’est fini. Son corps décapité, comme celui de son époux, sera enterré au cimetière Sainte-Madeleine (actuel square Louis XVI). Ses vêtements seront distribués aux pauvres.
L’exécution de Marie-Antoinette
Le dernier matin de Marie-Antoinette
1 Créé le 9 mars 1793, ce Tribunal d’exception siège à Paris et, sous la Terreur, condamne à mort, à Paris, plus de 2 700 personnes. Il fonctionnera à plein régime jusqu’au 31 mai 1795, date à laquelle il sera définitivement supprimé.
2 Régime d’exception mis « à l’ordre du jour » le 5 septembre 1793. La Terreur est marquée notamment par la hantise du complot, par une justice d’exception, par une radicalisation de la lutte contre toutes les résistances à la Révolution.
3 Cité d’après le décret de la Convention du 1er août 1793.
4 Stefan Zweig Marie-Antoinette.
5 Ibid.
6 Stefan Zweig Marie-Antoinette.