Arts et culture
Napoléon et le Louvre
On n’y peut rien : Napoléon Bonaparte conserve son lot d’admirateurs nostalgiques qui entretiennent sa légende, et l’aventure Impériale continue à fasciner les Français et les Russes. Un phénomène difficile à expliquer, si on connaît bien l’histoire de nos deux pays. C’est comme ça, pourtant. Et tant mieux : puisque l’exposition « Napoléon et le Louvre » qu’on attend en Russie en 2010 est « condamnée » à un succès fou.
Napoléon et les Arts
On sait que sous le Ier Empire napoléonien, tous les arts : architecture, arts décoratifs, peinture, sculpture, musique sont au service de la gloire de Napoléon. Napoléon est en contact avec des peintres, des sculpteurs, des architectes, des acteurs de Paris. Mais il ne traite pas l’art et la culture en amateur, mais en politique.
C’est Charlemagne1 qui est longtemps un modèle pour lui. D’où la colonne, installée place Vendôme, évoquant des empereurs romains, avec la statue de Napoléon présenté en antique au sommet.
Sous Napoléon, on restaure les insignes royaux épargnés par la Révolution : le sceptre de Charles V, l’épée et la couronne dites de Charlemagne, la main de justice. Ils sont aujourd’hui conservés dans les collections du Louvre.
Mais on crée en même temps de nouveaux symboles, dits honneurs de l’Empire, remontant à l’Antiquité et imposant ses lignes, ses formes, son vocabulaire enfin. L’aigle renvoie au mythe des origines de Rome, fondatrice de la civilisation, et l’abeille à la lignée des rois mérovingiens2. Ces images sacrées ont eu pour fonction de désigner le chef politique, sauveur héroïque, héritier direct de l’Antiquité, et de donner à sa victoire une dimension historique.
Néoclassicisme et style Empire
Napoléon Ier est bien connu comme le maître des réformes. Rien d’étonnant que l’Art dit néoclassique et le style Empire ont été élevés au rang de canon de l’art officiel par Napoléon et n’ont duré que le temps de son règne. Le néoclassicisme s’inspirant de l’Antiquité se voit bien dans l’architecture de l’époque : la colonne de la place Vendôme, la façade de l’église de la Madeleine, du Palais-Bourbon où siège actuellement l’Assemblée nationale, de la Bourse, les arcs de triomphe qui évoquent les architectures romaine ou grecque.
Mais Napoléon désire voir les artistes français plus forts que ceux de Rome et Athènes antiques. Plus que tout autre souverain français, il a le souci de laisser dans le marbre et sur la toile la mémoire de ses actions, de créer la légende napoléonienne. Il s’entoure des plus grands artistes de l’époque, peintres, sculpteurs, architectes, qui établissent l’image d’un Empereur trônant, victorieux et imposant son triomphe à l’Europe.
David, qui est depuis 1785 le chef reconnu de l’école française, est nommé premier peintre de l’Empereur. Pierre François Léonard Fontaine, nommé architecte du gouvernement en 1801, et son ami Charles Percier bouleversent tous les codes de l’art décoratif de l’Ancien Régime et créent le style Empire. Meubles et objets sont conçus pour s’insérer dans des pièces rendues lumineuses par la multiplication des miroirs de grandes tailles. Les murs sont couverts de panneaux paysagés, de figures allégoriques illustrant tantôt les saisons, tantôt les muses. Les rideaux des fenêtres, des alcôves et des portes sont brodées et frangées.
Le style Empire se reconnaît par les signes impériaux : la feuille de laurier, la palme, le bouclier, le casque, le trophée militaire qui symbolisent la victoire ; leur positionnement aux endroits stratégiques du meuble ou de l’objet, la clarté de leur dessin leur donnent le statut d’emblèmes compréhensibles par tous. La puissance souveraine se réaffirme à travers le lion et l'éléphant. La figure du guerrier associée à celles féminines et des sphinges, vigilantes gardiennes du régime, expriment la force.
Les meubles, l’orfèvrerie, les soieries, la porcelaine, les cristaux, les marbres, les bronzes dorés, les pendules, les papiers peints, les tapis français sont massivement exportés vers l’Espagne, l’Allemagne, l’Angleterre et surtout la Russie.
Oui, Napoléon est idole pour les Russes du début du XIXe siècle. L’aristocratie russe parle mieux le français que le russe, et les dames russes s’habillent, se coiffent et se parent de leurs richesses à la mode lancée par la Cour Impériale française. Le mot « bijou » les fait rêver à Paris, ville-lumière où la mode devient un prétexte pour comprendre la qualité d'un personnage, sa position dans la hiérarchie sociale. La prospérité est de retour en France et les Parisiennes se couvrent de bijoux ! Elles portent tellement de bijoux à la fois qu'elles semblent des vitrines ambulantes ; aux doigts les bagues s’étagent ; les chaînes d’or font jusqu’à huit fois le tour du cou, les boucles d’oreilles sont très lourdes à porter ; aux bras serpentent des bracelets de toutes formes ; les colliers de perles ornent les coiffures en cheveux et retombent parfois sur l’épaule. De longues épingles d’or fixent les cheveux relevés. Une parure très à la mode sous l’Empire est le diadème formé d’une feuille de laurier, or et diamants d’un côté d’une branche d’olivier, or et perles de l’autre. Ces nouvelles tendances dans les bijoux sont recopiées dans toute l’Europe.
Napoléon et le Louvre
D’ailleurs, Napoléon et le Louvre, quel est le lien entre ces deux noms ? Sait-on que pendant plus de dix ans, le Louvre, cette ancienne demeure des rois de France, s’est appelé Musée Napoléon ?
Le Louvre et les Tuileries. Deux palais dans la ville
Déjà sous l’Ancien régime, les deux châteaux royaux de Paris constituaient un ensemble architectural. Leur liaison était matérialisée par la Galerie du bord de l’eau, future Grande Galerie.
La répartition des usages s’était peu à peu définie par Louis XIV. Au Louvre : les Académies (celle de la peinture et de sculpture dans le Grand Salon ; celle de l’architecture dans les appartements de la reine, l’Académie politique dans la Grande Galerie), mais aussi l’Imprimerie royale, les expositions annuelles de peinture et de sculpture. Aux Tuileries – la résidence du Roi lorsqu’il était à Paris. La Révolution a confirmé cette distribution : les assemblées de la Convention3 se tenaient dans le palais des Tuileries, les œuvres d’art étaient rassemblées dans les bâtiments du vieux Louvre.
Depuis Louis XIV, peintres, sculpteurs, orfèvres disputent l’espace intérieur de la Grande Galerie (par exemple, David y logeait et y bénéficiait d’un atelier). Ces nombreux logements d’artistes ou de leurs descendants très mal entretenus se trouvent également dans la Cour Carré. Les deux palais, comme toute la capitale d’ailleurs, sont en ruines, lorsque Napoléon arrive au pouvoir4. Il rêve d’embellir la ville et dégager de nouveaux espaces afin de créer des perspectives. Il désire que Paris « devenue première capitale du monde, réponde par son aspect à une si glorieuse réputation ». Les vastes et ambitieux projets des architectes, Fontaine et Percier ne verront qu’un début de réalisation : le pont des Arts et le pont d’Austerlitz, l’arc du Carrousel, la colonne Vendôme, la construction de cinq nouvelles fontaines, le percement de la rue de Rivoli, du canal de l’Ourcq et du bassin de la Villette qui amènent l’eau dans la ville, l’aménagement des quais de la Seine ainsi que le développement des trottoirs et de l’éclairage public des rues.
Un autre projet formulé par Napoléon concerne le réaménagement des résidences officielles comme les palais des Tuileries et du Louvre. Napoléon reste fidèle à la tradition : le palais des Tuileries devient sa résidence (il prend possession de l’ancien appartement de Louis XVI au premier étage des Tuileries, tandis que Joséphine, son épouse, fait réaménager celui de Marie-Antoinette au rez-de-chaussée). Une entrée solennelle aux Tuileries, marquée par un arc de triomphe romain5 (arc du Carrousel) qui a survécu au palais6, est alors décidée. Au sommet de l’arc, les célèbres chevaux de bronze enlevés de Venise tirent le char du général vainqueur mené par la Victoire. Résidant au palais des Tuileries, Napoléon est chez lui au Louvre. Dix ans après sa création, le Muséum central des Arts, enrichi des œuvres confisquées par l’armée française, devient en 1802, le Musée Napoléon.
Musée Napoléon
Tout d’abord, Napoléon fait partir des artistes, logés avec leurs familles dans le vieux palais royal. Les artistes seront relogés à la Sorbonne, qui deviendra ainsi une sorte de cité des Arts, ou bien recevront une allocation pour s’installer ailleurs. Le Musée qui porte son nom compte beaucoup pour Napoléon et occupe ses pensées. Les plus grands artistes du temps : Denon, Visconti, Percier, Fontaine, David participent au développement de ce musée unique au monde, véritable encyclopédie universelle des arts, modernisé, aménagé, organisé en galerie de toutes les gloires de l’Europe antique et moderne. Placée sous la direction de Vivant Denon de 1802 à 18157, la collection du Musée Napoléon réunit tous les chefs-d’œuvre que le conquérant a pu croiser. Depuis les premières campagnes, la présentation s’enrichit des noms les plus illustres : Raphaël, Caravage, Rembrandt, Rubens.
Regroupés par écoles, les tableaux sont présentés dans le Salon Carré et la Grande Galerie. Jusqu’en 1814, les visiteurs ont pu découvrir au Louvre la plus fabuleuse collection d’art jamais réunie ensemble. Le Louvre devient tous les deux ans un lieu d’exposition de la création contemporaine. C’est au Louvre, que Napoléon reçoit les députés de l’armée après son sacre, le 8 décembre 1804. C’est enfin au Louvre qu’en 1810 il épouse Marie-Louise. On accuse encore aujourd’hui Napoléon d’avoir « pillé » les pays conquis, surtout l’Italie, en emportant des œuvres, qui, une fois envoyées à Paris, devaient orner le Musée de Louvre.
Il est difficile de justifier ces actes, mais n’oublions pas que Napoléon agissait dans la logique révolutionnaire : depuis 1792, on a déclaré que la Révolution s’imposerait « par la guerre et par les arts. »
En Allemagne, en Italie et en égypte, les armées républicaines ont reçu la mission formelle d’acheminer vers Paris, tableaux, sculptures, livres précieux, souvenirs historiques, trésors religieux, et monuments. Il s’agissait d’enrichir les musées français et surtout le Muséum, c’est-à-dire, le Louvre.
Ce n’est pas donc Napoléon qui a inventé les confiscations d’œuvres d’art, mais c’est lui qui les a rendues officielles afin que ces saisies ne soient pas « confondus avec un pillage désordonné ». Elles étaient donc réalisées par droit de conquête après la prise d’une ville ou d’un château.
C’est à Napoléon Bonaparte que le Louvre doit la richesse, le rayonnement et l’éclat qui ont fait de lui le musée unique dans son genre, qui est devenu avec le temps un modèle largement imité, même après la restitution de 1815. Aujourd’hui, le Louvre est bien autre chose que le musée voulu par Napoléon. Mais sa présence y est toujours sensible. En invitant la collection impériale dans le haut lieu de l’Histoire, le Musée historique d’État de Moscou innove et promet la surprise. Bonne visite !
A.CH.
SOURCES :
- http://feesenville.blogspot.com
- http://xephora.canalblog.com
- http://sites.radiofrance.fr
- http://www.lesartsdecoratifs.fr
- http://www.napoleon.org
- Napoléon et le Louvre, sous la direction de Sylvain Laveisseière. Collection « Trésors du Louvre »
- Jacques-Olivier BOUDON, Napoléon et les arts
- Valentine BUVAT, Architecture et urbanisme sous l’Empire
- Jean-Dominique AUGARDE, Le faste des arts décoratifs
- Pierre-Jean CHALENÇON, Le projet culturel de Napoléon
1 Charles, dit le Grand ou Charlemagne (né probablement en 742 ou 748, mort à en 814). Il est roi des Francs (768-814) et est couronné empereur par le pape Léon III le 25 décembre 800.
2 Les Mérovingiens constituent une dynastie de rois qui a régné sur une très grande partie de la France et de la Belgique actuelles, ainsi que sur une partie de l'Allemagne et de la Suisse, entre Antiquité et Moyen Âge, du Ve jusqu’au VIIIe siècle, immédiatement après l'occupation romaine de la Gaulle. Le nom « mérovingien » provient du roi Mérovée, ancêtre semi-mythique de Clovis, premier roi-chrétien. Ils étaient aussi appelés « rois aux longs cheveux » au début de leurs dynasties.
3 La Convention nationale est le nom donné à l’assemblée qui succède officiellement à l’Assemblée législative et qui a duré du 21 septembre 1792 au 26 octobre 1795. La Convention assura le pouvoir exécutif de la Première République française après la déposition de Louis XVI et l'abolition de la royauté.
4 Il dirige la France à partir de la fin de l’année 1799 ; il est d'abord Premier Consul du 10 novembre1799 au 18 mai 1804 puis Empereur des Français, sous le nom de Napoléon Ier, du 18 mai 1804 au 11 avril 1814, puis du 20 mars au 22 juin 1815.
5 C’est l’arc de Septime Sévère à Rome que l’on a choisi comme modèle.
6 Malheureusement le palais des Tuileries est parti en fumée avec tous ses trésors après les incendies allumés par la Commune de Paris en 1871.
7 L’un des pavillons du Louvre porte aujourd’hui son nom.