Mon amie la langue française
Les expressions imagées de toutes les couleurs
Il est des couleurs qui vous marquent et qui vous caractérisent aux yeux de tous, souvent de façon péjorative.
Être un jaune, c’est être un ouvrier non gréviste ou un briseur de grève, en référence aux syndicats jaunes qui ont été crées en 1899 contre les syndicats ouvriers. Or, les syndicats de mineurs.
Ces gueules noires (couleur de charbon), ont longtemps été la bête noire des patrons. Tous n’étaient pourtant pas des rouges, des révolutionnaires.
Un bleu, c’est un débutant, un novice, parce que les conscrits arrivaient autrefois à la caserne en blouse bleue. D’un jeune homme sans expérience on dit aussi que c’est un béjaune (ou bec-jaune), évoquant ainsi les jeunes oiseaux de proie qu’on n’a pas encore dressés et qui ont encore une membrane jaune sur le bec. Quand ce débutant est également prétentieux, c’est un blanc-bec (qui a le bec blanc, autrement dit un jeune homme qui n’a pas encore de poil au menton…).
Être qualifié de bas-bleu n’est guère plus flatteur, car ce terme s’applique aux femmes qui ont de ridicules prétentions littéraires. Cette traduction de l’anglais blue stocking de ce que Mrs Montague, femme de lettres, tenait à Londres un salon où l’on parlait littérature. D’autres mondaines, jalouses de son succès, se moquaient des bas bleus portés par l’un des habitués, un certain Mr Stilligfleet, et les associèrent au pédantisme féminin.
Il est heureusement des couleurs qui soulignent certains talents. Être un cordon-bleu est le rêve de toute cuisinière, puisque ce titre est réservé aux plus remarquables en référence à ce qui était au XVIe siècle une haute décoration, avant de devenir une expression (c’est le cordon bleu de …) employée pour distinguer le meilleur d’une catégorie.
Être fleur bleue, c’est être sentimental. Et avoir du sang bleu vous anoblit ! Il s’agit de la traduction de sangre azul, une expression utilisée par les grandes familles castillanes qui prétendaient être de sang pur. Pour d’autres, cela viendrait du fait que les veines bleues, plus visibles chez les personnes dotées d’une peau très blanche, se voyaient chez les aristocrates qui n’avaient pas à travailler, alors que les paysans avaient le teint bruni par le soleil.
Les éminences grises, ce sont des conseillers secrets qui ont beaucoup d’influence. L’expression vient du surnom donné au père Joseph, conseiller de Richelieu, cardinal vêtu de rouge dont il se distinguait par sa robe grise de capucin et par sa personnalité couleur de muraille, une façon imagée de dire qu’il avait un aspect très effacé.
Des pieds de toutes les couleurs
On sait que les Français d’Algérie ont été qualifiés de pieds-noirs, un terme qui s’est d’abord appliqué aux soutiers des bateaux reliant la France et l’Algérie : leurs pieds étaient noirs parce qu’ils travaillaient pieds nus dans le charbon.
Avant eux, il y eu les pieds-gris pour désigner des paysans. Quant aux pieds-blancs, ils désignaient les fantassins en raison de la couleur de leurs guêtres…
Des couleurs de caractère
Certaines couleurs définissent des tempéraments. Il y a ceux qui voient tout en rose, conscients seulement du bon côté des choses, comme dans la chanson d’Edith Piaf, ou qui nagent dans le bleu, vivant sur leur petit nuage, avec leurs rêves. Il y a les vieillards qui sont encore verts, faisant preuve de vigueur et montrant qu’ils restent de sacrés gaillards. Et puis il y a les maussades qui font grise mine et les pessimistes qui voient les choses en noir ; on dit d’eux qu’ils se font des idées noires.
Changer de couleur suivant son humeur
On voit rouge quand on a un accès de colère, parce que la colère est censée injecter les yeux de sang et colorer ainsi la vision des choses. On se fâche alors tout rouge : on devient comme une tomate, comme une pivoine ou comme une écrivisse. Mais, pour peu qu’on ait été chauffé à blanc et que l’on soit excité au dernier point (chauffer un métal à blanc, c’est le chauffer au point de le rendre presque blanc), on peut se mettre dans une colère noire, rageuse, et lancer des regards noirs, pleins de haine. De quoi vous faire une peur bleue ! On dit aussi qu’on est vert de peur par exagération, comme si l’on pouvait verdir à cause de la peur… La rage produit d’ailleurs les mêmes effets, puisqu’on peut aussi être vert de rage.
Si l’on est blanc comme un cachet d’aspirine, comme un linge ou comme un lavabo, c’est qu’on est sur le point de s’évanouir. Saigner à blanc, c’est, au sens figuré, retirer à quelqu’un tout ce qu’il possède. Être chocolat, ou marron désigne se faire rouler, être dupe.
C’est cousu de fil blanc…
Le sens de certaines expressions colorées semble souvent cousu de fil blanc : il est très visible. Le blanc est presque toujours signe d’innocence ou de reconnaissance. Ne montre-t-on pas patte blanche pour être introduit dans un cercle fermé, comme dans la fable de la Fontaine intitulée Le Loup, la chèvre et le chevreau ? Donner à quelqu’un carte blanche, c’est lui faire confiance. On marquera d’une pierre blanche les jours dont on se souviendra agréablement, alors qu’on réservera une pierre noire aux jours de catastrophe. Mais on peut aussi se faire des cheveux blancs et vieillir prématurément si l’on se fait trop de soucis, ce qui peut être le cas si l’on travaille au noir, c’est-à-dire d’une façon clandestine.
(La publication est préparée par Alla CHEÏNINA
d’après Le Français au quotidien)