Lettres de mon Moulin

(extrait)

(Suite. Voir N° 4, 7, 8, 10, 11, 13, 14, 16/2008)

L’homme à la cervelle d’or

À une lectrice qui demande des histoires gaies.

Madame, vous trouvez mes histoires un peu tristes. Je décide aujourd’hui d’écrire une histoire gaie. Je suis heureux, je vis loin du mauvais temps de Paris.

Dans mon pays, la lumière et la musique sont toujours au rendez-vous. J’ai des orchestres d’oiseaux et de cigales. J’entends des fifres des bergers et les rires des belles filles brunes.

Mes histoires doivent être roses et non noires.

Eh bien, non !

Je reçois de Paris, tous les jours, de tristes nouvelles.

Je viens d’apprendre la mort d’un ami écrivain. Je me sens en deuil. Voici son histoire.

Un enfant naît avec une très grosse tête. Les médecins pensent qu’il va bientôt mourir. Pourtant, il vit et il grandit.

Il se cogne souvent. Un jour, il tombe la tête la première et on entend un bruit de métal. Il n’est pas mort. Il a deux gouttes d’or sur le front.

Ses parents découvrent qu’il a une cervelle d’or. Ils ne disent rien. Il gardent leur secret.

Le garçon ne comprend pas pourquoi il ne peut pas jouer avec les autres enfants dans la rue.

Je veux garder mon trésor, lui dit sa mère.

À dix-huit ans, il apprend qu’il a une cervelle d’or. Et ses parents lui demandent un peu de son or pour le prix de son éducation.

Il n’hésite pas. Il arrache un morceau d’or gros comme une noix et le donne à sa mère.

Il se sent fort et riche. Il quitte ses parents et commence à voyager. Il dépense sans compter. Il vit comme un roi.

Mais, peu à peu, ses yeux deviennent moins brillants, ses joues plus pâles. Il prend peur.

Il décide de travailler. Il se cache. Il devient avare. Un ami reste avec lui parce qu’il connaît son secret…

Une nuit, l’homme à la cervelle d’or se réveille. Il a très mal à la tête. Et il voit son ami qui court et qui cache quelque chose sous son manteau.

« Encore un peu de cervelle qui disparaît », pense-t-il.

Quelque temps après, il rencontre une jeune fille. Il tombe amoureux d’elle. Elle l’aime aussi, mais elle aime surtout ses cadeaux. Il lui offre des bijoux et des rubans. Elle ressemble à une poupée et à un oiseau.

Entre ses mains, les pièces d’or disparaissaient très vite. Elle veut tout. Il lui achète tout. Il ne lui dit pas son secret ni l’origine de leur richesse. Mais il ne veut pas avoir l’air avare.

Deux ans plus tard, elle meurt, comme un oiseau. Avec le reste de son trésor, il organise un bel enterrement et il donne de l’or à l’église.

Lorsqu’il sort du cimetière, il se sent un peu ivre. Il marche longtemps, seul.

Le soir, il s’arrête devant une vitrine et choisit de jolies bottes pour sa femme. Il ne se rappelle plus qu’elle est morte. Il entre dans la boutique. Tout à coup, on entend un cri : l’homme est mort et il a du sang sur les doigts avec des traces d’or. Il a tout dépensé.

Voilà la légende de l’homme à la cervelle d’or. Quelques hommes sont riches d’un secret. Alors ils paient cher toutes les choses de la vie.

VOCABULAIRE

cervelle (f) – мозг

fifre (f) – флейта, дудка

deuil (m) – траур

se cogner – удариться

goutte (f) – капля

arracher – отрывать

noix (f) – орех

avare –скупой

dépenser – тратить

QUESTIONS

Quel était le reproche, qu’une lectrice avait fait au narrateur ?
Pourquoi, tout en vivant en Province, loin de l’agitation de la ville, le narrateur ne pouvait pas composer des histoires gaies ?
De qui s’agit-il dans cette histoire ?
Pourquoi les parents ont-ils décidé de garder leur secret ? Quelles en étaient les conséquences ?
Devenu grand, comment vit le jeune homme ? A-t-il de vrais amis ?
Comment change-t-il au fil des années ?
Comment l’histoire se termine-t-elle ? Quelle en est la morale ?
Et vous, voudriez-vous avoir une cervelle d’or ? Qu’est-ce que vous en feriez, si vous en aviez une ?

(à suivre)

(La publication est préparée par Nadejda ROUBANIK.)