Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №19/2009

Les Routes de l’Histoire

Alla CHEÏNINA

La nation et le Roi. L’année 1790

Chronologie des événements

img1(Suite. Voir N°8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 18/2009)

Le 4 février : Louis XVI se rend à l’Assemblée.

Le 13 février : l’Assemblée constituante refuse de reconnaître la religion catholique, apostolique et romaine comme religion nationale et interdit les vœux religieux.

Le 10 mai : Mirabeau signe un contrat secret avec Louis XVI.

Le 12 juillet : l’Assemblée exige que les curés et les évêques prêtent un serment à la nation, à la loi, au Roi. On les appellera prêtres « jureurs ». Ceux qui ne voudront pas jurer s’appelleront prêtres « réfractaires » et seront persécutés, souvent exécutés. Une scission est donc introduite entre prêtres jureurs et réfractaires.

Le 14 juillet : la fête de la Fédération, célèbre l’union de tous les Français.

« Tout est bien laid ici, maman ! »

img2

Élisabeth-LouiseVigée-Le Brun, Portrait de Marie-Antoinette avec ses enfants

Tant bien que mal, les souverains s’installent le 6 octobre 1789 dans le seul logement habitable, un petit appartement qui servait à Marie-Antoinette lors de ses escapades parisiennes. Le lendemain, le peuple est massé devant les portes et réclame la Reine et le Roi. Plusieurs fois dans la journée, Louis XVI et Marie-Antoinette doivent se montrer aux fenêtres de leur appartement. Les Parisiens crient : « Vive le Roi ! Vive la Reine ! » Les délégations se succèdent auprès du Roi pour l’assurer de leur profond attachement. Le Parlement envoie 30 membres, le conseil municipal de Paris vient présenter ses respects, le maire de Paris s’incline devant Marie-Antoinette en disant : « La ville s’applaudit de vous voir dans le palais de nos rois ; elle désire que le Roi et Votre Majesté lui fassent la grâce d’y établir leur résidence habituelle. » Tout le monde fait ce qu’il peut pour exprimer à Louis XVI et à Marie-Antoinette sa joie « de leur changement de résidence volontaire ». Mais comment oublier tout ce qui s’est passé le 5 et 6 octobre ? Ils ont subi trop d’affronts, on les a traînés de force à Paris, on a pris d’assaut leur château de Versailles, assassiné leurs gardes du corps sans que l’Assemblée nationale ni la garde nationale n’aient levé un doigt. On les a enfermés aux Tuileries. Est-ce possible d’oublier cette humiliation ? Le temps passe. Une vie de famille s’organise donc, comme elle peut, sous le regard curieux des Parisiens, au milieu des allées et venues des gardes nationaux, geôliers1 autant que sentinelles2, qui parcourent à grand pas le palais et les allées du parc. C’est la tristesse qui règne aux Tuileries. On est bien loin de la vie luxueuse de Versailles ! Un reste d’étiquette subsiste, mais ce n’est plus qu’une façade. Parce que même si les souverains considèrent les Tuileries comme une prison, ils veulent, tout au moins, que cette prison soit royale. Les semaines suivantes d’énormes voitures amènent de Versailles des meubles, des vaisselles, des tapisseries. Mais on ne veut plus ni fêtes, ni bals. Il est exclu d’y mener une vie de Cour comme si de rien n’était. D’ailleurs, beaucoup d’aristocrates ont déjà émigré. Et ce sont les gardes nationales de La Fayette, au lieu des nobles gardes du corps congédiés3, qu’on voit maintenant devant les portes. Et Marat4, ce patriote enragé, qui édite la gazette L’Ami du peuple, écrit : « C’est une fête pour les Parisiens de posséder enfin leur roi. » « Posséder », c’est bien le mot qui explique toute la situation de Louis XVI : le Roi n’est plus le Roi, il est devenu le sujet de ses sujets, qui ne veulent plus, quant à eux, rester les sujets, mais exigent tous les pouvoirs. Ils remplissent les tribunes de la salle des séances de l’Assemblée qui siège au Manège, tout près des Tuileries, ils interviennent dans les discussions, ils osent même empêcher le vote de telle ou telle motion5, applaudir ou siffler tel ou tel orateur. Ils sont là, autour du palais, dont les fenêtres donnent sur le jardin, où l’on aperçoit la chute des feuilles. Tout est triste aux Tuileries : le vieux palais avec ses couloirs obscurs est triste, la vue des gardes nationaux, qui ne cessent de veiller est triste, les branches nues des arbres sont tristes. Malgré son jeune âge, le petit prince lui-même remarque les signes de désarroi. Un jour, il se décide à demander une explication de son père : « Je voudrais vous dire quelque chose de sérieux. Pourquoi votre peuple, qui vous aimait tant, est-il tout à coup fâché contre vous ? Qu’avez-vous fait pour le mettre si fort en colère ? » Louis XVI ne répond rien : que pourrait-il répondre à ce malheureux gamin ?

Louis lit les gazettes et se sent de plus en plus faible, de plus en plus impuissant. Et que peut-il faire en lisant ce Marat qui justifie la violence et les morts qu’elle provoque : « Que sont quelques gouttes de sang que la populace6 a fait couler dans la révolution actuelle pour retrouver sa liberté ? La philosophie a préparé, commenté, favorisé la révolution actuelle, cela est incontestable. Mais ces écrits ne suffisent pas. Il faut des actions. C’est donc aux émeutes que nous devons tout… » Louis comprend que la révolution est entrée dans une nouvelle période. Il s’agit d’organiser le nouveau régime et non plus de se contenter de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, et des articles principaux d’une Constitution. Et il n’y peut rien. Il observe, écoute, mais ne sait pas toujours comment agir. Tout change si vite. Son frère cadet, le comte d’Artois (futur Charles X), a émigré à Turin, et rassemble autour de lui les nobles qui veulent détruire ce nouveau régime, et rétablir la monarchie dans tous ses droits sacrés. En attendant, Louis se replie sur lui-même. Il préfère se taire, car dans cette vie nouvelle, ni lui, ni son épouse, ni ses amis ne pourront pas trouver leur place. Il renonce à la chasse, Marie-Antoinette ne va plus au théâtre, ils ne se montrent plus dans la rue, « ne sortent pas en voiture et laissent ainsi échapper la précieuse occasion de se rendre de nouveau populaires dans Paris. Car, en se disant violentée, la Cour convainc le peuple de sa force ; le Roi, en proclamant perpétuellement qu’il est le plus faible, le devient réellement. Ce n’est pas le peuple, ce n’est pas l’Assemblée nationale, mais le Roi et la Reine qui ont creusé autour des Tuileries un fossé invisible ; par leur stupide orgueil, ils ont eux-mêmes transformé en captivité la liberté qu’on ne leur contestait pas encore. »7 Marie-Antoinette est de plus en plus anxieuse. Elle pressent le pire et fait part à Louis de ses craintes : « Il faudra bien s’enfuir. On ne sait pas jusqu’où ils iront ; le danger augmente de jour en jour ». Mais Louis ne lui répond pas.

L’année 1790 se passe d’ailleurs bien. Louis a perdu son pouvoir, mais il a retrouvé sa famille. En effet, la famille royale mène aux Tuileries une existence calme, intime et réglée des petits-bourgeois. Après le petit déjeuner, Marie-Antoinette fait venir ses enfants chez elle, puis elle va à la messe et reste seule dans sa chambre jusqu’au déjeuner commun. Ensuite, elle fait partie de billard avec Louis. Ensuite, les souverains se retirent dans leurs appartements, où ils lisent ou tiennent conseil avec leurs amis fidèles. Après le dîner, toute la famille se réunit au grand salon ; le frère aîné de Louis, le compte de Provence (futur Louis XVIII)8 et sa femme, qui habitent au palais de Luxembourg, Mesdames tantes et les amis. À onze heures du soir les lumières s’éteignent, le Roi et la Reine se retirent chez eux.

Les clubs révolutionnaires

Ils sont fondés sur le modèle anglo-saxon et sont au cœur du débat politique. Ils portent le nom des couvents désaffectés9 où ils se réunissent : Jacobins, Cordeliers… Le plus souvent, les séances y sont publiques. À deux pas du Manège (ancienne école d’équitation des Tuileries où siège la représentation nationale), le club des Jacobins devient le centre d’impulsion de la Révolution.

Le club des Jacobins

img3

Le club des Jacobins

Ce club, comme le club des Cordeliers, a été l’un des acteurs les plus importants de l’époque. Au début, les réunions étaient réservées aux seuls membres du club, mais devant le succès d’affluence, elles vont être ouvertes au public à partir de 1791. On adorait venir écouter les tribuns de la Révolution, surtout Danton10 et Robespierre11. Rapidement, le club est devenu celui de Robespierre, lequel se révélait un formidable laboratoire pour tester les idées, roder les discours, chauffer le public, avant d’aller affronter l’Assemblée. Hélas, pas de vestige du club ! Un panneau à l’entrée de la place du Marché Saint-Honoré rappelle seulement sa présence et raconte un bout d’histoire. Le bâtiment de verre au centre, qui a succédé à un marché couvert, s’élève exactement à l’emplacement de la chapelle où se tenaient les réunions du club.

Le club des Cordeliers

img4

Le club des Cordeliers

Au 15, rue de l’École-de-Médecine (ancienne rue des Cordeliers), dans le couvent des Cordeliers a été crée l’un des plus importants clubs politiques de la Révolution. Les cordeliers (ou franciscains) étaient l’un des quatre grands ordres de moines mendiants, qui faisaient vœu de pauvreté, possédant tout en commun. Le couvent a été bien sûr liquidé à la Révolution. C’est donc là qu’en 1790 s’installe le club des Cordeliers créé par Camille Desmoulins12, George Danton, Jean-Paul Marat. Assis autour des tables, debout, on parle fort dans une atmosphère surchauffée où se côtoient des artisans, des ouvriers, des domestiques, des femmes, des enfants. Le voilà, ce club des Cordeliers, le plus vif, le plus enflammé, le plus déterminé de la Révolution, avec tout ce qui cela entraîne. Mais Marat est assassiné par Charlotte Corday13. Quant à Danton et Desmoulins qui estiment que puisque la République n’est plus menacée en 1794, la Terreur14 n’a plus de raison et que le temps de clémence est venu, tentent d’en persuader Robespierre. En vain ! Celui-ci tient à poursuivre sa « dictature de la vertu », coûte que coûte, jusqu’à ce que le bonheur soit garanti pour chacun ! Robespierre, le seul maître, le dictateur froid. Il déclare que Danton prépare une insurrection. Le club des Cordeliers est supprimé. Danton, Camille Desmoulins, Fabre d’Eglantine15 (poète, auteur de Il pleut, il pleut bergère et du calendrier républicain) sont arrêtés et guillotinés le 5 avril 1794. En passant sur la charrette fatale devant la maison du menuisier Duplay où loge Robespierre, Danton s’écrie : « C’est en vain que tu te caches, Robespierre, tu me suivras. Ta maison sera rasée ! » Au bourreau qui l’exécute le dernier : « Tu montreras ma tête au peuple, elle en vaut la peine ! » Après la disparition de ses animateurs, le club des Cordeliers perd toute influence. Les bâtiments sont transformés en hôpital en 1795, puis démolis au XIXe siècle, à l’exception de l’ancien cloître dont on peut admirer l’imposante structure aujourd’hui.

 


Max GALLO

Marat contre les riches

img5

Le Triomphe de Marat

Louis lit les journaux, les pamphlets qui invitent à « purger »16 la nation, l’Assemblée, les municipalités des « nobles et des prélats »17 et aussi des « plébéiens18 corrompus ». C’est Marat qui dans chaque numéro de son journal recommande la vigilance, contre les « noirs complots qui vont former un orage affreux ». « Déjà il gronde sur non têtes », dit-il.

Ce Marat est devenu populaire. Et il interpelle le Roi : « Répondez-moi, Louis XVI ! Qu’avez-vous fait pour que le ciel fasse un miracle en votre faveur, vous fasse différent de ce que sont les rois, des despotes ?... Je vous juge par votre conduite passée. Je vous juge par vous-même… »

Louis a ces propos en tête lorsque ses proches lui répètent qu’il n’y a « qu’une guerre extérieure ou intérieure qui puisse rétablir la France et l’autorité royale. » Louis ne s’y résout pas. Il veut attendre encore. Mille signes montrent que nombreux sont les députés qu’inquiètent l’anarchie, les désordres qui continuent d’ensanglanter plusieurs régions : le Périgord, la Corrèze, la Bretagne. Les bourgeois de la capitale constatent que « Paris se remplit de pauvres et de mendiants qui accourent de toutes les villes et les campagnes. Cela inquiète tous les habitants. » Les citoyens actifs19 ne veulent pas être menacés, entraînés par les citoyens passifs20. Et au club des Jacobins, ces derniers ne sont pas admis. Et Marat condamne cette « assemblée d’imbéciles qui se vantent d’être frère et qui excluent de leur sein les infortunés qui les ont affranchis ». Louis pressent qu’il y a là un ferment de profonde division des « patriotes ». On ne suit pas Marat ou Robespierre. Marat va jusqu’à écrire aux députés : « Votre fameuse ″Déclaration des droits″ se réduit, en dernière analyse, à conférer aux riches tous les avantages, tous les honneurs du nouveau régime. Ce serait donc en faveur des seuls heureux du siècle que s’est opérée la glorieuse révolution… Mais qu’aurons-nous gagné à détruire l’aristocratie des nobles si elle est remplacée par l’aristocratie des riches ? »

(Le Peuple et le roi)

(à suivre)



1 Personnes qui gardent les prisonniers.

2 Soldat qui a la charge de protéger un lieu public.

3 Éloignés.

4 Jean-Paul Marat (né en 1743 et mort assassiné à Paris, en 1793), médecin, journaliste et homme politique, député montagnard à la Convention à l’époque de la Révolution.

5 Proposition faite dans une assemblée par un de ses membres.

6 Masse, plèbe, bas peuple.

7 Stefan Zweig Marie-Antoinette.

8 Le comte d’Artois, frère cadet de Louis XVI (futur Charles X) a émigré le lendemain de la prise de la Bastille.

9 Qui ont perdu leur destination première.

10 Georges Jacques Danton (né en 1759 et mort guillotiné le 17 germinal an II (5 avril 1794), sur l’ordre de Robespierre, homme politique et révolutionnaire français.

11 Maximilien Marie Isidore de Robespierre (né en 1758 à Arras (Artois), mort guillotiné le 28 juillet 1794), avocat et homme politique français.

12 Lucie-Simplice-Camille-Benoît Desmoulins, né en 1760 et mort guillotiné le 17 Germinal an II (5 avril 1794), sur l’ordre de son meilleur ami de Robespierre, avocat, journaliste et révolutionnaire français.

13 Marie-Anne-Charlotte de Corday d’Armont, retenue par l’Histoire sous le nom de Charlotte Corday , née le 27 juillet 1768, guillotinée le 29 Messidor an I (17 juillet 1793) , est devenue par son assassinat de Jean-Paul Marat une figure importante de la Révolution française.

14 La Terreur est le nom par lequel on désigne une période de la Révolution française au cours de laquelle la France est gouvernée par un pouvoir d’exception reposant sur la force, l’illégalité et la répression.

15 Philippe-François-Nazaire Fabre, dit Fabre d’Églantine né en 1750 et guillotiné en 1794, sur l’ordre de Robespierre, acteur, dramaturge, poète et homme politique français.

16 Débarrasser de qch. de néfaste, de pourri, de malsain, de mauvais.

17 Haut clergé (cardinal, archevêque).

18 Hommes, femmes du peuple.

19 Ceux qui ont le droit de vote : les hommes de moins de 25 ans, qui résident dans la ville depuis au moins une année, qui travaillent et qui ont payé une contribution directe égale aux trois jours de travail.

20 Les femmes, les personnes en état d’accusation, les vagabonds, les domestiques (ils sont exclus du droit de vote comme citoyens non indépendants).

TopList