Главная страница «Первого сентября»Главная страница журнала «Французский язык»Содержание №24/2009

Les Routes de l’Histoire

Alla CHEÏNINA

La fuite de la famille royale. Paris-Varennes-Paris, le 20 juin 1791

(Suite. Voir N°8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 21, 23/2009)

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Le marquis de La Fayette

« En effet, lorsqu’on y songe, on est forcé de convenir que la fuite à Varennes est le fait le plus considérable de la Révolution française, et même de l’histoire de France. C’est le point culminant de la royauté : elle a mis sept cent quatre ans à monter jusqu’à Varennes, elle ne met que dix-neuf mois à descendre de Varennes à la place de la Révolution1 ; en mettant le pied sur la première marche de l’escalier de l’épicier Sauce2, l’infortuné Louis XVI mettait le pied sur le premier degré de son échafaud. Mais ce n’est pas au point de vue de la famille royale que nous constatons cette importance ; ce n’est pas parce que les têtes de trois des personnes qui se trouvaient dans cette voiture devaient tomber sur la place de la Révolution, que nous disons que cet évènement est le plus considérable de la Révolution française, et même de toute l’histoire de France ; c’est parce que l’arrestation du Roi dans ce petit bourg inconnu la veille encore du 22 juin, et, le lendemain, immortalisé fatalement et pour toujours, est la source de tous les grands cataclysmes politiques qui se sont succédés depuis. Si Louis XVI n’avait point essayé de fuir, ou bien, l’ayant essayé, y avait réussi, d’autres évènement se seraient substitués à ceux qui se sont accomplis. Plus de guerre civile, plus de guerre étrangère, plus de constitution, plus de 2 septembre3, plus de terreur, plus de Bonaparte, plus de Napoléon, plus d’Austerlitz, plus d’île d’Elbe, plus de Waterloo, plus de Sainte-Hélène. Et Dieu sait quels évènements auraient remplacé les évènements qui se sont accomplis et qui, depuis, font l’histoire de la France, et conséquemment l’histoire du monde. »4

Le soir de ce lundi 20 juin, l’observateur le plus méfiant n’aurait rien pu constater de suspect aux Tuileries. Mais mardi 21 juin 1791, vers sept heures et demie du matin, le valet de chambre de Louis s’aperçoit que le lit de son maître est vide. Tout de suite, il pense qu’il s’agit d’une fuite. Les Tuileries entrent dans une folle agitation, d’autant qu’on découvre tour à tour la disparition de la Reine et de ses enfants, celle de Madame Elisabeth, sœur du roi, celle du compte de Provence (frère aîné de Louis, le futur Louis XVIII) et de sa femme : c’était toute la famille envolée !

Le matin du 21 juin, La Fayette est averti très tôt de la disparition du Roi. En est-il surpris ? On soupçonne donc le général La Fayette de complicité. N’avait-il pas déclaré qu’il répondrait sur sa tête du maintien de la présence du Roi à Paris ? Comme le dira, dans la journée même, Danton qui commence à s’agiter beaucoup : il faut ou le roi à Paris ou la tête de La Fayette… Quand celui-ci prend conscience de la gravité de la situation, le choc est rude : la famille royale s’est échappée sans l’avertir !

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« Les oiseaux se sont envolés », s’exclame le général La Fayette et commence à agir sans tarder en expédiant l’ordre à ses aides de camp de se lancer à la poursuite des fuyards, ou, plus exactement – les mots ici pèsent lourd – des « ennemis de la Révolution », qui ont « enlevé » le Roi.

L’idée de Lafayette est géniale : il invente la fable de l’enlèvement du Roi qui serait parti contre son gré, emmené par des comploteurs aux ordres des émigrés. Cette thèse de l’enlèvement va devenir thèse officielle.

En réalité, Louis XVI et Marie-Antoinette qui se sentent de plus en plus menacés par la Révolution, préparent cette fuite eux-mêmes. Louis se rend compte que depuis le début, depuis la prise de la Bastille, le 14 juillet 1789, il n’est plus capable de maîtriser le mouvement révolutionnaire. Il décide de s’enfuir. Son objectif : gagner l’est, pour franchir la frontière et tenter de se réfugier en Autriche, la patrie de Marie-Antoinette.

Le 20 juin 1791, vers 22h 00, Marie-Antoinette quitte le salon et gagne le premier étage où elle ordonne à la femme de chambre de lever sa fille, Madame Royale et de la revêtir d’une petite robe qu’elle a apportée. Puis la Reine se dirige vers l’appartement du Dauphin qui est déjà réveillé. « On va dans une place de guerre où il y aura beaucoup de soldats », lui dit la Reine. Tout heureux de cette nouvelle, lui qui s’intéresse déjà à tout ce qui est militaire, Louis-Charles demande ses bottes et son sabre. Mais ce n’est pas son uniforme de garde-française qu’on lui apporte : c’est une robe de petite fille. Durant le voyage, il sera Aglaé, et sa sœur, Amélie. Madame Royale lui ayant demandé ce qu’il croyait qu’on va faire, il répond: « On va jouer la comédie puisque nous sommes déguisés ! ».

Des ombres quittent les Tuileries. Madame Elisabeth, sœur du Roi, madame de Tourzel, la gouvernante, le Dauphin et sa sœur s’engouffrent dans un fiacre conduit par le Suédois Axel de Fersen5 (1755-1810), déguisé en cocher. Les trois gardes du corps suivent dans un fiacre. Tous attendent le Roi et la Reine. Le Roi devra sortir déguisé en intendant. Ce déguisement consiste en un habit graus, une veste de satin, une culotte grise, des bas gris, des souliers à boucles et un petit chapeau à trois cornes. Ce n’est pas tout. On pense même à sa coiffure : on lui tassera ses cheveux pour les relever sur le haut de la tête et les retenir par un peigne d’ivoire. Mais avant de se déguiser, Louis est obliger de se rendre dans la Chambre de Parade où doit se dérouler, selon l’étiquette immuable, la cérémonie du Coucher.

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Il est 23h 00. Le Roi remet son épée et son chapeau au gentilhomme de service, passe derrière la balustrade, se met à genoux le temps de réciter une prière, enlève son habit et vient s’asseoir dans un vaste fauteuil. Ce dernier geste marque la fin de la cérémonie du Coucher. Deux garçons de la chambre lui enlèvent ses chaussures en les laissant retomber bruyamment, selon l’étiquette, tandis que le valet prononce les mots traditionnels : « Passez, Messieurs ! » Tous s’inclinent et Louis XVI reste seul avec son valet.

En réalité, Louis XVI s’est déjà glissé hors de son lit, est passé dans la chambre du Dauphin, et de là a gagné l’appartement de la Reine, à l’entresol. Il y endosse une redingote vert bouteille, un gilet brun et se coiffe d’un chapeau rond et sort du palais d’un pas ordinaire, les mains dans ses poches.

Mais la Reine n’est toujours pas arrivée. Que fait-elle donc ? Durant ce temps, la Reine a gagné sa chambre. Ses femmes la déshabillent tandis que les valets tirent les verrous et ferment les volets intérieurs. Marie-Antoinette se couche.

Il est 23h 20. Quelques instants plus tard, la Reine se lève, met une robe grise, un manteau noir et un chapeau à larges bords qui cache entièrement son visage; elle fait glisser sans bruit le verrou et ouvre la porte qui donne sur le long couloir. Horreur ! Une sentinelle est là, faisant les cent pas. Il a fallu à la Reine attendre plus de dix minutes, jusqu’à ce que la sentinelle tourne le dos, pour se glisser hors de sa chambre. Elle a pu alors gagner le jardin. Par malheur, elle s’est ensuite égarée dans le labyrinthe des ruelles entourant la place du Petit-Carrousel.

Il est 0h 45 quand Marie-Antoinette voit enfin le comte de Fersen qui s’élance au-devant de Marie-Antoinette et la fait monter dans une grosse berline6, où elle tombe toute frissonnante près de son époux. On peut s’en aller. Les chevaux se mettent en marche. M. de Fersen connaît très mal le dédale infini des rues de Paris. A deux heures du matin seulement, au lieu de minuit, il franchit la porte et sort de la ville avec son précieux chargement ; deux heures sont ainsi perdues qu’on ne pourra pas rattraper.

Fersen ne ménage plus les coups de fouet et bientôt ils sont à Bondy où déjà les attend un officier de la garde avec les chevaux de rechange, les chevaux de la poste bien reposés. Tout est à merveille. Les fuyards peuvent continuer leur route sans empêchement. Mais c’est ici que le fidèle compte de Fersen devait quitter Leurs Majestés. Il fallait se séparer, hélas. Et c’était dur. Il espérait les rejoindre en Autriche. La séparation ne serait donc pas longue.

« L’homme propose. Dieu dispose. La Reine devait, deux ans plus tard, avoir la tête tranchée sur la place de la Révolution ; M. de Fersen devait périr dans une émeute de Stockholm, tué à coups de parapluie par des femmes ivres. Par bonheur, un nuage leur cachait l’avenir. On s’est quittés pleins d’espérance. »7

Fersen prend la route de Bruxelles. Il ne sait pas que quelques heures après le départ de la famille royale, l’alerte est donnée : « Le Roi est parti ! »

Le peuple s’indigne à Paris

L’Assemblée siège en permanence. Le club des Cordeliers lance une pétition en faveur de la République. On brise les bustes du Roi, on macule tout ce qui rappelle la royauté, on efface, on arrache les effigies de Louis, de Marie-Antoinette, des princes. On apprend que le comte de Provence, le frère aîné de Louis, s’est enfui, lui aussi, mais que Philippe d’Orléans, son cousin, s’est inscrit au club des Jacobins. On parle aussi des troupes autrichiennes qui marchent sur Paris. On se précipite aux Tuileries où tous les appartements sont ouverts. Louis XVI a donc menti.

On accuse le général La Fayette de la trahison. Les journaux révolutionnaires L’Ami du peuple et Le Père Duchesne sont furieux. « Voici le moment de faire tomber les têtes des ministres », y lit-on. La Fayette, qui envoie des courriers dans toutes les directions pour retrouver la famille royale et la ramener à Paris, ne parle dans les ordres qu’il donne que des souverains enlevés.

Les fugitifs

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Ils ignorent tout ça. Leur lourd véhicule prend la route de Metz. Tout le monde est de bonne humeur, les enfants ont bien dormi, Louis est plus gai que d’habitude. On plaisante sur les faux noms qu’ils portent maintenant : madame Tourzel, gouvernante des enfants royaux, est la grande dame et s’appelle Mme de Korff, la Reine passe pour la gouvernante des enfants et se nomme Mme Rochet, le Roi, avec son chapeau de laquais, est l’intendant Durand, Madame Elisabeth, sa sœur est la femme de chambre, le Dauphin est déguisé en fille. La famille royale se trouve plus libre dans cette voiture que dans le palais des Tuileries, gardé par cent laquais et six cents soldats. Ce sont les enfants qui sont surtout ravis par cette aventure et s’amusent bien.

La berline poursuit sa route. Voilà la station. On regarde avec impatience par la portière. Mais rien. Personne ne les attend. Mauvais signe. Il y a quelque chose qui ne va pas. Il fait déjà sombre. La nuit tombe. Et il n’y a pas de retour, il faut aller en avant, vers l’inconnu. Et ils sont tout seuls, face à face au destin.

A l’étape suivante, le bruit se répand comme une traînée de poudre : « Le roi vient de passer ». Pendant ce temps, la famille royale brisée de fatigue arrive enfin à Varennes- en-Argonne. Chose étrange : il fait nuit, mais à peine les voitures étaient-elles arrivées, que la population se presse à l’entour.

Tout à coup on voit deux courriers qui arrivent de Paris. Ils annoncent la fuite de la famille royale. A ce moment – là, le tocsin de la vielle se met à sonner. Toutes les fenêtres s’éclairent ; la ville de Varennes est en émoi. Le procureur demande que les voyageurs descendent. Tout est fini. Il est minuit et demi, le mercredi 22 juin 1790. Le beau rêve s’arrête là. La tragédie commence. On crie : « Vive la nation ! ».

De tous côtés, des villes et des villages voisins, des gens armés de piques, de fusils et de bâtons arrivent. Le tocsin de toutes les églises sonne. C’est alors que le maire suggère qu’il est trop tard pour continuer le voyage ; et il invite les fugitifs à passer la nuit chez lui. N’ayant pas le choix, Louis accepte l’invitation.

Stefan Zweig

Marie-Antoinette

Marie-Antoinette, alors dans sa trente-sixième année et Reine de France depuis dix-sept ans, pénètre pour la première fois dans la maison d’un petit-bourgeois français. Le Roi, ou plutôt l’inconnu à fausse perruque, la gouvernante, montent l’un derrière l’autre au premier étage par une escalier étroit qui craque sous leurs pas ; deux pièces : une salle à manger et une chambre à coucher, basses, pauvres et sales. Deux citoyens armés de fourches se placent immédiatement devant la porte. Tous les huit, le Roi, la Reine, Madame Elisabeth, les deux enfants, la gouvernant

Le lendemain matin, à 6 heures du matin, les émissaires de l’Assemblée ont l’ordre de ramener les fugitifs à Paris. Les souverains, accablés, sales, les yeux cernés par leur folle escapade, refont le même trajet dans le sens inverse. Cette fois, les Français qu’ils rencontrent sont au courant : un concert de hurlements ne cesse d’accompagner les prisonniers.

A Paris, c’est le silence. La berline arrive à Tuileries. En entrant dans ses anciens appartements, Marie-Antoinette enlève son chapeau : ses cheveux, blond cendré il y a cinq jours, sont devenus tout blancs : « comme ceux d’une femme de soixante-dix ans ». Le Roi et la Reine sont prisonniers. Des sentinelles sont postées jusque sur les toits du palais. Les révolutionnaires réclament le jugement du roi « traître à la nation ».

Gonzague Saint Bris

Le retour à Paris

L’entrée à Paris est lugubre. Un lourd silence s’est abattu sur les quartiers traversés et il devient menaçant au fur et à mesure qu’on approche des Tuileries. Lorsque les souverains sortent de la berline pour pénétrer dans le palais, le service d’ordre est débordé. La Fayette et quelques volontaires ont de la peine à assurer la protection au couple royal. Louis XVI avance, impassible, sans prononcer un mot, suivi de la Reine qui réussit à dominer son émotion. Le lendemain, le bruit se répandra que Marie-Antoinette, à son réveil, au palais, s’est aperçue que ses cheveux sont devenus tout blancs.

(à suivre)



1 Aujourd’hui, la place de la Concorde.

2 C’est dans sa boutique que la famille royale est arrêtée à Varennes.

3 Massacre des aristocrates, dont Mme de Lamballe, amie fidèle de Marie-Antoinette.

4 Alexandre Dumas, La Route de Varennes.

5 Comte suédois, est célèbre surtout pour sa profonde amitié avec la reine de France Marie-Antoinette.

6 Carrosse, garnie de glaces et de capote. Très à la mode à Berlin, au XVIIIe siècle.

7 A. Dumas, La Route de Varennes.

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