Les Routes de l’Histoire
Alla CHEÏNINA
L’année 1792. La guerre relance la Révolution
(Suite. Voir N°8, 9, 10, 12, 13, 14, 15, 17, 18, 19, 21, 23, 24/2009, 1/2010)
Chronologie des évènements
9 février : Confiscation des biens des émigrés (nobles réfugiés à l’étranger)
20 avril : Déclaration de guerre à la Prusse et à l’Autriche
25 avril : L’inauguration de la guillotine
24-25 avril : Claude Joseph Rouget de Lisle (1760-1836) écrit le chant de guerre La Marseillaise.
20 juin : les sans-culottes envahissent le palais des Tuileries
11 juillet : L’Assemblée proclame : la Patrie en danger.
25 juillet : Charles-Guillaume-Ferdinand, duc de Brunswick, commandant en chef des armées autrichienne et prussienne, lance son fameux manifeste adressé au peuple de Paris
10 août : Paris marche sur les Tuileries
Les sans-culottes1
En janvier 1792, le royaume français est plongé dans la violence. Tous ont peur, chaque camp hait les autres et craint d’être massacré. L’anarchie, les émeutes, le pillage règnent partout. Dans cette situation, il n’y a qu’une solution : être le premier à porter le coup, a frapper. Les Jacobins2 reprennent leur force. Ils invitent les Parisiens qui viennent assister à leurs séances de porter le fameux bonnet rouge (le bonnet phrygien)3, un des symboles de la Révolution, qui devient en 1792 le bonnet de ceux qui se nomment avec fierté « des sans-culottes ». Ces Parisiens qui s’opposent aux riches, agissent dans les clubs parisiens ainsi que dans les débats de l’Assemblée. Ce sont les « gardiens de la Révolution », ils réclament des mesures énergiques contre tout ce qui pourrait l’affaiblir. On les reconnaît facilement : bonnet rouge, pique, galoches, pantalon rayé, cocarde tricolore : c’est la tenue des « sans-culottes ». Armés, ils représentent une force politique redoutable. Ils seront éliminés en 1795.
Mais c’est à eux de jouer maintenant dans ce spectacle sanglant qui se met en scène en ce début 1792. Car c’est eux qui représentent maintenant le peuple français. Ce peuple qu’on appelle maintenant la NATION.
La France entre en guerre
« Remède vieux comme le monde : quand les États et les gouvernements ne peuvent plus se rendre maîtres des crises intérieures, ils cherchent une diversion à l’extérieur. »4
Comment éviter la guerre civile ? Louis, roi des Français, doit agir. Mais est-il encore le Roi ? Alors, il décide qu’au lieu d’une guerre civile ce sera une guerre contre l’étranger. Et il est soutenu par les députés de Gironde5, qui mènent la nouvelle Assemblée, et sont républicains de cœur. Les Girondins veulent supprimer la royauté et pour eux il n’y a pas de meilleur moyen pour cela qu’une guerre. Ils persuadent leurs collègues que la guerre contre les princes allemands (« les despotes européens ») redonnerait un deuxième souffle à la Révolution, désarmerait les émigrés et les princes, en finirait avec les aristocrates, porterait les idées de la Révolution hors des frontières françaises, propagerait parmi les peuples du monde entier les idées de la Déclaration des droits de l’homme6 et, ce qui est très important, permettrait de tester la fidélité du roi des Français.
Pour Louis XVI, comme pour Marie-Antoinette, les drapeaux autrichien et prussien sont les drapeaux-amis, le drapeau tricolore7 de la France est le drapeau de l’ennemi. Est-il un traître, Louis XVI ? Ce mot n’a pas grand sens pour lui. Il est fidèle à la monarchie qu’on est en train de tuer. Donc, il faut la sauver à tout prix. « Le XVIIIe siècle ne connaît pas encore d’autre point de vue que le point de vue purement dynastique ; le pays appartient au Roi et la royauté lutte infailliblement pour la bonne cause. Celui qui se dresse contre la royauté est un rebelle, un révolté, même s’il défend son propre pays. » 8
Donc, c’est une question de vie ou de mort de la royauté. Il n’est pas non plus question des intérêts du pays, on se bat pour une idée, celle de la monarchie ou celle de la république. Car au cas où la France serait victorieuse, il perdra à jamais le trône. Au cas où ce sont les puissances étrangères, il perdra sa vie. Les dés sont jetés.
Le 20 avril 1972, sur la proposition de Louis XVI, l’Assemblée vote dans l’enthousiasme la déclaration de la guerre contre l’empereur autrichien, François II.
Tout le monde est d’accord là-dessus mais pour des raisons différentes. Quoi qu’il en soit, le jeu est ouvert. La guerre est là !
La guerre débute plutôt mal pour la France. L’armée française est pourtant mal préparée : les deux tiers des officiers ont émigré ; ceux qui restent méprisent les jeunes officiers, enthousiastes mais peu expérimentés ; quant à la troupe, elle préfère la liberté à la discipline. Les soldats français doivent battre en retraite face aux troupes coalisées de la Prusse et de l’Autriche. À Paris, c’est la valse des ministres de la Guerre. Le peuple de Paris crie à la trahison du général La Fayette, de Marie-Antoinette, cette « Autrichienne » et de « ce cochon de Louis », son époux.
Des débats animés et violents secouent alors l’Assemblée législative. Les députés multiplient les attaques contre le Roi, qui, à leurs yeux, a abusé de son droit de veto9, et qu’ils soupçonnent de complicité avec les puissances étrangères.
Robespierre se lance dans un violent réquisitoire contre Louis XVI : « À quoi bon garder une Constitution, puisque le roi veut nous perdre », dit-il. Louis XVI commence à comprendre que ses vrais ennemis sont justement ces Cordeliers10, ces Jacobins, ces sans-culottes, Marat, Danton, Camille Desmoulins. La Révolution commence à comprendre qu’elle ne pourra battre l’ennemi extérieur qu’en se débarrassant également de l’ennemi intérieur. Louis, pressent-il alors son destin tragique ?
Le 25 avril 1792. Nouvelle distraction de la place de Grève : l’inauguration de la guillotine 11
Ce jour-là, la place de Grève sert de théâtre à l’inauguration de la guillotine sur le cou d’un bandit, nommé Peletier. Ce n’est que le début. Tous les condamnés à mort sont désormais exécutés en ce lieu, jusqu’à ce que cette sinistre machine soit finalement transportée, le 21 août, sur la place du Carrousel, face au palais des Tuileries. C’est encore en 1789, le docteur Guillotin, député du Tiers État de Paris, a fait une proposition de loi tendant à ce que la peine de mort soit infligée d’une manière uniforme, sans distinction de classe, et que ce soit la décapitation, considérée comme le mode le plus sûr, le plus prompt et le moins douloureux. « Le couperet siffle, la tête tombe, l’homme n’est plus ; avec ma machine, je vous fais sauter la tête en un clin d’œil, et vous ne souffrez point, vous ne sentirez qu’une très légère fraîcheur sur le cou ! ».
Au temps de la Terreur12, l’échafaud, dressé place de la Révolution (actuelle place de la Concorde), reçoit chaque jour son lot de victimes. On la dresse aussi place de la Bastille et place du Trône (place de la Nation). Le pauvre docteur Guillotin, emprisonné sous la Terreur, a protesté jusqu’à sa mort, en 1814, de l’usage abusif de son nom.
Après la Révolution, les exécutions se déroulent à nouveau sur la place de Grève. À partir du 6 août 1909, la guillotine est utilisée à l’angle du boulevard Arago et de la rue de la Santé13. C’est là qu’est exécuté Paul Gorgulov14. C’est à Versailles que se déroule la dernière exécution publique. Pendant l’Occupation, les hommes sont guillotinés dans la cour de la prison de la Santé, les femmes, dans celle de la prison de la Petite-Roquette (à l’emplacement du n°143, rue de la Roquette). Et c’est finalement à Marseille qu’a lieu la dernière exécution capitale, le 10 septembre 197715.
Stefan ZWEIG
Marie-Antoinette
(extrait)
Émeute du 20 juin 1792.
Les sans-culottes au palais des Tuileries
Pour donner une bonne leçon au Roi, et plus encore à l’orgueilleuse Autrichienne, les Jacobins choisissent un jour symbolique, le 20 juin. C’est le 20 juin, il y a trois ans que les représentants du peuple se sont réunis pour la première fois dans la salle du Jeu de Paume et qu’ils y ont juré solennellement de ne pas céder à la force des baïonnettes et de ne pas se séparer avant d’avoir donné une Constitution à la France. C’est le 20 juin également, il y a un an, que le Roi, déguisé en laquais, s’est glissé hors de son palais par l’escalier de service pour échapper à la dictature du peuple. En ce jour anniversaire, il lui sera rappelé à jamais qu’il n’est rien, et que le peuple est tout. On prépare méthodiquement l’assaut des Tuileries, comme on avait préparé celui de Versailles en 1789. Mais trois ans auparavant c’était secrètement et illégalement encore ; aujourd’hui c’est en plein jour, au son du tocsin, sous les yeux de la municipalité, que s’avancent quinze mille hommes, à qui l’Assemblée nationale ouvre les portes, cependant que le maire Pétion, chargé en réalité de maintenir l’ordre, fait celui qui ne voit et n’entend rien, afin que soit complète l’humiliation du roi.
La colonne révolutionnaire se déploie d’abord comme un cortège ordinaire devant le siège de l’Assemblée nationale. En rangs serrés et au chant du Ça ira, les hommes, portant de grandes pancartes sur lesquelles on lit : « À bas le veto ! », « La liberté ou la mort ! » défilent devant le Manège où se tient l’Assemblée ; à trois heures et demie, tout semble terminé. Mais c’est alors seulement que commence la véritable manifestation, car, au lieu de se retirer paisiblement, l’énorme masse populaire se précipite, comme guidée par une main invisible, vers l’entrée du palais. Les gardes nationaux et les gendarmes sont là, mais les soldats n’opposent aucune résistance, et, d’une seule coulée, le peuple entre par l’étroit entonnoir de la porte. La pression de cette foule est si forte que les manifestants sont comme portés jusqu’au premier étage. Il n’y a plus moyen de les arrêter à présent, ils enfoncent les portes, brisent les serrures, et, avant qu’on ait pu prendre la moindre mesure de protection, les premiers assaillants se trouvent déjà devant le Roi, qu’un groupe de gardes nationaux ne peut qu’imparfaitement préserver du pire. Et voici Louis XVI obligé de passer en revue de son peuple insurgé dans sa propre demeure ; seul son flegme imperturbable évite un choc violent. Il répond avec une patience polie à toutes les provocations et se coiffe docilement du bonnet rouge de l’un des sans-culottes. Pendant trois heures et demie, par une chaleur torride, il supporte sans révolte ni protestation la curiosité et l’ironie de ses hôtes hostiles.
En même temps un autre groupe d’insurgés a pénétré dans les appartements de la Reine ; l’horrible scène du 5 octobre à Versailles semble vouloir se répéter. Mais comme la Reine est plus exposée que le Roi, les officiers se sont dépêchés d’appeler des soldats ; ils ont poussé Marie-Antoinette dans un coin et glissé une table devant elle pour la mettre à l’abri tout au moins des brutalités ; en outre trois rangs de gardes nationaux sont alignés devant cette table. Les hommes et les femmes entrés en trombe ne peuvent atteindre Marie-Antoinette, mais ils l’approchent suffisamment pour pouvoir examiner le « monstre » d’une façon provocante, ils s’avancent assez près pour qu’elle entende distinctement leurs menaces et leurs injures. Froide et fière, la Reine tient tête aux regards les plus hostiles. Toutefois quand on veut l’obliger à mettre le bonnet rouge sur la tête de son enfant, elle se détourne et dit aux officiers : « C’est trop fort aussi, cela va au-delà de toute patience humaine. » Mais elle tient bon, sans trahir la moindre peur ou le moindre manque d’assurance. Lorsqu’elle n’est vraiment plus en danger, le maire Pétion se montre et engage les assaillants à rentrer chez eux, « pour ne pas donner occasion d’incriminer leurs intentions respectables. » Mais il se fait tard avant que le palais ne soit évacué, et c’est alors seulement que la Reine, la femme humiliée, se rend compte avec douleur de son impuissance totale. Elle sait à présent que tout est perdu. « J’existe encore, mais c’est un miracle », écrit-elle en hâte à son confident, Hans Axel de Fersen 16. « La journée du 20 a été affreuse. »
1 Ce sont les Parisiens de petits artisans et boutiquiers aux revenus modestes, très sensibles aux problèmes de hausse des pris et de chômage, qui coiffés du bonnet rouge, participent à tous les mouvements insurrectionnels dans la capitale.
2 La Société des amis de la Constitution a été créée à Paris en novembre 1789. Elle se réunit au couvent des Jacobins, rue Saint-Honoré. Son recrutement, d’abord parlementaire, s’ouvre bientôt à un nombre toujours accru de membres extérieurs, et noue des relations avec de nombreuses sociétés de province, ses filiales : plus d’un millier en 1791, le double en 1793. Se voulant à l’origine auxiliaire de l’Assemblée nationale, le club ne tarde pas à devenir un contre-pouvoir. C’est l’assemblée du peuple, où se conquiert la légitimité, où se règle les conflits de pouvoir. Tous ceux qui ont exercé successivement le pouvoir, de Mirabeau à Robespierre, ont pris leur essor aux Jacobins. Sous la Terreur, le mouvement Jacobin a perdu son caractère initial.
3 De couleur rouge après 1791, le bonnet est le symbole de la Liberté retrouvée et du civisme, par opposition au bonnet phrygien des esclaves de l’Antiquité. Dès les débuts de la Révolution, le bonnet rouge devient un emblème révolutionnaire. Il est décrété « emblème du civisme et de la liberté » par la Convention en 1793. Le bonnet s’impose sur les documents officiels, les timbres, les monnaies, au sommet des maisons.
4 Stefan Zweig, Marie-Antoinette.
5 Ce « parti » est né à l’Assemblée législative de 1791 par la réunion de députés du département de la Gironde. À la Convention (1792-1793), ils prennent l’initiative d’une guerre contre les députés radicaux de la capitale qui les précipitent, pour finir, sous la guillotine.
6 Le texte fondateur de la nation française qui aura une portée universelle, a été écrite par Mirabeau et Sieyès et adoptée le 26 août 1789. Véritable credo philosophique, social et politique, ce texte constituera le préambule de chacune des cinq constitutions françaises.
7 Les trois couleurs (le blanc de monarchie, le bleu et rouge de la ville de Paris) apparaissent d’abord sous la forme de la cocarde que revêt Louis XVI le 17 juillet 1789 et sur les uniformes de la garde nationale dirigée par La Fayette, mêlant le blanc des gardes françaises et le bleu et le rouge des milices parisiennes. Elles deviennent l’emblème national après la proclamation de la République en septembre 1792.
8 Stefan Zweig, Marie-Antoinette.
9 Veto – 1718 (lat.), « je m’oppose ». Formule par laquelle le roi avait le droit de s’opposer aux décisions de l’Assemblée.
10 Club des Cordeliers ou Société des Amis des droits de l’homme et du citoyen est une société politique fondée le 27 avril 1790 et siège dans l’ancien réfectoire du couvent des Cordeliers de Paris. Le club se pose en véritable surveillant de l’Assemblée et porte un regard critique sur celle-ci. Le club se propose également d’aider les indigents : contrairement aux Jacobins, l’entrée y est libre. On entre au club sans avoir à verser de cotisation : un drapeau tendu à la sortie se charge de recueillir les dons.
11 Mise au point par le docteur Guillotin, cette machine à décapiter, adoptée en 1792 par la Législative, vise à uniformiser l’application de la peine capitale. Elle restera légalement en service jusqu’en 1981 quand sera abolie la peine de mort. Sous la Révolution, on dénombre officiellement 16 594 exécutions, auxquelles il faudrait ajouter les victimes des répressions dans les villes de province, celle des massacres de septembre ou encore les noyés de Nantes et les victimes de Vendée.
12 Le nom par lequel on désigne[] la période de la Révolution française au cours de laquelle la France est gouvernée par un pouvoir d’exception reposant sur la force, l’illégalité et la répression ; elle est principalement politique et répressive.
13 Prison de la Santé est toujours là.
14 Paul Gorgulov ou Gorguloff, docteur en médecine de nationalité russe, né en 1895 à Labinskaya (Kouban) et guillotiné à Paris le 14 septembre 1932, est l'assassin du président Paul Doumer.
15 Depuis l’abolition de la peine capitale en 1981, les guillotines ont été déposées à Marseille, au Musée des Arts et traditions populaires et au Musée national des prisons dans les sous-sols de l’ancienne prison de Fontainebleau.
16 Hans Axel von Fersen (4 septembre 1755 à Stockholm – 20 juin 1810 à Stockholm), comte suédois, est célèbre surtout pour sa profonde amitié avec la reine de France Marie-Antoinette.